Je ne sais pas si c’est un des effets de «l’après-#MeToo» ou si c’est une vieille mentalité bien ancrée. Si c’est une posture trop «vulnérabilisante», si c’est de trop donner d’importance à son drame.
«J’pas une victime.» Une phrase que j’ai entendue une dizaine de fois durant le même mois, venant de femmes, à la télé, en entrevue, dans un podcast, paradoxalement après avoir parlé de drames dont je n’ose m’imaginer la souffrance, une douleur que je ne connais pas.
«J’pas une victime.» Ça me confronte parce que je me reconnais dans ce discours, j’y reconnais la fillette que j’étais, l’adolescente, la jeune vingtenaire, la trentenaire aussi. Je méritais donc les coups qui m’étaient donnés. J’aurais dû les esquiver moi-même, les prévenir, les voir venir, les désamorcer, rappliquer même.
«J’pas une victime.» Pourquoi marteler cette phrase après avoir énuméré douleurs et souffrances causées par d’autres, par des proches, des étrangers, par l’époque, la société ?
«J’pas une victime.» Cette phrase me choque, mais je la comprends. Je peux même la développer, l’expliquer, la justifier. «J’pas une victime.» Ne me traitez pas comme une enfant. Ne me regardez pas avec pitié. Ne doutez jamais de mon intelligence. N’allez pas croire qu’on peut m’enfirouaper.
«J’pas une victime.» Pour ne pas se vulnérabiliser. Se déclarer faible, perdante aux grands jeux de pouvoir. Pour ne pas soi-même se déclarer PROIE. Nier jusqu’à la mort pour conserver sa dignité. S’approprier son histoire, son narratif, en faire la trame des guerrières qui ne donneront jamais d’importance aux coups donnés par la vie.
Garder la tête haute et sa dignité jusqu’au bout.
«J’pas une victime.» Je ne suis pas idiote. Ni naïve. Ni perdante. Ni facile.
On martèle «j’pas une victime» pour défier le passé, effacer les torts causés et, surtout, ne jamais rappeler à nos bourreaux la souffrance qu’ils nous ont imposée. J’ai envie de vous dire que tout peut coexister.
Je fus victime, je fus bourreau.
Les préjugés sexistes sont enracinés dans la société et n’ont pas diminué en 10 ans, selon un rapport de l’ONU. Pas étonnant que les femmes aiment mieux s’afficher «guerrières» dans une société où les préjugés à leur égard stagnent. Aurait-on oublié d’évoluer ? Que reste-t-il pour nous défendre si on laisse tomber nos mécanismes de défense, ceux qui nous tiennent droites, debout ? Comme de répéter fièrement: «Je ne suis pas une victime».
Bref, je comprends. Malgré tout, j’ai envie de te dire… Nous pouvons toutes être des victimes, un jour ou l’autre, et ça ne veut pas dire qu’on se victimise. On n’est pas moins dignes en admettant qu’une société ou un individu nous a causé du tort, minime ou fatal. En nous coexistent victime et bourreau, et nous naviguerons toute notre vie dans ces eaux troubles.
Toi qui a souffert de violence psychologique, physique, conjugale, professionnelle… Du harcèlement à l’agression, en passant par les abus, la manipulation, la fraude… Tu n’as pas à justifier ton titre et ta position d’ange ou démon, de victime ou de bourreau.
Tout ce que je veux te dire, c’est que ce n’est pas de ta faute. Et que tu restes intelligente, forte, vraie. J’irais même jusqu’à te dire que tu as droit au bonheur, droit de sourire, de rayonner, de t’émanciper, de t’épanouir, de rire fort et de t’affirmer. Que tu mérites des regards et des gestes de soutien, d’empathie, de bienveillance, de compréhension. C’est peut-être aussi cliché que la scène de Robin Williams dans Good Will Hunting, lorsqu’il répète à Matt Damon: «Ce n’est pas ta faute» et que celui-ci éclate en sanglots… C’est peut-être ça qu’on oublie de faire pour déculpabiliser les victimes. Leur répéter que ce n’est pas leur faute.
Malgré tout, le terme «victime» semble nous couvrir de honte. Alors qu’il devrait générer empathie, appui, compassion. On donne l’impression que les victimes ont perdu au profit de leurs bourreaux. Qu’elles sont des perdantes. S’identifier volontairement comme victimes, c’est courir le risque que les gens nous voient comme de grandes perdantes au jeu de la vie.
La vie n’est pas un jeu. On perd tous à la fin. Les bons comme les méchants.
Ce serait bien, au moins, de passer de l’autre bord sans honte. Sans culpabilité. Même si le pire nous est arrivé. Parce qu’à la fin, on sera tous et toutes victimes de la mort qui n’épargne personne.
PS: Hey ! C’est pas de ta faute.
Photo : Sacha Bourque
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