J’ai cessé d’attendre l’été

08 Août 2017 par Ève Déziel
Catégories : Oser être soi
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L'été est la seule saison dont le nom correspond aussi à la conjugaison d'un verbe - être, en l'occurrence - au participe passé. Que vous lisiez ce mot à l'endroit comme à l'envers, son homonyme signifie «hier, jadis, naguère».

L’été n’est pas, il fut. C’est le genre d’invité qui reste dans le cadre de porte, déclinant votre invitation à dormir. Vous aurez beau insister, lui rappeler l’achat de votre nouveau barbecue haut de gamme, lui offrir un verre de votre meilleur rosé, il sourira, puis vous fera la bise, en glissant sa paume chaude au bas de votre dos. Vous frissonnerez pendant une fraction de seconde, votre front frôlera sa poitrine, mais ce cœur que vous croirez entendre ne sera rien d’autre que le son du moteur de son char qui roule à l’extérieur. Vous murmurerez: «Tu ne restes pas, tu avais pourtant promis?»

Il répondra: «Non, pas aujourd’hui… Mais attends-moi, je reviendrai.»

L’été est un beau parleur qui arrive des États-Unis au volant de sa décapotable louée, un cure-dent à la menthe entre les dents, pieds nus dans ses mocassins bon marché. Sa chemise en lin sent bon les draps séchés au grand vent.

L’été n’arrive pas, il surgit. Il ne disparaît jamais tout à fait non plus; il s’absente, selon son bon vouloir. Il est comme ça: à prendre ou à laisser. Et, pour ma part, je le prends, parce que dès le mois d’avril je commence à errer en manque de temps doux, de chevilles dans l’eau, de cornets de crème molle au parc, de siestes sous le parasol. J’erre comme une junkie en quête de sa méthadone. Je ne compte plus nos rendez-vous manqués. Chaque fois, je lui ai pardonné.

Je suis comme ça: d’un papier souillé, je fais des origamis. J’enjolive ses menteries, je finis par croire qu’il est ce qu’il n’a jamais été. Par exemple, je suis persuadée qu’un soir de perséides, il a déposé un grain de sable sur chacun de mes grains de beauté en murmurant mon prénom cent fois dans la nuit. Je me repasse en boucle ce moment glorieux, devant ce lac beau comme une cathédrale, cet instant sacré où il versé quelques gouttes de Prosecco au creux de ma clavicule dénudée pour ensuite y tremper l’extrémité de son majeur, faisant de moi son bénitier.

Mais quand j’ouvre les yeux, je veux dire quand je regarde vraiment la réalité,  mon amoureux est un infidèle qui se rhabille en sifflant un air païen. L’été est ce qu’il a toujours été: séduisant, imprévisible et menteur. On le croit descendant de Casanova, mais il a plutôt hérité de l’ADN du commis voyageur. Au temps des lilas, il cogne à notre porte, l’air de dire à chacune d’entre nous: «J’ai pensé à toi toute l’année!» Ensuite, il se pousse, en ayant d’abord pris soin de nous vendre une sorbetière, une Vespa et une piscine hors terre.

Pendant des dizaines de printemps, j’ai planifié son retour en dressant des listes longues comme l’hiver. J’ai rempli des carnets de promesses estivales: nager un kilomètre tous les jours, inviter mes amis à de somptueux pique-niques, écrire à l’ombre le livre que je n’ai toujours pas écrit, marcher pieds nus sur les plus belles plages du Québec, cueillir à l’aube des framboises sauvages, apprendre enfin la différence entre une mésange et une sitelle, faire la sieste dans un hamac lovée sur mon amour. Pour lui plaire, j’ai passé des mois à courir, suer, jeûner. J’ai tout fait pour être plus jolie… et tant pleuré dans une cabine d’essayage, à demi nue devant un miroir offensant.

Cette année, je ne t’attends plus, beau gosse venu du Sud.

Si tu arrives, tant mieux. Si tu m’oublies, tant pis.

Je ne m’offrirai pas de nouveau maillot ni de robe affriolante et hors de prix pour te séduire.

Je resterai assise dans un beau fauteuil Adirondack, vêtue de mon petit pull marine «tout déchiré au coude qu’j’ai pas voulu recoudre», comme l’écrivait  Gainsbourg.

Si tu boudes, rechignes et m’envoies des nuages en représailles, je me bercerai à l’abri, chérissant le son de la pluie.

Et si cette volte-face provoque un froid entre toi et moi, je me blottirai dans un châle au bord d’un feu. De temps en temps, j’allongerai le bras pour caresser mon chien qui apprécie tout et n’espère jamais rien.

Cher été, pour la première fois, je n’ai rien prévu pour t’accueillir et te convaincre de rester. Rien du tout. Et ce rien fera tout mon bonheur.

Beau temps, mauvais temps.

Photo: Andréanne Gauthier

Ce billet est paru dans le magazine VÉRO d’été.

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  1. Merveille dit :

    Quel texte magnifique !
    Et quelle plume Eve !
    JE suis accro !

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