Certaines se réjouissent à l’idée de bronzer sur les terrasses torrides. Mais qui offrira la fraîcheur d’un ruisseau à celles qui souffrent de la canicule?
J’ai un aveu à vous faire: depuis que j’habite la ville, j’ai un rapport amour-haine avec la saison estivale. Dans ce pays de tempêtes, de mitaines et de tuques, d’hivers à -22 ºC, je devrais remercier à genoux toute forme de répit climatique. Mais dès qu’arrive juillet, l’éternel choc thermique entre les édifices trop climatisés et les trottoirs suffocants est d’une violence sans nom pour mon corps de nordique. Quand l’humidité pose sa main moite sur mon cou, que l’air absent prend toute la place et que ma peau fragile réclame des couches de crème à haute protection, je ne vis plus, je survis. En plein juillet, les jours de canicule, je me sens comme une boule de crème glacée tombée de son cornet. Mon moral fond, et j’ai l’air bête.
J’envie les femmes qui se prélassent sur les terrasses de la rue Saint-Denis, les épaules dénudées, le visage offert au soleil. Au même endroit, même sous un parasol, j’aurais le mal de mer. J’aimerais prendre plaisir à jouer au frisbee dans un des parcs de la ville ou rouler à vélo en chantonnant Let the Sunshine in. Mais, en juillet, je cherche l’ombre, j’attends désespérément la nuit pour vampiriser un peu d’air frais et retrouver un minimum de sang froid. Alors qu’on reconnaît enfin que des milliers de Québécois souffrent de la dépression saisonnière de novembre à février, on parle si peu de ceux qui souffrent quand le bulletin météo annonce 30 ºC!
C’est bien beau, les grandes chaleurs au bord d’un lac non pollué; c’est merveilleux, les vacances passées à faire le saut de l’ange dans une belle piscine de banlieue. Mais quand la cour se résume à un balcon surchauffé? Quand l’abribus ou la voiture se transforment en sauna? Quand tu n’arrives plus à enlever tes bagues passé midi?
Enfant, pendant les mois de juillet et d’août, je vivais à la campagne. Mon père avait creusé un lac artificiel à quelques pas de la maison. C’était d’abord pour l’ensemencer de poissons, qu’il s’amusait à pêcher plus tard dans la saison. Pour nous amuser, il avait conçu un plongeoir artisanal, une planche brute recouverte de poches de jute. Pourtant, peu de plongeons restent dans mon souvenir, car je suis de cette génération qui, après avoir mangé, devait absolument attendre trois heures avant de se «saucer». C’était sérieux! On nous menaçait de grosses crampes abdominales, crampes qui nous foudroieraient et nous feraient couler à pic comme une roche si on osait défier l’interdiction. À neuf ans, effrayée à la perspective de me noyer sous le regard médusé des truites et des barbottes, j’obéissais. Quand les trois heures s’étaient enfin écoulées, pas question de sauter à l’eau. Il fallait attendre qu’un adulte accepte de nous surveiller.
Mon père travaillait, ma mère aussi, et la gardienne en avait plein les sandales avec les plus petits. Résultat: on crevait de chaleur au bord d’un lac! Mais, heureusement, nous avions accès au sous-bois. Pas de règlement parental! Liberté totale! Et que cachait ce sous-bois? Une crique! (Au sens du mot anglais creek, qui désigne un petit ruisseau.) Ah… le bonheur de tremper mes chevilles dans l’eau froide, les cuisses sur la mousse fraîche, la tête à l’ombre des grands pins.
Au fil des déménagements, j’ai toujours habité au bord de l’eau ou à l’orée d’une forêt. Mais, depuis trois ans, je vis «en ville». C’est le bon choix pour des milliers de personnes. Pas pour moi.
Alors, s’il vous plaît, faites passer le mot: «Femme cherche racines près de Montréal. Besoin de chênes, d’érables ou d’autres géants verts, d’un cabanon pour soutenir une rose trémière, ainsi que d’une corde à linge pour accrocher deux ou trois rêves qui ont besoin de grand air. Petit faible pour gazon imparfait aimant les petits-enfants, les amis musiciens et les chiens sans laisse. Rosée fraîche pour pieds nus au lever. «Un trèfle à quatre feuilles serait apprécié.»
Sur ce, où que vous soyez, bonnes vacances, bon été!
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le quatrième numéro de Véro magazine, à la page 44, avec le titre « À l’heure d’été ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.