Bon, bon, bon… Vous êtes tous en train de flipper à cause des nouvelles études sur la consommation d’alcool qui nous apprennent qu’on doit s’en tenir à deux verres par semaine si on veut éviter toutes les éventuelles conséquences sur notre santé.
Hipelay! À lire le nombre de statuts, chroniques et tweets de gens qui capotent autour de moi, je vois bien qu’on n’était pas prêts, collectivement, à entendre ça. Mais cette prise de conscience «fatidique», qui semble avoir plongé toute la population dans un genre de syncope, moi, je l’ai vécue il y a deux ans. En pleine pandémie, alors que tout le monde buvait en masse tout en «binge-watchant» tout le contenu du catalogue de Netflix en attendant un retour à la normalité, moi, j’ai pogné mon mur.
Durant le confinement, je me suis retrouvée sans garderie, sans gardienne et avec une montagne de travail. Ma vie est devenue un carrousel qui ne s’arrête jamais. Ma fille avait à peine un an et demi et ne faisait pas ses nuits. S’empilaient sur ma table des projets avec des échéanciers précis. Autour de moi, ça buvait du vin, et j’en ai bu aussi, pensant alléger le drame planétaire qui nous accablait.
Sauf qu’au début de l’année 2021, je me suis dit que je ne voulais plus vivre ça, la gueule de bois. Me réveiller fripée, avec ma fille qui ne demande qu’à jouer, qu’à rire, qu’à bouger dans la bonne humeur. Je ne voulais plus sacrifier deux ou trois jours de travail de qualité parce que j’avais le cerveau bousillé par l’alcool. Je n’avais plus envie de sentir la fatigue qui m’assommait après un verre de vin rouge et qui se poursuivait jusqu’au lendemain.
Ça m’aura pris un an pour maîtriser ma nouvelle façon de boire. Une fois par semaine. Puis une fois par semaine avec modération, en tentant de ne pas me soûler chaque fois que je bois. Puis une fois toutes les deux semaines. Puis une fois par mois, en plus des célébrations et des moments précieux. Deux ans plus tard, je peux désormais aller voir un spectacle, manger au resto ou prendre un verre… et commander un mocktail.
En tant qu’hédoniste qui aime le vin, la bonne compagnie, la gastronomie, les soirées enflammées et dansantes, les partys qui se terminent aux petites heures du matin, les longues nuits d’amour où on refait le monde avant de toucher à l’infini, j’étais fervente des soirées d’ivresse et je me suis longtemps définie comme une fée des fêtes sans fin. Peut-être que j’ai eu peur de perdre une partie de mon identité en choisissant l’eau pétillante. Mais aujourd’hui, deux ans après avoir eu la révélation que mon entourage semble avoir présentement (non sans aveuglement volontaire !), j’ai des regrets. J’ai des regrets et je suis fâchée.
Maintenant, quand je bois, je sens que l’alcool est un poison. Qu’il affecte mon corps, mon énergie, mon humeur, mon cerveau. Il me déprime et me rend inefficace. Pour amplifier certains moments nocturnes, il gâche des journées ensoleillées. Après avoir vu le documentaire Péter la balloune, d’Hugo Meunier, et lu la dernière étude sur le sujet, contrairement à plusieurs qui semblent réclamer leur droit à la beuverie, moi, j’étais en colère de ce qu’on m’a caché au sujet de l’alcool. J’ai été aveugle de 15 à 38 ans. J’ai réellement pensé que l’alcool, ça nuit au foie, mais qu’on s’en remet vite. On n’a qu’à dormir, boire un Gatorade et avaler deux Advil, puis on continue.
Je pense à toutes ces soirées durant ma vingtaine, derrière le bar, à boire des shooters de Jack Daniel’s comme s’il n’y avait pas de lendemain, toutes ces soirées où j’ai découvert les vins rouges, blancs, rosés, pétillants, sans jamais penser une seconde que l’alcool peut rendre dépressif et affecter nos capacités cognitives, en plus d’être responsable de sept types de cancer.
Quand je regarde ma famille et mes amis, quand je vois les cocktails et les bouteilles de vin nature se vider à la même vitesse qu’on boit du bon jus, je me sens comme si j’avais traversé une faille temporelle et que je me retrouvais dans un salon des années 1980, fenêtres fermées, avec tout le monde qui fume autour des enfants qui déballent leurs cadeaux de Noël, dans l’inconscience la plus totale.
Ça confronte les gens que j’aime. «On dirait que tu me juges.» Mais non, mon amie, je ne te juge pas. J’ai juste peur pour toi, pour nous. Et je regrette le temps perdu à me remettre de cuites qui n’en valaient pas la peine au lieu de mieux vivre ma vingtaine, ma trentaine. Je le regrette, mais je ne savais pas. Maintenant, je sais. Et quand je prends un verre de vin pétillant nature et rosé, je ne le vois plus comme une récompense. Je le vois pour ce que c’est : une transgression agréable, qui fait du bien, parce que, malgré tout… je peux bien être saine, mais je ne serai jamais sage.
À PROPOS
Kim Lévesque-Lizotte est une autrice, scénariste et humoriste féministe québécoise. On lui doit entre autres les téléséries Les Simone et Virage.
Photo de Kim : Sacha Bourque
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