Belle, talentueuse, célèbre, aimable, chic. La jeune actrice irradie de mille étincelles. Mais pour KIM THÚY, elle est beaucoup plus que ça. Portrait lumineux.
Karine. Vous connaissez sa feuille de route et ses exploits. Vous l’avez vue grandir et devenir adulte sous vos yeux. Vous appréciez ses talents d’actrice. Vous l’admirez en tant que femme intelligente, réfléchie, performante, disciplinée et belle dans le sens le plus large du terme. Comme vous, j’ai une admiration infinie pour son travail. Mais, plus encore, j’éprouve une affection inconditionnelle pour elle. Peu importe les aléas de la vie et l’usure du temps qui passe, j’ose vous confirmer, avec certitude, qu’elle occupera toujours une place bien précise dans mon coeur, parce que je l’aime comme une soeur.
Je pourrais vous dire que je l’aime parce que nous avons souvent ri et pleuré ensemble jusque tard dans la nuit dans ma petite voiture jaune stationnée derrière mon ancien restaurant. Je pourrais aussi l’aimer parce que nous avons conduit un jour d’automne jusqu’à New York et passé tout un après-midi dans une librairie du quartier Little Tokyo, où nous avons ouvert beaucoup de livres, avant d’en acheter plusieurs pour les lire ensemble en fin de journée, dans le loft de mon oncle Qui, près du Queensboro Bridge. Je pourrais aussi l’aimer parce que nous avons souvent le même goût pour les objets dénichés dans les coins et recoins des boutiques et magasins de toute sorte. Je pourrais facilement l’aimer parce que nous avons passé beaucoup de temps à chuchoter nos inquiétudes et nos secrets dans les musées, ce qui nous faisait manquer l’exposition.
Ces moments de complicité entre nous sont innombrables. Eux seuls suffiraient à constituer une amitié. Mais la vie m’offre toujours plus. Karine m’offre toujours plus.
Karine Vanasse, touchée par les autres
Nous nous connaissions à peine que, déjà, elle m’offrait d’aller chercher mon fils à l’école, parce que ma voix semblait fatiguée au bout du fil après une de ces longues journées de travail au restaurant. Lorsque mon fils autiste, Valmond, a eu son seul malaise d’estomac à l’école, Karine s’est portée volontaire pour le ramener à la maison pendant que je prenais la route pour revenir de Québec. Un long trajet de deux heures et demie pendant lesquelles Karine a eu le temps de nourrir et de «guérir» Valmond, car je l’ai retrouvé tout souriant, collé à elle comme un koala autour de sa branche d’arbre. À ce moment-là, Karine devait avoir 25 ans ou même moins, elle n’avait pas d’enfant, et encore moins d’enfant autiste. Pourtant, elle n’a pas hésité une seule seconde à prendre soin de Valmond. En fait, elle ne fait jamais que seulement le garder. Un jour où j’étais en voyage, au lieu de simplement aller chercher Valmond à son camp et de l’amener chez mes parents, comme prévu, elle l’a sorti faire du patin à roues alignées et l’a amusé à la maison pendant une heure pour alléger mon absence. Ce n’est pas grand-chose, pensez-vous? Je vous dirais exactement le contraire, parce que je connais peu de jeunes filles (sans formation) qui s’empresseraient de s’occuper d’un enfant autiste non verbal… pour rien. Je suis aussi certaine qu’il n’y en a pas beaucoup non plus qui se seraient exclamées de bonheur comme l’a fait Karine lorsque Valmond a léché le crémage du gâteau qu’elle venait de terminer pour célébrer l’anniversaire de son amoureux.
Je vous ai parlé de Valmond, mais Karine est attentive aux besoins de chacun. Autour d’une table, ou dans la vie, elle est de celles et ceux qui remarquent la fourchette manquante, la résignation dans le mouvement d’une paupière, le silence d’une irritation qui se retient… Elle s’occupe et se préoccupe beaucoup des autres, tellement que, parfois, elle s’oublie. Tellement que, parfois, j’oublie de prendre soin d’elle.
Le goût de l’amitié
J’ai eu cette rare chance de connaître Karine avant de découvrir son travail et sa notoriété. Elle est arrivée dans ma vie un soir d’hiver, en pleine tempête, vers la fin de mon aventure en restauration. Elle était cliente, et moi, chef propriétaire. J’étais à bout de souffle, et elle, en réflexion. Elle voulait manger, je voulais fermer. C’était une jeune fille en fleur, et moi, une mère de deux enfants, mariée depuis des lustres. En principe, rien n’aurait dû nous lier. Pourtant, il y a eu les premiers sourires dès les premières minutes. Et la rencontre a eu lieu comme une évidence.
Karine est devenue une habituée de mon ancien restaurant. Puis, mon équipe et moi l’avons considérée comme une des nôtres, parce qu’elle pouvait entrer et sortir de la cuisine comme bon lui semblait. Mais surtout, parce qu’elle n’hésitait jamais à servir ou à desservir les tables quand nous étions débordées ou quand il manquait une serveuse. Nous étions une petite équipe de trois, alors l’absence de l’une de nous était lourde à porter. Un jour, il manquait une place pour un groupe de quatre personnes. Plus vite que l’éclair, Karine a emporté son assiette et son verre d’eau pour leur laisser sa chaise. Elle est allée terminer son plat dans le petit «espace bureau» de 50 cm2 derrière le réfrigérateur, le nez collé sur le serpentin. C’était l’été, je fondais au-dessus du feu, et elle, dans la chaleur des machines.
Notre amitié est née dans les bruits assourdissants de cette cuisine et s’est scellée dans les enveloppes remplies de mots que nous nous envoyions. Même si nous nous voyions en personne, certaines émotions s’exprimaient mieux avec le mouvement de la main, avec la forme des lettres, avec le temps du voyage entre deux adresses postales. Parfois, l’impatience du moment me faisait conduire jusqu’à sa boîte aux lettres, où je déposais une carte trop belle pour attendre le facteur. De même, parfois, une note nocturne ou très matinale de Karine m’attendait entre le pare-brise et l’essuie-glace de ma voiture. Vous ne le savez peut-être pas, mais Karine écrit merveilleusement bien. Elle écrit de la même manière qu’elle joue: en portant avec grand soin chaque mot dans sa main, sur sa langue. Je me souviens d’une fois où elle a poursuivi la lecture d’un de mes livres fétiches après le coucher du soleil sur les marches éclairées d’une église à Mont-Saint-Hilaire. Le soir même, nous avons jubilé ensemble en lisant nos passages préférés.
Karine Vanasse, plus grande que nature
Vous pensez certainement que j’exagère ou que je manque d’objectivité en faisant ce portrait intime de Karine. Pourtant, je ne peux vous offrir ici qu’un concentré, comme les essences contenues dans une goutte de parfum. D’ailleurs, un soir, Karine m’a apporté des échantillons de quelques parfums qu’elle croyait que j’aimerais. Elle ne cherchait pas à développer mon odorat, mais à trouver une senteur qui me définirait. J’ai écrit dans mon livre Ru qu’un certain Guillaume m’avait emmenée à Paris pour créer un parfum qui me ressemblerait et qui me donnerait par le fait même «un pays». Je vais vous décevoir en vous révélant que ce Guillaume n’existe pas. L’idée de créer un univers avec une odeur est inspirée de l’un des échantillons de Karine que j’ai adopté et porté comme une deuxième peau. Grâce à elle, un ami m’a redonné un foulard que j’avais oublié dans sa voiture en me disant qu’il avait pu identifier la propriétaire de l’objet parce qu’il sentait «moi». Je dois à Karine le bonheur de sentir une blouse quand j’ouvre ma valise et de ressentir qu’elle m’appartient. Je reconnais depuis peu ma voiture grâce à son parfum tout léger de lavande, et mon bureau, grâce à son odeur d’eucalyptus ambré; deux derniers ajouts de Karine pour m’encourager à occuper et à amplifier mon «territoire».
Sans Karine, peut-être que Ru n’aurait pas existé. Le carnet de notes qu’elle m’a rapporté de son voyage à Bangkok était si joli qu’il m’a incitée à donner de la vie aux feuilles en lui insufflant des mots. C’est ainsi que les premières pages de Ru ont vu le jour. Karine a été témoin de cette nouvelle étape de ma vie: je lui ai demandé de venir me rejoindre dans un café près du restaurant où je l’ai forcée à m’écouter lire les premiers paragraphes. Un mois après cette lecture, j’ai fermé le restaurant et continué l’écriture du texte. Karine m’a suivie mot à mot, jusqu’à la fin, jusqu’au point final, soit le moment exact où elle est venue me porter une imprimante. Elle est repartie avec une des deux copies imprimées. Je crois qu’elle était heureuse non pas pour moi, mais avec moi, de cet accomplissement, même si, toutes les deux, nous ne soupçonnions aucunement le destin fabuleux de ce texte.
Afin que vous me croyiez, que vous sachiez qu’elle n’est pas une création de mon imagination ou une amie imaginaire, et qu’elle est bel et bien un être humain, je partage avec vous son plus grand défaut. Karine ne sait pas qu’elle est plus que belle. Elle ne sait pas qu’elle est encore plus belle à 30 ans qu’à 25 ans. Chaque fois que je la vois de loin, je suis immanquablement surprise par sa grandeur, parce que, quand elle est à mes côtés, elle se fait toute petite pour être à ma hauteur et non pas à la sienne. Elle s’adapte à nous et tente le plus possible de ne pas nous faire de l’ombre. Je sais qu’elle est déjà très grande, notre Karine. Mais je sais aussi qu’elle sera immense le jour où elle déploiera entièrement ses ailes. Un peu comme les carouges, Karine n’a pas encore laissé voir tout le rouge de ses épaulettes. Il va sans dire qu’elle est née avec des talents naturels, mais elle est devenue une perle rare grâce à son travail acharné et à sa soif d’apprendre. Elle ne sait pas qu’elle possède la force nécessaire pour soulever toute montagne et traverser toute rivière. Un jour, elle finira par me croire et par ne plus s’excuser d’être plus grande que nature.
Photo: Maude Arsenault (judy inc.) / Assistant-photographe: Yannick Fournier / Direction artistique: Chantal Arès / Stylisme: Yso (folio) / Mise en beauté: Leslie-Ann Thomson (folio), avec les produits capillaires tresemmé et mac.
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le sixième numéro de Véro magazine, à la page 29, avec le titre « Un soleil radieux ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.