«J’ai toujours détesté me faire dire: “Tu as juste un enfant?” Je trouve que le mot “juste” devrait être enlevé de l’équation. Et lorsqu’en plus, j’annonce que je suis seul avec cette enfant, alors là, les gens ne comprennent plus rien!»
Cette confidence, Jean-Marc Saint-Jacques la fait en riant, sachant que son parcours est atypique.
Il y a 10 ans, son conjoint et lui ont décidé d’avoir un enfant. Après la séparation du couple, difficile, c’est Jean-Marc qui a obtenu la garde de leur fille Raphaëlle. «Mon ex la voit très peu. Il a ses raisons et c’est correct, dit Jean-Marc. Nous avons refait notre vie, Raph et moi. On a quitté Québec pour revenir à Montréal, il y a quatre ans. Nous sommes comme dans une bulle, ensemble, tous les deux.»
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Les rendez-vous, les inscriptions aux nombreuses activités de sa fille, les devoirs et leçons, les courses et la préparation des repas, bref, les hauts et les bas de la parentalité, Jean-Marc les vit tout seul: «C’est le fun parce qu’on est très proches, elle et moi. Et c’est difficile pour les mêmes raisons: la proximité peut devenir étouffante… et on n’a personne d’autre vers qui se tourner pour ventiler!»
Pour la psychologue et psychanalyste Marie Hazan, c’est là tout le défi d’être à la tête d’une famille monoparentale ou soloparentale. Précisons d’ailleurs que les deux types de parentalité se ressemblent, à un détail près: dans le premier cas, la mère ou le père habite avec un ou plusieurs enfants, sans conjoint, alors que dans le second, un seul parent se déclare légalement lié à l’enfant à sa naissance (autrement dit, le nom d’un seul parent apparaît sur l’acte de naissance officiel, et c’est souvent celui de la mère).
«On a besoin d’un tiers pour élever un enfant, indique Mme Hazan. Ça peut être quelqu’un de l’entourage du parent, comme sa mère, un ami, un membre de la famille ou un autre parent seul qui a un enfant du même âge… Cette personne est importante, car elle va apporter du soutien, soulager le fardeau, et elle sera là pour ventiler, échanger, discuter et partager.»
Lorsque Marie-Pier Lagarde a décidé d’avoir un bébé toute seule, par l’entremise de ses démarches en clinique de fertilité, elle savait qu’elle pourrait compter sur l’aide de sa mère et de son beau-père. «Ils habitent le logement en dessous du mien, précise la Montréalaise de 28 ans. Mais je ne pensais quand même pas accoucher en pleine pandémie!» Heureusement, dit- elle, «je les vois tous les jours et je suis bien entourée».
Pour le reste, Marie-Pier s’organise bien, seule avec son fils Milan. «C’est un désir important que j’avais et je ne voulais pas attendre, confie-t-elle. Nous sommes encore en période d’adaptation mais tout va bien. Je n’ai pas de craintes particulières. Lorsqu’il sera plus vieux et qu’il posera des questions, je vais lui dire la vérité [sur sa conception].»
Marie-Hélène Laverdière, 41 ans, a elle aussi choisi d’avoir un bébé toute seule. Son fils Théo a maintenant trois ans. «L’avantage d’être seule avec son enfant, c’est qu’il n’y a pas de chicane quand vient le temps de prendre des décisions, lance-t-elle en riant. Je fais tout toute seule, comme je l’entends. Par contre, ça veut aussi dire qu’il n’y a personne d’autre pour prendre la relève. C’est parfois épuisant.»
Paisible symbiose
Avoir un bon réseau, ne pas hésiter à demander de l’aide et apprendre à lâcher prise sont essentiels, estime Marie-Hélène. «C’est une question de survie! Ma maison et mes repas ne peuvent pas toujours être parfaits. Je choisis mes batailles et je réduis mes attentes… Ça tombe bien, car il n’y a personne pour me juger ou me critiquer. Je n’ai pas à vivre les obstinations avec un ex-conjoint qu’une mère de famille monoparentale peut subir, par exemple.»
Jean-Marc Saint-Jacques est du même avis. Il croit que l’absence d’une autre personne à la maison contribue à l’ambiance calme, voire sereine, dans laquelle il éduque sa fille. «Elle sait quelles sont les règles et on se connaît bien, tous les deux, souligne-t-il. On n’a pas à endurer de conflits ni l’un ni l’autre car… on n’est que deux!» Se coucher fâchés, très peu pour Raphaëlle et lui. «Elle amorce sa préadolescence, dit-il, et je tiens à ce qu’on n’accumule pas de frustrations ni de désaccords. Je ne veux briser ni la communication ni la confiance entre nous.»
Pour sa part, Véronic Lévesque considère qu’être maman de famille monoparentale l’a incitée à développer un lien très étroit avec son garçon, Arthur, âgé de 8 ans. «Il avait 14 mois au moment de la séparation entre son père et moi, raconte la Gaspésienne. Je pense que nous sommes très proches et que ce lien est basé sur la sécurité et la confiance. Ça m’a forcée à être créative, par exemple pour les activités, les projets qu’on fait ensemble, ou encore pour nos plans de vacances.»
Miser sur l’émancipation
Y a-t-il un danger lié au fait de vivre dans une bulle tissée aussi serré? Du bout des lèvres, Véronic acquiesce. «C’est un défi pour moi de ne pas toujours passer du temps avec mon fils, avoue-t-elle. Je veux qu’il développe son autonomie, son indépendance. Si je lui consacre toute mon énergie, si je me concentre seulement sur lui, comment vais-je lui enseigner la gratitude, la reconnaissance? C’est important qu’il sache que j’ai une vie, moi aussi.» À 44 ans, Véronic est d’ailleurs en train d’opérer un changement de carrière, quittant le design d’intérieur pour travailler en relation d’aide.
Voilà un beau modèle à donner à son enfant, croit Marie Hazan, car la relation parent-enfant peut être «tellement forte qu’elle peut enfermer le petit». Autrement dit, l’enfant unique, chouchouté à l’extrême par un seul et même parent, peut avoir de la difficulté à s’épanouir et à s’émanciper. «L’alliance peut devenir indissociable, et les deux en paieront le prix, avance Mme Hazan. Il faut faire attention, car c’est très difficile à dénouer ensuite.»
La psychologue insiste sur l’importance de pouvoir compter sur d’autres personnes qui gravitent dans l’entourage proche de l’enfant, pour «créer des liens et se reposer sur une communauté». La spécialiste pense également que le parent doit être attentif à ne pas placer tous ses espoirs, ses rêves et ses ambitions sur son seul enfant, un piège qui guette tout parent, mais qui peut s’avérer encore plus prononcé dans ce cas.
Il y a aussi beaucoup d’éléments positifs dans ce modèle familial, estime Diane Pacom, professeure émérite à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa. «Des enfants qui souffrent dans leurs familles dysfonctionnelles, il y en a plein, explique-t-elle. Ça peut donc être une très bonne chose d’évoluer dans un contexte familial d’un pour un.» Selon elle, l’isolement ne guette pas forcément ces enfants, puisque «la communauté numérique et virtuelle» peut aujourd’hui étendre le réseau de la famille et lui offrir du soutien, du réconfort et de l’écoute. «Les possibilités sont immenses et, en plus, on peut choisir son cercle virtuel et définir par qui on veut se faire aider», ajoute-t-elle.
Mme Pacom rappelle que le portrait des familles a énormément changé au cours des dernières décennies: tous les modèles sont possibles de nos jours. «Si on regarde l’histoire du Québec, c’est très nouveau, dit-elle. Les options sont très ouvertes désormais. En ce moment, on vit “à la carte”, on choisit nos vies. Nos revendications individuelles prennent plus de place et elles ont changé, comme si on se disait: “Nos mères n’ont pas eu le choix, nos grand-mères non plus, mais moi, j’ai le choix!”»
Pour Jean-Marc Saint-Jacques, ce libre-choix est sa planche de salut. «En tant qu’homme gai, je n’aurais jamais pu vivre tout ce que je vis maintenant il y a 50 ans, ni même il y a 20 ans, constate-t-il. Or, ma fille, c’est mon bonheur, c’est ma famille. Comme quoi on avance, on évolue…»
En chiffres
- Familles avec enfant unique en 2001: 37,3 %
- Familles avec enfant unique en 2011: 38,6 %
- Familles monoparentales au Québec en 2016 (ensemble des familles): 29,5 %
- Familles monoparentales au Canada en 2016 (enfants de 0 à 14 ans): 19,2 %
Sources: statistique canada et institut de la statistique du Québec (recensements de 2016).
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