Céline Paradis était une femme comblée qui croyait avoir rencontré son prince charmant, jusqu’à ce qu’il l’entraîne dans la spirale de la violence conjugale. Elle nous raconte son histoire et explique ce qui l’a amenée à vouloir aider d’autres femmes victimes comme elle.
Véro Céline, parlez-moi un peu de la vie que vous meniez avant de rencontrer votre agresseur et de faire connaissance avec la violence conjugale.
Céline J’étais sportive, j’avais un bon travail, mes deux filles… Cet homme, je l’avais fréquenté alors que j’étais plus jeune. Je l’avais quitté à cause de son caractère agressif. Il ne s’en prenait pas à moi, mais des claquements de portes, j’en ai entendu… Au cours des 25 ans qui ont suivi cette rupture, nos vies se sont croisées à plusieurs reprises. On se saluait. On s’échangeait des banalités. Rien de plus.
Véro À toujours croiser la même personne, est-ce qu’on ne finit pas, au bout de quelques années, par interpréter ça comme un signe?
Céline Oui, comme s’il y avait quelque part un fil invisible qui nous unissait. Pendant toutes ces années, je me suis demandé pourquoi j’avais des nouvelles de lui aussi souvent. J’ai fini par comprendre au long des mois où j’ai vécu la violence.
Véro Il s’arrangeait pour croiser votre route?
Céline Exactement. Je croyais à des coïncidences, alors que lui a toujours su où j’étais et ce que je faisais. À ma fille aînée, qu’il a un jour croisée, il a demandé de mes nouvelles et mon adresse courriel pour m’écrire. Les échanges de courriels sont devenus des appels téléphoniques. Dans ce qu’il disait et à la façon dont il s’exprimait, je sentais une douceur, un changement…
Véro Bien sûr, le classique «il a changé!», ce qui est toujours possible, évidemment. Ce n’est quand même pas naïf de croire que ça peut arriver. Dans la vie, on évolue… Je le vois aussi comme le fait de donner une chance à quelqu’un, de faire preuve d’ouverture d’esprit.
Céline En effet. On a partagé un premier souper, une première journée ensemble et les choses se sont vite enchaînées. Lui chez moi, moi chez lui. On passait de plus en plus de temps ensemble et je suis vite redevenue amoureuse.
Véro C’était sérieux, donc.
Céline Il n’était plus l’homme que j’avais connu à l’époque. C’était un vrai gentleman. Il m’ouvrait la portière de la voiture, la porte d’entrée, je me réveillais le matin avec l’odeur du café et des fleurs sur l’oreiller. C’était un prince charmant.
Véro Un vrai conte de fées, quoi! À quel moment son comportement a-t-il changé?
Céline À partir du moment où j’ai emménagé chez lui, fin septembre 2011. Son caractère a refait surface au début de novembre.
Véro Diriez-vous que c’était comme s’il avait attiré «sa proie» et qu’une fois que vous êtes tombée dans le piège, il a changé? Parce qu’à ce moment-là, il savait que vous lui apparteniez?
Céline C’est ça. Tout s’est fait graduellement. Par exemple, j’allais régulièrement chez la coiffeuse. C’était ma gâterie. Lui me disait que j’étais belle au naturel et que de se faire coiffer c’était de l’argent gaspillé. J’ai fini par faire mes colorations à la maison.
Véro Comme s’il cherchait à vous éloigner des gens autour de vous. C’est un signe, non, l’isolement?
Céline Absolument. Mes filles, qui n’habitaient pas avec nous, ne pouvaient pas nous visiter sans s’annoncer. Ça dérangeait son quotidien, et le temps que je passais avec elles, je n’étais pas avec lui. Dans le cycle de la violence conjugale, tout ce qui se passe dans la maison est de la faute de la femme. S’il perd ses clés, c’est elle qu’on accuse de ne pas avoir remis le trousseau à sa place. Puis, après la colère, arrivent les excuses, à genoux et en larmes. Il t’achète un bouquet de fleurs et te sort au resto.
Véro Et puisque vous êtes amoureuse, vous voulez le croire. Personne n’a envie de se séparer et de tout recommencer.
Céline En effet. Et puis il y a eu ce jour de janvier où il m’a agressée physiquement, alors que la plus jeune de mes filles était présente. J’ai vraiment eu peur pour ma vie, assez pour demander qu’on compose le 911. Les policiers sont venus, je suis partie, mais dès le lendemain – après plusieurs coups de fil et belles promesses de sa part –, je suis rentrée à la maison.
Véro On a parfois tendance à juger les femmes victimes de violence. Comme si elles n’avaient qu’à partir. J’imagine qu’il y a aussi un lien affectif. On n’arrête pas d’aimer quelqu’un en quelques heures.
Céline À un moment donné, ce n’est plus de l’amour, mais un sentiment d’appartenance. Tu deviens sa marionnette. Et puis, il y a les menaces. C’est la peur qui m’a retenue. Parce qu’il promettait de me retrouver.
Véro Racontez-moi la fois où, là, vous avez dit: «C’est assez!»
Céline Suivant l’appel au 911, une procédure a été engagée contre lui parce que ma fille adolescente était présente lors de l’agression. Il a été appelé à comparaître pour voies de fait. La veille de sa comparution en cour, je lui ai dit que je ne l’accompagnerais pas. Il a pris mon cellulaire, me l’a lancé par la tête.
Véro Vous sentiez que ça allait exploser?
Céline Oui. J’ai pris mon sac à main, mes jambes à mon cou et je suis partie, en taxi. J’ai passé la nuit à l’hôtel. Le lendemain, quand la procureure m’a téléphoné pour me demander si j’étais en route pour la cour, je lui ai tout raconté. Elle m’a conseillé d’appeler au CAVAC, le centre d’aide aux victimes d’actes criminels. Les onze mois qui ont suivi, j’ai vécu en maison d’hébergement. Moi qui pensais que c’était comme un dortoir. C’était loin d’être ça. J’ai été accueillie à bras ouverts, et avec le plus grand respect.
Véro C’est important de le dire, pour rassurer les femmes qui voudraient quitter un homme violent mais qui ont peur. Les centres sont là pour aider celles qui sont malmenées par la vie. Maintenant vous faites des conférences devant des femmes victimes de violence. Comment cette idée d’aider les autres a-t-elle pris place dans votre vie?
Céline Je me souviens, au début, j’étais incapable d’en parler. Puis, au fil des jours et des semaines, j’ai commencé à écrire, pour moi. C’est devenu une conférence que j’ai appelée «On a toujours le choix». Car peu importe ce qui nous arrive dans la vie, on a toujours le choix du «comment on va le vivre». Ce que je dis aux gens, c’est que s’ils voient un changement de comportement chez une personne qui leur est proche, de simplement lui dire qu’ils sont là pour elle. Parce que la décision de partir, c’est à elle qu’elle revient. Elle le fera quand elle sera prête. Inutile de mettre de la pression.
Véro Céline, merci infiniment pour cette grande générosité et ce témoignage qui, on le souhaite, redonnera de l’espoir aux femmes victimes de violence.
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Photo: Pierre Manning (Shoot studio)
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