Le mot de Louis: Tais-toi, l’artiste?

10 Avr 2019 par Louis Morissette
Catégories : Oser être soi / Véro-Article
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Louis se demande si les artistes ont encore leur place dans les débats de société.

De tout temps, les personnalités du monde du spectacle ont toujours eu une place dans le débat public (dans les pays qui misent sur un système démocratique, on s’entend). À l’instar de Don Quichotte, l’artiste se range généralement du côté de la contestation, remettant en question l’ordre établi, préférant le bien commun aux profits individuels. Certains diront qu’ils sont rêveurs, d’autres, altruistes. Très peu d’artistes se rangent publiquement du côté des partis dont les orientations favorisent la libre entreprise et un capitalisme sauvage. Le Québec ne fait pas exception à cette règle: les artistes y ont joué un rôle important dans la montée du PQ durant les années 70, ainsi que dans la promotion de l’allégeance souverainiste lors des référendums de 1980 et de 1995.

Jusqu’à tout récemment, l’artiste était donc un atout pour les partis politiques. Il représentait une voix, une opportunité d’entrer en contact avec l’électorat à travers une personnalité qui n’avait généralement aucun intérêt personnel à défendre, contrairement aux hommes d’affaires désireux de faire des profits, aux politiciens ne pensant qu’à conserver leur poste, ou même aux journalistes qui sont, à toutes fins utiles, associés à l’allégeance de leurs employeurs respectifs, ce qui rend de plus en plus difficile l’accès à une information neutre et totalement impartiale.

Ça, c’était «avant». En 2019, je suis pratiquement convaincu que les agences de relations publiques aviseraient les partis politiques de se tenir loin des artistes. Parce que la «vedette» n’a plus la cote. Pire encore, les artistes semblent irriter une large portion de l’électorat lorsqu’ils sortent de leur cadre professionnel. Les États-Unis sont un exemple probant de cette tendance. Il ne s’écoule pas une journée sans que les populaires émissions de fin de soirée frappent à bras raccourcis sur le président Trump: The Tonight Show, The Late Late Show, The Daily Show, Conan O’Brienet j’en passe. Tous ont profité de leur tribune pour dénoncer les mensonges et le magouillage de ce président improvisateur. Ironiquement, chacune de ces attaques semble solidifier la base des supporteurs de Donald Trump, qui semble imperméable à tous les scandales. Les artistes qui le dénoncent ont si peu d’influence que le spectre d’un deuxième mandat Trump ne semble plus si farfelu.

Le fossé entre les artistes et la population s’est révélé assez évident lors de l’annonce du Pacte pour la transition*, projet parrainé par Dominic Champagne. Le pacte invite à poser des gestes pour protéger l’environnement à la mesure de notre réalité et de nos capacités. À l’image de plusieurs de mes collègues, j’ai signé le pacte. J’ai promis de faire des changements dans mon style de vie. Et je le fais.

Je ne suis pas parfait, je ne le serai jamais, mais je pose des gestes. Étant donné que toute prise de position amène son lot de commentaires positifs ou négatifs, je savais que le projet ferait jaser. J’avoue cependant avoir été totalement abasourdi par la violence des critiques à l’endroit des artistes: «Allez-vous fermer vos yeules, les donneurs de leçons? Y veulent me dire comment vivre? Les subventionnés qui font la morale… Ils veulent juste bien paraître!»

Je n’ai jamais compris ce qui dérangeait autant les gens. La participation au pacte se fait sur une base volontaire et vise à protéger un bien commun, beaucoup plus grand que nous: la Terre. Tu n’es pas d’accord avec moi? C’est correct, je suis un habitué de la critique. C’est le ton des échanges qui m’agace. Pourquoi tant de violence dans les propos? Pourquoi se sentir si persécuté par une pétition en ligne?

Il serait trop facile de rabrouer les auteurs de ces commentaires ou les gens qui nourrissent la colère de la population avec des arguments populistes remplis de raccourcis intellectuels qui font dévier le débat. Les artistes doivent pousser la réflexion plus loin et repenser leur engagement. Car le message ne passe plus. La population a peut-être tellement entendu les artistes s’exprimer qu’elle en a marre. «Faites-moi rire, faites-moi pleurer, mais ne vous mêlez pas du reste» est une position malheureusement trop répandue. En s’exprimant à répétition sur les réseaux sociaux, en prêtant leurs voix à des marchands de chaussures, de voitures et en « influençant » le consommateur, les artistes (au sens large) ont peut­-être miné (vendu) leur crédibilité.

J’ai un respect infini pour mes collègues qui continuent de s’indigner et qui mènent des combats idéologiques et totalement altruistes. Mais personnellement, je commence à en avoir ma claque. L’usure des années me rattrape et m’essouffle. Parce que, contrairement à ce que certains pensent, l’artiste ne gagne rien en prenant position. Il se rend vulnérable, car s’aliéner une partie de la population n’est jamais une bonne idée. L’artiste a-t-il encore sa place dans le débat? Je n’ai pas la réponse. Mais je sais qu’à l’avenir, je vais céder la mienne.

* lepacte.ca

 

Cet article provient du numéro de printemps 2019 du magazine VÉRO.

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Photo: Andréanne Gauthier



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  1. M.J. Godbout dit :

    Non. Pour moi, la perte totale de crédibilité des humoristes québécois est survenue au Gala des Oliviers 2015. Télévisé.

    Lorsqu’ils sont arrivés sur scène, le masque sur la bouche, avec cette malheureuse tentative de récupération politique anti censure avec cette affreuse analogie entre le massacre islamiste de Charlie Hebdo et les démêlés judiciaires de Mike Ward ! Alors qu’aucun d’entre eux n’avait eu le courage de condamner publiquement ici, le massacre religieux de ces caricaturistes violemment assassinés C’est ce soir-là qu’ils ont eu l’air de vrais bouffons.

    Et leur silence complice, durant des années sur les agressions sexuelles de Rozon, les a rachevés.

  2. lavoie dit :

    Les gens n écoute plus ils ne font qu entendre . sont deja a repondre et ta meme pas fini ta phrase .pour finir par te dire c est pas ca que tu a dit .

  3. Laurent Juneau dit :

    L’artiste a-t-il encore sa place dans le débat? Je n’ai pas la réponse. Louis M .
    Je pense que OUI : premièrement à titre de citoyen, comme tout le monde . Deuxièmement , par responsabilité sociale ; le public vous aime et participe à votre réussite ; vous avez une tribune exceptionnelle et vous devez vous en servir pour faire avancer le débat sociétal , même si cela implique que vous ne pouvez pas plaire à tout le monde . Le citoyen « ordinaire » a les mêmes obligations et subit les mêmes effets, sans posséder le même  » pouvoir de paroles  » . Même si c’est difficile et que cela va provoquer le débat, ( avec son lot de stupidités…), je crois qu’il est de votre « devoir » de prendre la parole . Bonne réflexion M. Morissette .

  4. Hélène B dit :

    Les artistes doivent prendre position. Ils sont des citoyens et ils ont une tribune. Ils ne faut pas céder aux imbéciles qui critiquent sans rien faire.

  5. Normand Beaudet dit :

    Deux petite choses, sur le ton des réaction. Bien, dans les luttes sociales, c’est le quotidien de bien des travailleurs de milieux. Surtout sur le terrain avec les poqués! A un moment, on en fait plus un cas.

    Pour « laisser sa place »; vous ne seriez pas le premier et vous avez le loisir ou le luxe de le faire. Mais ce n’est pas le cas des gens opprimés! Il est justement là le coeur du problème!

  6. Normand Beaudet dit :

    Comme militant depuis plus de trente ans, je peux témoigner du fait que les choses ont bien changées. Il fut un temps où il était possible d’envisager voir un artiste débarquer dans nos organismes et se joindre à une cause citoyenne, et soutenir le travail des militants. Travailler au quotidien avec les gens qui se tuent, et luttent depuis longtemps pour faire avancer les causes.

    Les artistes ont organisés des événements,télévisuels, des spectacles, de grands événements festifs pour soutenir le pénible travail de lutte sur le terrain. Mais la culture semble avoir changé. On ne voit dorénavant que peu d’artistes faire comme Monsieur Deschamps, et soutenir les actions terrain. Peu font maintenant comme le fait de façon exemplaire Dan Bigras, soit identifier une cause, et utiliser son talent, ses contacts et sa notoriété pour soutenir les gens qui font le travail terrain.

    Les artistes aujourd’hui prennent tout l’espace. Ils semblent partir en croisade. Ils utilisent leur notoriété souvent pour la cause du moment, et lorsque adviendra une nouvelle cause, ils passeront au suivant, comme je l’ai vu à maintes reprises. Au lieu de soutenir le pénible travail des milieux sociaux et communautaires. ils partent leur propres projets et initiatives. Ils forment leurs propres organismes et viennent utiliser la maigre tarte de l’argent des dons et des commandites.

    Pourtant, nous savons tous que le système doit être changé en profondeur et que la solidarité entre les artistes et les gens qui luttent parfois depuis des décennies pour le changement social et une transformation de l’économie est essentielle. La question est comment refaire cette connexion, comment reconstruire ces alliances!

    Les gens du terrain sont bien capable de prendre la défense des artiste qu’ils sentent de leur côté. Mais lorsqu’une forte impression de croisade pour l’image transpire….On reste froid! Disons…

  7. Denise-Andrée Péloquin dit :

    Excellent article Louis ! Il serait dommage que tu cèdes ta place, tes propos sont très sensés et peuvent profiter à l’ensemble de la population ! Courage Louis…surtout ne ferme pas ta yeule !!!

  8. Marie Regimbal dit :

    Louis, votre analyse est tout à fait juste mais malheureusement triste. Et que dire de votre constat, un autre gâchis qui fait que des personnes comme vous se détachent et deviennent une voix silencieuse. Je respecte totalement votre opinion et attitude. Merci pour votre dévouement.

  9. Christian Genest dit :

    Entièrement raison ,c’est une des raisons pourquoi je suis venu vivre sous les tropiques pour faire ma part pour l’environnement ,du fait que je dépense moins en énergie de toute sorte pour y vivre
    Faite comme moi et acheter un terrain ici au Belize et sauver la planète ??????

  10. Louise Simard dit :

    Oui, je suis tout à fait d’accord que les artistes continuent et n’abandonnent pas de participer aux débats politiques et à représenter la voix de plusieurs d’entre-nous Québécois. Ils ont la chance d’être directement avec le public et les cotes d’écoute.

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