Kim Lévesque-Lizotte : Maintenant, je sais

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26 Avr 2023 par Kim Lévesque Lizotte
Catégories : MSN / Oser être soi / Santé / Véro-Article
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Notre chroniqueuse raconte comment et pourquoi son rapport à l’alcool a changé.

Bon, bon, bon… Vous êtes tous en train de flipper à cause des nouvelles études sur la consommation d’alcool qui nous apprennent qu’on doit s’en tenir à deux verres par semaine si on veut éviter toutes les éventuelles conséquences sur notre santé.

Hipelay! À lire le nombre de statuts, chroniques et tweets de gens qui capotent autour de moi, je vois bien qu’on n’était pas prêts, collectivement, à entendre ça. Mais cette prise de conscience «fatidique», qui semble avoir plongé toute la population dans un genre de syncope, moi, je l’ai vécue il y a deux ans. En pleine pandémie, alors que tout le monde buvait en masse tout en «binge-watchant» tout le contenu du catalogue de Netflix en attendant un retour à la normalité, moi, j’ai pogné mon mur.

Durant le confinement, je me suis retrouvée sans garderie, sans gardienne et avec une montagne de travail. Ma vie est devenue un carrousel qui ne s’arrête jamais. Ma fille avait à peine un an et demi et ne faisait pas ses nuits. S’empilaient sur ma table des projets avec des échéanciers précis. Autour de moi, ça buvait du vin, et j’en ai bu aussi, pensant alléger le drame planétaire qui nous accablait.

Sauf qu’au début de l’année 2021, je me suis dit que je ne voulais plus vivre ça, la gueule de bois. Me réveiller fripée, avec ma fille qui ne demande qu’à jouer, qu’à rire, qu’à bouger dans la bonne humeur. Je ne voulais plus sacrifier deux ou trois jours de travail de qualité parce que j’avais le cerveau bousillé par l’alcool. Je n’avais plus envie de sentir la fatigue qui m’assommait après un verre de vin rouge et qui se poursuivait jusqu’au lendemain.

Ça m’aura pris un an pour maîtriser ma nouvelle façon de boire. Une fois par semaine. Puis une fois par semaine avec modération, en tentant de ne pas me soûler chaque fois que je bois. Puis une fois toutes les deux semaines. Puis une fois par mois, en plus des célébrations et des moments précieux. Deux ans plus tard, je peux désormais aller voir un spectacle, manger au resto ou prendre un verre… et commander un mocktail.

En tant qu’hédoniste qui aime le vin, la bonne compagnie, la gastronomie, les soirées enflammées et dansantes, les partys qui se terminent aux petites heures du matin, les longues nuits d’amour où on refait le monde avant de toucher à l’infini, j’étais fervente des soirées d’ivresse et je me suis longtemps définie comme une fée des fêtes sans fin. Peut-être que j’ai eu peur de perdre une partie de mon identité en choisissant l’eau pétillante. Mais aujourd’hui, deux ans après avoir eu la révélation que mon entourage semble avoir présentement (non sans aveuglement volontaire !), j’ai des regrets. J’ai des regrets et je suis fâchée.

Maintenant, quand je bois, je sens que l’alcool est un poison. Qu’il affecte mon corps, mon énergie, mon humeur, mon cerveau. Il me déprime et me rend inefficace. Pour amplifier certains moments nocturnes, il gâche des journées ensoleillées. Après avoir vu le documentaire Péter la balloune, d’Hugo Meunier, et lu la dernière étude sur le sujet, contrairement à plusieurs qui semblent réclamer leur droit à la beuverie, moi, j’étais en colère de ce qu’on m’a caché au sujet de l’alcool. J’ai été aveugle de 15 à 38 ans. J’ai réellement pensé que l’alcool, ça nuit au foie, mais qu’on s’en remet vite. On n’a qu’à dormir, boire un Gatorade et avaler deux Advil, puis on continue.

Je pense à toutes ces soirées durant ma vingtaine, derrière le bar, à boire des shooters de Jack Daniel’s comme s’il n’y avait pas de lendemain, toutes ces soirées où j’ai découvert les vins rouges, blancs, rosés, pétillants, sans jamais penser une seconde que l’alcool peut rendre dépressif et affecter nos capacités cognitives, en plus d’être responsable de sept types de cancer.

Quand je regarde ma famille et mes amis, quand je vois les cocktails et les bouteilles de vin nature se vider à la même vitesse qu’on boit du bon jus, je me sens comme si j’avais traversé une faille temporelle et que je me retrouvais dans un salon des années 1980, fenêtres fermées, avec tout le monde qui fume autour des enfants qui déballent leurs cadeaux de Noël, dans l’inconscience la plus totale.

Ça confronte les gens que j’aime. «On dirait que tu me juges.» Mais non, mon amie, je ne te juge pas. J’ai juste peur pour toi, pour nous. Et je regrette le temps perdu à me remettre de cuites qui n’en valaient pas la peine au lieu de mieux vivre ma vingtaine, ma trentaine. Je le regrette, mais je ne savais pas. Maintenant, je sais. Et quand je prends un verre de vin pétillant nature et rosé, je ne le vois plus comme une récompense. Je le vois pour ce que c’est : une transgression agréable, qui fait du bien, parce que, malgré tout… je peux bien être saine, mais je ne serai jamais sage. 

À PROPOS

Kim Lévesque-Lizotte est une autrice, scénariste et humoriste féministe québécoise. On lui doit entre autres les téléséries Les Simone et Virage.



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  1. Lise dit :

    Merci Kim! j’ai pris une photo de ton texte pour envoyer a mon fils et j’espère que ton texte qui est si bien écrit lui permettra de sortir de cette enfer et pourra ainsi permettre a ses enfants et sa femme des jours plus heureux…Merci de partager et de créer de l’espoir…

  2. Véronique dit :

    Même prise de conscience après que deux amis soient morts à cause de l’alcool….
    Et pourtant je ne buvais déjà plus trop depuis longtemps
    Les années fac soirée bitures était déjà derrière moi
    Mais je m’inquiète aussi pour ceux que je vois de détruire… je ne les juge pas, je m’inquiète:)
    Depuis je suis la reine du mocktail et bois du très très bon vin rouge a l’occasion

  3. Joss dit :

    Il y a 40 ans, j’avais fait ces constatations, plus ou moins consciemment, sans avoir analysé aussi précisément que Kim Lévesque Lizotte l’a fait.
    Comme bien des gens, je croyais que pour avoir du fun, il fallait boire et que sinon, on est plate.
    Tellement de fois, j’ai expérimenté les journées improductives et les « downs » qui suivent une soirée trop arrosée. Et j’avais vu les résultats de l’alcoolisme de mon grand-père sur sa vie et sa famille.
    À l’époque, j’avais réalisé que dans les 24-48 heures qui suivent, j’étais impatiente avec mes jeunes enfants et improductive dans mon travail.
    Ce n’est pas ce que je voulais vivre dans ma vie. Et c’était mon choix!
    Bien qu’une fois à l’occasion n’est pas coutume. 🙂

  4. Hélène dit :

    Bravo Kim J’ai lu ton texte et j’ai arrêté de boire pour les mêmes raisons que toi J’ai cessé toute consommation depuis février 2020, j’ai 62 ans et je me sens tellement bien depuis

  5. Mary Ann dit :

    Je commence à avoir peur des conséquences de mes nombreuses ivresses au vin blanc qui m’ont servi à estomper quelque peu la souffrance causée par de nombreuses épreuves. J’aimerais matter cette fâcheuse habitude. J’ai cessé de fumer après plusieurs essais et je peux dire que depuis 9 1/2 ans je ne prive plus mon cerveau d’oxygène et c’est ce constat qui a été mon pilier. Je continue. Bravo à Kim Lévesque-Lizotte!

  6. Sylvie Papineau dit :

    Merci Kim !!! Quel belle reflexion sans jugement
    Merci de nous faire prendre conscience !!

  7. Dominique dit :

    Bravo pour la réflexion et le texte ! On dirait que si j’avais à écrire une réflexion, ce serait un copier-coller. Maintenant 6 mois que j’ai frappé ce mur et que je travail sur ma nouvelle façon de boire et de voir la vie socialement.

    Bravo encore pour ce témoignage.

  8. Bianca Bussiere dit :

    Belle réflexion qui devrait faire partie de chacun de nos parcours . Depuis belle lurette, l’alcool est tolérée socialement voir presque vénérée. Quelqu’un qui ne prend pas d’alcool suscite des interrogations et des regards d’incompréhension. Merci Kim d’avoir pris le temps de partager cette réflexion. La vie est belle, drôle et pétillante même sans ou peu d’alcool!!!

  9. Isabelle dit :

    Magnifique texte, magnifique message. Bravo Kim tu es inspirante à souhait !

  10. Jean-Pierre Picard dit :

    Wow, bravo Mme Lizotte. Quel beau et bon texte. Vos mots sont puissants pour exprimer la sensation de l’ivresse, des inconvénients et des risques qui l’accompagne. Vous m’avez touché, je n’ai pas l’intention de couler. Merci pour cette réflexion.

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