Je suis une petite fille des années 80-90. En grandissant, j’ai regardé les garçons avoir du plaisir. Beaucoup. Au skateparc, à l’aréna, avec leur groupe de musique. Je les ai regardés se promener en gang au centre d’achats, flâner, rire, déconner. J’espérais leur plaire, sans jamais prendre part à leurs jeux.
Je pensais que je les admirais et que j’avais besoin de leur approbation. Avec du recul et de la perspective, je réalise que je les enviais. J’enviais leur vie, leur capacité à être, à essayer, à se lancer dans un sport, une activité, un vice, sans se demander ce que les autres en penseraient.
J’ai peut-être tort. Peut-être ressentaient-ils une pression de leurs pairs, une pression de performer au hockey, de faire des tricks de skate, de fumer de la drogue parce que c’était cool et la bonne chose à faire pour être accepté entre boys. Peut-être bien. Mais je les regardais s’amuser, et moi, je ne m’amusais pas tant.
J’étais dans ma tête, dans mes livres, au musée, avec mes amies, à me casser la tête, à essayer d’être, à essayer de fitter, de rentrer dans une case, à me questionner sur ce que je devais devenir pour être validée. J’aurais aimé ne pas passer mon adolescence à sentir que je devais rentrer dans un moule, m’adapter, plaire. Toujours à la recherche du style à adopter, d’un langage à employer, de comportements auxquels m’assimiler. À repenser mon image à l’infini pour être acceptée.
J’aimerais que ma fille trouve sa joie dans ce passage obligé. Qu’elle trouve son sport, sa musique, sa passion, et pas juste le style vestimentaire approprié pour fitter avec le bon monde sans se faire juger. Je lui souhaite de sortir de son corps, de son genre, de son identité pour se laisser aller à la découverte de ses envies, de ses désirs à elle, au-delà du coolness, au-delà de ce qu’il faut faire, au-delà de la consigne de ne pas déranger. Qu’elle s’abandonne de tout son petit être en construction à des moments où elle n’attendra pas l’approbation des autres, où elle ne sentira pas un regard de jugement sur elle, où elle pourra s’adonner à ce qu’elle aura choisi pour trouver et cultiver sa joie.
«J’aurais aimé ne pas passer mon adolescence à sentir que je devais rentrer dans un moule, m’adapter, plaire.»
Je lui souhaite une joie à l’état pur, comme j’ai su en trouver parfois, en me fermant les yeux et en dansant jusqu’au bout de mes forces, en me foutant de ce qu’on pouvait penser de mes mouvements. Ou quand j’écrivais de longs poèmes maladroits dont j’étais fière et que je ne lisais à personne. Ou ces instants où j’ai cru à l’amour pour la première fois, où j’ai senti un amour vrai et réciproque. Ou dans ces moments de délire avec ma meilleure amie, à chanter à tue-tête dans les parcs du Marie Carmen et du Laurence Jalbert, à hurler «ANIMAL, JE T’AI CHOISI», de France D’Amour dans ma chambre jusqu’à ce que mon père frappe au plafond avec un balai pour qu’on se la ferme.
À toutes les Marguerite et surtout la mienne, je dis…
Trouve ta joie. Ce qui te fait vibrer, rayonner, sortir de toi-même.
Ne te contente pas de regarder les garçons faire des 360 au skateparc, saute sur une planche pour essayer.
Ne sois pas la groupie en avant de la scène qui fait des beaux yeux au chanteur; monte sur scène et exprime ta mélodie à toi.
Ne regarde pas la vie passer en attendant qu’on te choisisse.
Ne regarde pas la vie passer en attendant qu’on t’approuve.
Trouve ta joie. La plus près de ton cœur, de ta tête, de ton âme. Même si elle dérange, qu’elle n’entre dans aucune case, et aussi petite soit-elle. Garde-lui toujours une place importante, et retournes-y le plus souvent possible. Tu y trouveras du bonheur pour toute la vie.
Kim Lévesque Lizotte est une autrice, scénariste et humoriste féministe québécoise. On lui doit entre autres les téléséries Les Simone et Virage.
Photo : Sacha Bourque
À lire aussi :