Ingrid St-Pierre: la peuplade d’imparfaites

Ingrid_St_Pierre_magazine_VERO
21 Oct 2019 par Ingrid St-Pierre
Catégories : Oser être soi
Icon

La réflexion d'Ingrid St-Pierre sur notre quête de la perfection.

Je n’avais rien d’une fille parfaite. Un jour, j’ai décidé de l’être.

Humainement, artistiquement, académiquement, physiquement; ce qui m’importait, c’était d’être parfaite. Pourtant de nature très timide, j’étais néanmoins présidente de l’école, impliquée partout, douée en arts et en sports, dévouée, respectueuse, souriante. On me voulait douce et sage? Je le devenais. On me voulait drôle, orageuse et forte? Je l’étais.

Pour ne jamais décevoir, je devenais tout ce qu’on attendait de moi. J’étais en quelque sorte l’écorce de moi-même et je distillais les regards pour me remplir à grandes gorgées. Je disais «oui», j’acquiesçais à tout. Je voulais être gentille et dévouée, mais pas insipide, je voulais être belle sans être superficielle, douce mais pas naïve, mince mais pas anorexique, sage mais pas plate, libre mais pas volage, vraie mais pas déstabilisante, forte mais un peu vulnérable aussi. Bref, je me suis déguisée en parfaite pour plaire à tout prix.

Honnêtement, je ne sais pas trop pourquoi. J’ai pourtant grandi dans une famille aimante. J’ai eu de l’amour à m’en «feu d’artifier» le cœur. Malgré cela, je me croyais inapte à être appréciée sans artifice. À mes yeux, j’étais inhabitable. Je ne me sentais jamais à la hauteur. Ma danse de séduction devenait ma marche funèbre; je mourais à petit feu et je brillais par mon absence dans ma propre vie. Je crois que je faisais de l’authenticité sélective et ce n’était pas par manque de sincérité envers les autres. C’était plutôt par manque de considération et d’estime envers moi-même. Puis, un jour, j’ai compris…

Les chefs-d’œuvre parfaits, ça n’existera jamais.
Après un épisode d’épuisement, j’ai décidé que j’en avais assez de cette mascarade ridicule. J’en avais marre de gaspiller mon énergie à essayer désespérément d’atteindre une perfection impossible, égocentrique et totalement inutile. Petit à petit, j’ai compris. Être aimée, c’est bien. Mais être aimée par soi-même et par les autres tout en étant profondément vraie, c’est magnifique. À 33 ans, j’étais fière de moi, pour la toute première fois de ma vie. J’ai osé être, sans avoir peur de décevoir. J’étais libre. Je me trouvais belle pour vrai. Tout est devenu plus simple, doux et facile. Je me suis donné le droit d’être fâchée, triste, heureuse, de mauvaise humeur, fatiguée, dépassée. Je me suis donné le droit à l’erreur, le droit de dire non, de demander de l’aide, d’échouer, de me relever.

Évidemment, j’ai toujours envie d’être une meilleure humaine. J’aspire encore à reconnaître et à dépasser mes limites, mes faiblesses et mes défauts, tout en étant consciente que la perfection n’existe pas. Je suis la Ingrid timide, la Ingrid forte et fougueuse, l’intense, la folle à lier, l’insouciante, la distraite, l’anxieuse, la romanesque, la chanteuse, la maman, l’amie, l’amoureuse… À moi toute seule, je suis une peuplade d’imparfaites.
Partout, on prône le naturel, le vrai et l’authentique. On veut voir la beauté saine et diversifiée, mais je me demande si le réel nous suffit vraiment. Est-ce qu’on peut réellement se contenter d’une réalité sans fard? Sommes-nous prêts, en tant que société, à se fusiller de vérités absolues, alors qu’à la télé, sur nos écrans et les réseaux sociaux, on manipule et contrôle la réalité?

On veut voir le réel, mais on adore les filtres qui le magnifient habilement. On incite les gens à être vrais et naturels, mais on valorise la performance et la perfection. On veut être souverains dans nos choix sans dépendre de l’approbation des autres, mais on veut désespérément des likes sous nos photos Instagram. On veut être parfaitement désirable et désirée, mais à quel prix? Je pense qu’on a encore du chemin à faire en tant que société. On veut l’imparfaite vérité sans filtre… ou la sublime illusion parfaite?

Ingrid St-Pierre est une auteure-compositrice-interprète. Elle est présentement en tournée après la sortie de son dernier album, Petite plage. Pour plus d’information, on visite le site ingridstpierre.com.

À lire aussi:

Le billet d’humeur d’Ingrid St-Pierre: 33 ans bientôt 4
Le mot de Louis: le drame à la mode
Le billet d’humeur d’Ingrid St-Pierre: Nos étés



Catégories : Oser être soi
0 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée.

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine