Kim Lévesque-Lizotte : Les piranhas

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28 Juin 2023 par Kim Lévesque Lizotte
Catégories : MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Kim Lévesque-Lizotte exprime son ras-le-bol devant la haine, la misogynie, le sexisme – et plus encore ! – qui sévissent en ligne.

Vous dire à quel point je suis tannée d’être empathique et de comprendre.

Hey, je dois ben être rendue à ma dixième interminable chronique radio-télé-magazine-statut Facebook à justifier, à intellectualiser, à pardonner la haine, la misogynie, le sexisme, nos violences internalisées – et plus encore ! – en ligne.

À la fois de la part des hommes et des femmes.

Trouver l’origine, le pourquoi, creuser la question, essayer de comprendre comment on s’est rendus là collectivement, mondialement. Chercher à rester dans la bienveillance, en se rappelant que beaucoup de trolls souffrent de solitude et de troubles de santé mentale, et qu’on se doit tous d’être indulgents les uns envers les autres, etc.

Ben aujourd’hui, ça me tente pu. Y’a des journées comme ça. En plus, je suis en SPM. Votre bonheur à ramasser le monde en ligne, en meutes de loups, j’en parle et je le dénonce depuis 10 ans et y’a rien qui change. Même pas l’OMBRE d’un espoir d’une tentative de modération de la part des partis politiques ou des GAFAM à l’horizon. Pas non plus la moindre petite introspection collective qui oserait se pointer le bout du nez.

Je suis tannée d’être fine. Je suis tannée de vous comprendre. Je suis tannée de voir des politiciennes, des athlètes, des animatrices, des journalistes, des humoristes se faire ramasser à propos de leur look, de leur rire, de leur voix, de leurs opinions, de leur personnalité. On ne vous appartient pas et on ne vous doit rien.

Bon, je me suis un peu calmée.

Dans mon petit bureau de scénariste, j’étais à l’abri depuis plusieurs années des cancans et des pièges à clics. Ne me parvenaient que l’amour et l’admiration dans mes boîtes de réception.

De retour dans la lumière, je me rends compte que le climat social est pire que jamais. Non seulement les commentaires sont plus hostiles qu’avant, mais ils deviennent même des scoops dans les parasites que sont les sites à potins.

Ça va aller; je suis une grande fille. Je vis ça depuis le tout premier jour de ma carrière. Mais je me suis sérieusement demandé si ça me tentait de revivre tout ça à 40 ans, alors que l’harmonie et le bonheur règnent dans ma maison, dans mon entourage, dans ma famille et dans mon métier de scénariste plus que privilégiée. Pourquoi redonner du pouvoir à ces gens qui carburent à l’humiliation ? Plus jeune, j’avais au moins le plaisir de savoir que je provoquais. C’était un beau fuck you ! Mais je n’ai plus envie de faire des doigts d’honneur à une société qui a normalisé la haine et le mépris sur des plateformes qui s’enrichissent à coups de milliards de dollars grâce à cette violence banalisée, qui passe de l’insulte au complot en moins de deux. Ce qui m’attriste, ce n’est pas que certains se plaisent à l’idée de me voir disparaître. Ce qui m’attriste, c’est qu’on va finir par perdre des êtres humains passionnés, talentueux, compétents et inspirants, dans tous les domaines, parce qu’ils n’auront pas envie de passer par là.

Combien de politiciennes verra-t-on démissionner parce qu’elles ne voudront pas accepter une telle violence au quotidien ? Combien de femmes humoristes vont bifurquer vers une autre carrière où les critiques virulentes sont moins présentes ? Combien de jeunes filles vont choisir l’ombre pour ne pas subir les brûlures qui viennent avec la lumière ? Qui a envie de s’épanouir et de s’émanciper dans un emploi qui va de pair avec un lac de piranhas ?

Même si vous pensez qu’ils sont inoffensifs, vos petits commentaires, sachez que d’autres comme moi les lisent et n’ont peut-être pas envie de les subir. Sachez que vous qui les publiez entretenez la peur, aussi. Et que vous générez le pire des sentiments: l’humiliation.

En brûlant les feuilles, vous brisez les racines. Et à vouloir me faire taire, vous en tuerez d’encore meilleures. 

À PROPOS

Kim Lévesque-Lizotte est une autrice, scénariste et humoriste féministe québécoise. On lui doit entre autres les téléséries Les Simone et Virage. 



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