De tout temps, les personnalités du monde du spectacle ont toujours eu une place dans le débat public (dans les pays qui misent sur un système démocratique, on s’entend). À l’instar de Don Quichotte, l’artiste se range généralement du côté de la contestation, remettant en question l’ordre établi, préférant le bien commun aux profits individuels. Certains diront qu’ils sont rêveurs, d’autres, altruistes. Très peu d’artistes se rangent publiquement du côté des partis dont les orientations favorisent la libre entreprise et un capitalisme sauvage. Le Québec ne fait pas exception à cette règle: les artistes y ont joué un rôle important dans la montée du PQ durant les années 70, ainsi que dans la promotion de l’allégeance souverainiste lors des référendums de 1980 et de 1995.
Jusqu’à tout récemment, l’artiste était donc un atout pour les partis politiques. Il représentait une voix, une opportunité d’entrer en contact avec l’électorat à travers une personnalité qui n’avait généralement aucun intérêt personnel à défendre, contrairement aux hommes d’affaires désireux de faire des profits, aux politiciens ne pensant qu’à conserver leur poste, ou même aux journalistes qui sont, à toutes fins utiles, associés à l’allégeance de leurs employeurs respectifs, ce qui rend de plus en plus difficile l’accès à une information neutre et totalement impartiale.
Ça, c’était «avant». En 2019, je suis pratiquement convaincu que les agences de relations publiques aviseraient les partis politiques de se tenir loin des artistes. Parce que la «vedette» n’a plus la cote. Pire encore, les artistes semblent irriter une large portion de l’électorat lorsqu’ils sortent de leur cadre professionnel. Les États-Unis sont un exemple probant de cette tendance. Il ne s’écoule pas une journée sans que les populaires émissions de fin de soirée frappent à bras raccourcis sur le président Trump: The Tonight Show, The Late Late Show, The Daily Show, Conan O’Brienet j’en passe. Tous ont profité de leur tribune pour dénoncer les mensonges et le magouillage de ce président improvisateur. Ironiquement, chacune de ces attaques semble solidifier la base des supporteurs de Donald Trump, qui semble imperméable à tous les scandales. Les artistes qui le dénoncent ont si peu d’influence que le spectre d’un deuxième mandat Trump ne semble plus si farfelu.
Le fossé entre les artistes et la population s’est révélé assez évident lors de l’annonce du Pacte pour la transition*, projet parrainé par Dominic Champagne. Le pacte invite à poser des gestes pour protéger l’environnement à la mesure de notre réalité et de nos capacités. À l’image de plusieurs de mes collègues, j’ai signé le pacte. J’ai promis de faire des changements dans mon style de vie. Et je le fais.
Je ne suis pas parfait, je ne le serai jamais, mais je pose des gestes. Étant donné que toute prise de position amène son lot de commentaires positifs ou négatifs, je savais que le projet ferait jaser. J’avoue cependant avoir été totalement abasourdi par la violence des critiques à l’endroit des artistes: «Allez-vous fermer vos yeules, les donneurs de leçons? Y veulent me dire comment vivre? Les subventionnés qui font la morale… Ils veulent juste bien paraître!»
Je n’ai jamais compris ce qui dérangeait autant les gens. La participation au pacte se fait sur une base volontaire et vise à protéger un bien commun, beaucoup plus grand que nous: la Terre. Tu n’es pas d’accord avec moi? C’est correct, je suis un habitué de la critique. C’est le ton des échanges qui m’agace. Pourquoi tant de violence dans les propos? Pourquoi se sentir si persécuté par une pétition en ligne?
Il serait trop facile de rabrouer les auteurs de ces commentaires ou les gens qui nourrissent la colère de la population avec des arguments populistes remplis de raccourcis intellectuels qui font dévier le débat. Les artistes doivent pousser la réflexion plus loin et repenser leur engagement. Car le message ne passe plus. La population a peut-être tellement entendu les artistes s’exprimer qu’elle en a marre. «Faites-moi rire, faites-moi pleurer, mais ne vous mêlez pas du reste» est une position malheureusement trop répandue. En s’exprimant à répétition sur les réseaux sociaux, en prêtant leurs voix à des marchands de chaussures, de voitures et en « influençant » le consommateur, les artistes (au sens large) ont peut-être miné (vendu) leur crédibilité.
J’ai un respect infini pour mes collègues qui continuent de s’indigner et qui mènent des combats idéologiques et totalement altruistes. Mais personnellement, je commence à en avoir ma claque. L’usure des années me rattrape et m’essouffle. Parce que, contrairement à ce que certains pensent, l’artiste ne gagne rien en prenant position. Il se rend vulnérable, car s’aliéner une partie de la population n’est jamais une bonne idée. L’artiste a-t-il encore sa place dans le débat? Je n’ai pas la réponse. Mais je sais qu’à l’avenir, je vais céder la mienne.
Cet article provient du numéro de printemps 2019 du magazine VÉRO.
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Photo: Andréanne Gauthier