Ces femmes qui nous inspirent : Michèle Deslauriers

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22 Mai 2023 par Véronique Harvey
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Entretien avec Michèle Deslauriers, toujours aussi énergique et rigolote à 77 ans !

Plus jeune, Michèle Deslauriers a longtemps eu peur. Peur de la mort, peur de ne jamais vivre de sentiments exaltants comme l’amour. Mais aujourd’hui, du haut de ses 77 printemps, la comédienne se dit comblée par tout le chemin parcouru et voit chaque lever de soleil comme une chance unique d’ajouter des petits extras à sa vie déjà bien remplie.

Corrigez-moi si je me trompe, Michèle, mais j’ai l’impression que plus on vieillit, plus on nous parle de notre âge.

C’est vrai. J’ai toujours révélé ouvertement mon âge, mais aujourd’hui, je n’ai plus besoin de le faire, parce que les gens m’en parlent automatiquement. J’ai 77 ans… et je l’assume pleinement ! D’ailleurs, c’est ma dernière chance de relire tous mes Tintin, sinon je n’aurai plus le droit : ça s’adresse aux 7 à 77 ans… Il y a donc plein d’affaires que je dois faire au plus vite, parce qu’après 77 ans, tu n’es plus bonne à rien ! (rires)

Et pourtant, vous semblez avoir la vitalité nécessaire pour continuer encore longtemps…

Oui, j’ai encore l’énergie et l’émerveillement requis pour réaliser des projets et j’en suis bien contente. Mais, comme je le dis souvent, plus on vieillit, moins on rajeunit. Mais je n’ai pas peur des rides. Les gens aiment se faire tatouer partout sur le corps, alors que moi, mes tatouages, je les porte sur mon visage. Ce sont toutes ces petites lignes qui m’ont formée, qui me rappellent par où je suis passée. Vous pouvez lire ma vie dans ma face.

Justement, parlez-nous de cette vie si bien remplie.

J’ai eu une enfance heureuse, mais une adolescence tragique. De quitter cette enfance de jeu, d’imaginaire débordant, et de perdre ma meilleure amie Camille – avec qui j’étais fusionnelle depuis l’âge de quatre ans – parce qu’on n’avait plus les mêmes intérêts, ç’a été très difficile pour moi. J’ai vécu une grande déchirure, ma première peine d’amour. À l’adolescence, je n’avais pas d’amie intime, c’était la solitude. Mais je ne le disais à personne, pour ne pas inquiéter mes proches. Pont-Viau [le quartier où Michèle a grandi, à Laval] était tellement laid et gris ! Je me disais que si c’était ça la vie, je préférais partir. Sauter en bas d’un pont. Je m’en foutais de la vie. Quand on parle des adolescents qui ne savent plus quoi faire parce qu’ils n’ont pas de moyens et qui s’en prennent à leur propre vie, moi, je comprends leur sentiment de solitude immense, cette incapacité de faire le saut vers la vie adulte. J’avais tellement peur ! Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire dans la vie.

Ces femmes qui nous inspirent : Michèle Deslauriers

Alors, comment avez-vous réussi à retrouver la lumière ?

Le conservatoire m’a sauvée! C’est grâce à Victor Hugo – tellement intense, dramatiquement parlant –, que j’ai réussi à sortir de ma coquille, à plonger dans ce monde adulte et à dire byebye à mon adolescence. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais lâcher mon fou à travers mes rôles… et avoir autant de plaisir qu’un enfant.

Parlant de plaisir, vous avez bâti votre carrière autour de la comédie. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre-là ?

Dans la comédie, il y a souvent du drame. Le drame tourne au cauchemar et devient comique. Au conservatoire, on ne me voyait pas comme une comique, on pensait que j’allais avoir une carrière de tragédienne. Je pense qu’ils ne me connaissaient pas complètement ! En fait, c’est ma rencontre avec Jacqueline Barrette qui a tout changé. Elle se cherchait une actrice pour sa revue Ça dit qu’essa à dire. J’ai commencé à travailler avec elle et le spectacle a eu un énorme succès à travers le Québec. C’était un show à sketchs, qui mélangeaient la comédie et le drame. Les gens riaient autant qu’ils pleuraient. J’avais 23 ans… et les choses se sont enchaînées par la suite. Aujourd’hui, je travaille moins, c’est certain, mais je reste disponible – selon mon énergie et mon intérêt –, à un projet qui m’emballerait. Car pour moi, jouer, ce n’est pas un travail; c’est une réunion d’amis, c’est du plaisir. J’aime encore beaucoup le côté social de mon métier, l’équipe, la gang, la tribu.

Dans ce même esprit d’équipe et d’humour, vous avez été l’une des pionnières de la LNI au Québec. Quel rôle a joué l’impro dans votre parcours professionnel ?

Ça m’a donné une bouffée d’air frais. La première année [en 1977], c’était très expérimental, mais j’ai tout de suite trouvé ça merveilleux parce que c’était une aventure, la liberté d’inventer l’histoire comme on veut et, surtout, de ne pas avoir de texte à apprendre. Parce qu’il faut dire que j’ai de graves problèmes de mémoire. J’ai eu beaucoup d’accidents impliquant des coups sur la tête quand j’étais jeune et je suis certaine d’avoir fait au moins une commotion cérébrale. Bref, apprendre un texte a souvent été laborieux pour moi. J’ai développé des façons de m’en sortir, mais je devais travailler très fort. J’ai pleuré des soirées entières, parce que mes textes ne me rentraient pas dans la tête. J’ai finalement commencé à prendre des minéraux et ç’a changé ma vie ! J’avais six pilules à prendre chaque jour et tout le monde me disait que j’étais folle, mais ça ne me dérangeait pas parce que ça marchait. Alors, j’ai continué. Encore aujourd’hui, je suis branchée sur la médecine douce. 

Ces femmes qui nous inspirent : Michèle Deslauriers

Quand vous regardez tout le chemin parcouru depuis vos débuts, quel portrait dressez-vous de votre carrière ?

Des fois, je me dis que j’en ai fait, des affaires, mais il y a toujours des choses qu’on n’a pas encore accomplies. Comme dans le livre de Proust, À la recherche du temps perdu, quand je réalise quelque chose qui était sur ma liste depuis longtemps, je me dis que je rattrape tranquillement le temps perdu.

Qu’est-ce qui figure encore sur votre to-do list, aujourd’hui ?

Depuis mon enfance, j’ai un conflit avec la musique. J’ai appris le piano quand j’étais petite. J’ai suivi des cours et durant un concert, un jour, j’ai choké. Je n’étais plus capable de jouer une note, je tremblais et ç’a créé un grand traumatisme chez moi. J’étais fâchée contre le piano et fâchée contre moi, alors j’ai mis tout ça de côté. Mais pendant la pandémie, je me suis rassise devant mon piano, puis j’ai recommencé à jouer. Et ça me donne une joie intense. Je ne jouerai jamais devant public ; c’est pour moi que je le fais et pour moi seule. Je me suis donc officiellement réconciliée avec le piano. La prochaine étape sera probablement le dessin.

Est-ce que le fait d’obtenir un premier rôle, de porter un projet sur vos épaules est un rêve que vous chérissez ?

Je n’ai jamais couru après les premiers rôles. J’aime participer, mais je ne tiens pas à ce qu’on me voie dans chaque scène. Ça prend beaucoup d’énergie, de courage et d’investissement, un premier rôle. Mais j’ai quand même eu la chance d’avoir de très beaux rôles au fil des années. Samedi de rire, Pop Citrouille et toutes les émissions à sketchs où je devais interpréter toutes sortes de personnages m’ont beaucoup marquée. Comme les voix que j’ai faites dans l’émission ICI Laflaque et que je fais encore à la radio dans À la semaine prochaine. Le théâtre d’été avec Michel Forget et Pauline Martin aussi, ça m’a bien amusée. Sinon, je m’ennuie parfois de mon Ti-Brin [à qui elle prêtait sa voix dans l’émission jeunesse Passe-Partout]. C’est le garçon que je n’ai jamais eu. Ma fille Gabrielle a eu un fils et, chaque fois qu’il parle, il me fait penser à Ti-Brin. C’est un petit curieux qui veut tout voir.

Justement, le rôle de grand-maman semble être très important pour vous…

Oui ! J’ai toujours adoré les enfants. J’ai longtemps gardé les enfants de ma sœur, qui en a eu 12. Ils ont été mon premier public. Être grand-maman, c’est tellement un beau rôle! On renoue avec l’émerveillement, la naïveté, la candeur. Parfois, on a l’impression d’halluciner parce qu’on dirait qu’on revit les mêmes scénarios 30 ans plus tard. C’est fascinant ! Et c’est beau de voir la réaction de mes filles qui apprennent… et comprennent enfin ! (rires)

SES ACTUS

On peut entendre Michèle Deslauriers dans l’émission de radio humoristique À la semaine prochaine, diffusée à ICI Première le samedi à 11 h. Elle garde aussi sa porte ouverte pour de nouveaux projets.

Photos : Andréanne Gauthier
Assistante-photographe : Vanessa Brossard

Stylisme : Camille Internoscia
Mise en beauté : Geneviève Sauvé

 

 

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