Qui l’a choisi? Pour quelles raisons? Le portez-vous tel quel? Préférez-vous le diminutif, tronquez-vous les dernières lettres comme on roulait jadis nos jupes d’écolière pour se faire remarquer?
Vous l’avez entendu sur tous les tons. Dans les cours de récré, il a confirmé votre place aux jeux de ballon. Les jours de bêtises, votre mère l’a claironné dans un corridor de la maison. Un soupirant l’a gravé sur l’écorce d’un arbre ou le ciment frais d’un trottoir. À chaque anniversaire, au beau milieu d’une chanson, il éclate tel un feu de Bengale.
Le Québec d’aujourd’hui compte des milliers de Léa, Emma, William et Lucas. Dans les années 90, ce sont les Samuel, Thomas, Juliette et Gabrielle qui étaient populaires. Les modes ne datent pas d’hier, mais ne blâmez pas les parents. L’Église n’encourageait pas l’originalité: en 1545, elle ordonnait que l’on baptise tous les enfants sous le nom d’un saint. Les Marie, Joseph, Marc et Louis se multiplièrent. Le pli de la conformité est resté imprimé dans notre mémoire collective.
Déjà, enfant, je rêvais des prénoms que je donnerais à ma progéniture. Le jour de mes huit ans, j’ai reçu une poupée rousse en cadeau.
Première question de ma mère: «Comment vas-tu l’appeler?
– Carmen!»
Réponse: «Force-toi un peu, ma fille!»
Maman avait sa propre théorie sur le choix du prénom. Plusieurs fois enceinte à une époque où le sexe du bébé demeurait un mystère jusqu’à l’accouchement, elle gardait un vieux téléviseur dans son salon de coiffure. En début de semaine, quand le commerce était tranquille, elle scrutait le générique des films diffusés en après-midi.
«C’est une mine d’or pour trouver des prénoms qui sortent de l’ordinaire!»
Aucune importance le scénario ou le caractère du personnage, son intérêt se résumait à cette fabuleuse banque de prénoms venus d’ailleurs. C’est ainsi que dans un coin de la Mauricie, un village qui abritait des Sylvie, Danielle, Johanne et Manon, mes sœurs ont été baptisées Ruby et Mercedes.
Pour ses fils, oubliez les génériques! Elle me raconte sa technique en s’allumant une cigarette:
«Imagine l’entrée d’une belle maison, avec un escalier en chêne qui se divise au milieu. L’escalier est en forme de “T”, y a des marches qui tournent vers la droite, d’autres vers la gauche. Le vois- tu, l’escalier?
– Oui, oui je le vois. (Ma mère dépose sa cigarette et mime la suite.)
– Imagine que le téléphone sonne. Tu réponds: “Oui allô.” Oh! c’est une fille! Elle veut parler à ton beau grand garçon. Il est dans sa chambre, en haut de l’esca- lier. Supposons que tu cries: “Sylvaiiiiin, t’es demandé au téléphone!” D’après toi, un Sylvain, ça descend-tu un escalier?
– Euh…
– Non! Un Sylvain ça descend pas un escalier. Un Ti-Guy et un Mario non plus.
– Ah bon, pour quelle raison?
– Parce que.» (Retour à sa cigarette, fin de la saynette)
Pourquoi certains prénoms avaient-ils le panache nécessaire pour emprunter son escalier imaginaire et d’autres pas? Parce que!
Nous habitions un plain-pied modeste. Le seul escalier de la maison menait au sous-sol «pas fini». Maman pratiquait la visualisation. À l’époque on appelait ça «pelleter des nuages». En baptisant ses fils Richard, Charles et Philippe, elle rêvait pour eux, pour nous, d’un ailleurs meilleur. D’ici là, son trio royal et ses actrices devaient se rendre utiles. Les marches servaient à aller chercher des patates dans la cave.
Nommer un enfant n’est jamais anodin.
Votre prénom a été choisi parmi des milliers. Et même s’il vous semble «ordinaire», il ne l’était pas pour votre mère, pour votre père. Il avait un sens, il portait une histoire, un rêve. Il était celui qui pourrait un jour descendre et monter tous les escaliers du monde.
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