Si on associe traditionnellement les Fêtes aux rassemblements familiaux, la COVID a fait découvrir à bien des gens l’expérience d’un réveillon en comité restreint. Pour certains, passer Noël loin de leur clan est une réalité qui se répète chaque année. Parfois, c’est même un choix délibéré.
Là où les choses se compliquent, c’est que l’image qu’on nous renvoie des Fêtes est souvent très uniforme et calquée sur la famille telle qu’on la connaissait au début du siècle dernier. Par conséquent, cette période de l’année nous ramène à une vision normée et idéalisée de ce que nos vies devraient être… et au fossé qui nous en sépare si on a le malheur de ne pas entrer dans le moule. Dans le cas où cet écart n’a pas été choisi de plein gré – par exemple à la suite d’une séparation difficile ou d’un conflit familial –, bonjour le sentiment d’inadéquation! Mais même si l’heure est propice aux traditions, il n’est jamais trop tard pour recréer les nôtres.
Renégocier la notion de famille
Personnellement, la dernière fois que j’ai passé physiquement les Fêtes avec ma famille d’origine remonte à presque 15 ans: chez nous, partir vivre à l’étranger, ça se transmet apparemment par les gènes. On ne s’assied pas autour de la même table pour partager une dinde ou un rôti de tofu: nos voeux se transmettent avec tout autant d’enthousiasme par FaceTime, la magie de Noël voyage avec des vidéos sur Instagram et les cadeaux s’échangent par Postes Canada plutôt que sous le sapin: c’est ça, notre tradition. Mais la distance n’est pas la seule explication. En effet, toute la famille n’est pas impliquée dans ce rituel: pour les personnes qui y sont invitées, c’est aussi une manière de recréer une base saine, après avoir élagué le cercle familial.
Cette volonté de miser sur un clan qui nous ressemble, ou du moins qui s’entend et qui partage des valeurs similaires aux nôtres correspond à la situation de Gabrielle, 38 ans, qui s’apprête à vivre son troisième Noël après avoir coupé les ponts avec sa mère. «Le ratio de nos bonnes journées ensemble n’était pas très haut; souvent, c’était difficile, tendu, admet-elle. Je suis contente, maintenant, de ne pas ajouter de chicanes supplémentaires entre nous. Je me dis qu’au moins, j’ai fini de supporter ça.» À la place, elle visite aujourd’hui sa famille élargie, dont celle de son partenaire. Là, elle trouve l’empathie et le soutien dont elle a besoin. «Je vis une expérience de famille de substitution. Ils ont de la peine pour moi, ils comprennent tous très bien ce qui se passe avec moi et pourquoi je fais ce que je fais.»
Créer ses propres traditions
Certaines personnes qui n’ont pas la chance, comme Gabrielle, d’avoir une famille de remplacement dans leur entourage par alliance se la créent elles-mêmes, incluant les traditions des Fêtes: voyage de filles, potlucks entre amis ou autre façon de célébrer.
Pour Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et professeure associée à l’UQAM, c’est l’occasion d’aborder les Fêtes d’une façon positive tout en comblant notre besoin fondamental d’attachement. «En se questionnant sur nos besoins présents, on peut voir Noël comme une occasion de définir notre nouvelle réalité: qui sont les personnes qu’on a envie de voir? Qu’est-ce qu’on a envie de faire? Comment peut-on prendre soin de nous à travers ça et avoir du plaisir? En répondant à ces questions, on vient nourrir nos besoins psychologiques de base autrement.»
Depuis son arrivée à Montréal, Alexandre, 40 ans, pratiquait le «Noël des amis» chaque année, couplé à des appels en visioconférence avec les membres de sa famille d’origine. Mais la naissance de sa fille a rebrassé les cartes. «Avoir un enfant, ça te confronte à la dynamique que tu as avec tes parents. En prenant du recul quant à la façon dont je voulais me comporter avec ma fille, j’ai complètement changé ma vision de certaines choses que je vivais avant par rapport aux miens.»
La décision de couper les ponts avec des membres de sa famille s’accompagne souvent de culpabilité. Celle-ci a la fâcheuse tendance à se manifester particulièrement aux moments charnières, comme la période des Fêtes.
Après une mûre réflexion, doublée d’un suivi avec un psychologue, Alexandre a décidé de couper les ponts avec sa famille. «Je pensais venir d’un clan tissé serré, mais avec le recul, j’ai constaté qu’on était juste proches géographiquement, pas émotionnellement. La communication avec eux ne m’a donc pas manqué. Mais c’est sûr que dans les occasions de rituels familiaux, l’absence se fait un peu plus sentir.»
Le poids de la culpabilité
Même si elle est justifiée, la décision de couper les ponts avec des membres de sa famille n’est jamais facile à prendre et s’accompagne souvent de culpabilité. Celle-ci a la fâcheuse tendance à se manifester particulièrement aux moments charnières, comme les anniversaires… ou durant la période des Fêtes.
Pour Gabrielle comme pour Alexandre, ça s’est exprimé par un inconfort à l’idée de ne pas reprendre contact pour offrir des voeux. Et dans le cas d’Alexandre, aujourd’hui séparé de sa conjointe, la culpabilité se ressent aussi à l’égard de sa fille, âgée de six ans. «Pour l’instant, elle ne connaît pas de “Noël en famille”, avec plein de membres de la parenté réunis, et je trouve ça difficile. Mais je me rappelle aussi que lorsque j’étais enfant, mis à part les cadeaux, ces occasions-là ne me laissaient pas spécialement de bons souvenirs.»
Pour Geneviève Beaulieu-Pelletier, ce sentiment de culpabilité est tout à fait normal, même s’il n’est pas pour autant fondé. «On entend beaucoup les gens dire que “ce sont les liens du sang”, ce qui est vrai, mais psychologiquement parlant, il faut comprendre qu’à certains moments – quand quelque chose de négatif entrave notre développement ou notre croissance personnelle –, il est préférable de couper ces liens-là. Et on n’a justement pas à se sentir coupable de le faire.»
Pour remédier à cette culpabilité, la psychologue estime important de revenir à nos besoins, à l’essence même de notre. décision de couper les ponts. Qu’on se soit sentie incomprise, dénigrée ou maltraitée, se reconnecter avec nous-même permet de mieux accepter la situation. Il est pertinent aussi d’explorer ce qui se cache derrière cette culpabilité. «Parfois, c’est une tante qui va téléphoner en disant: “Ça fait beaucoup de la peine à ta mère que tu ne sois pas là.” Quelles sont les personnes qui nous ont déjà dit ça au cours de notre vie? Qui sont les gens qu’on a peur de froisser? Et quels sont les réels impacts de ne pas assister à la réunion familiale cette année ou de ne pas décrocher le téléphone? Et si justement on le décroche, comment va-t-on se sentir juste après, le lendemain ou la semaine suivante? Plus on met des mots sur ces émotions-là, en psychothérapie ou toute seule à la maison, plus la pression émotionnelle diminue et moins la culpabilité et les autres émotions que cette situation nous fait vivre seront intenses. Ça va devenir beaucoup plus facile de les réguler.»
Si la pression liée à la vie de famille se fait plus intense à la période des Fêtes, la recette gagnante semble – comme pendant tout le reste de l’année –, de cultiver une relation harmonieuse avec nous-même avant d’en développer avec les autres, une quête durant laquelle la thérapie peut s’avérer un outil très utile. Il est également important de souligner que nos besoins peuvent évoluer: à cet égard, la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier signale la possibilité «qu’à une autre période, on sente qu’on n’a plus ce besoin de coupure, mais il faut s’offrir à nous-même cette flexibilité».
«C’est important de se pardonner, estime Gabrielle. À un moment donné, quand on atteint notre limite, c’est correct de la respecter.» Respecter nos propres limites: en voilà un beau cadeau à s’offrir pour Noël!
Photos : Rasstock Getty Images
À lire aussi :