VÉRO Natalie, à quelques jours de la rentrée, je t’ai choisie pour illustrer la façon dont tu chouchoutes tes élèves. Parle-nous un peu de toi, de ta profession.
NATALIE Je fête cette année mes 50 ans et ça fait maintenant 20 ans que j’enseigne. J’ai travaillé une dizaine d’années dans une petite école primaire où les trois cycles étaient jumelés; tous les élèves du village de Frelighsburg étaient dans ma classe. J’étais choyée, mais j’avais envie d’une plus grosse structure. Je voulais autre chose que de me retrouver toujours face à moi-même dans les réunions de niveaux et de cycles.
VÉRO Tu voulais être stimulée par d’autres collègues, évoluer…
NATALIE Exactement. Je pense que j’avais fait mon bout de chemin là-bas. Et comme j’aime les extrêmes, je me suis retrouvée à Bromont, dans une école de 600 élèves. J’ai enseigné pour la première fois dans une classe intensive l’an dernier. J’étais avec un groupe en français et en mathématiques pendant un cycle de 10 jours, alors qu’un autre groupe apprenait l’anglais. Puis, on échangeait les groupes et je recevais les élèves de la classe d’anglais les 10 jours suivants.
VÉRO C’est la première fois que j’entends parler de cette façon de faire. Est-ce répandu?
NATALIE Ça se fait de plus en plus. Le plus merveilleux, c’est que les élèves finissent leur cours primaire bilingues. À la fin de l’année, ils parlent très bien l’anglais.
VÉRO C’est super! Et le fait de passer d’un professeur à un autre change la dynamique. Ça brasse les cartes, c’est moins routinier.
NATALIE Oui, et ça les prépare au secondaire. Le gros défi à relever, c’est que le programme de 10 mois doit être assimilé en seulement cinq mois. C’est une classe intensive, donc il faut que ça roule. À la veille des examens, j’avais l’impression d’avoir encore des choses à dire à mes élèves et c’est là que j’ai eu l’idée de prendre le temps d’écrire un petit mot à chacun.
VÉRO Je ne suis pas la seule à avoir été touchée par ce geste. Ton message sur les médias sociaux dépasse les 30 000 partages et, pour moi, il s’agit d’un signe que c’est quelque chose qui manque dans nos écoles. Et là, je ne veux lancer la pierre à personne. Même que je lève mon chapeau à tous les enseignants! C’est un métier pour lequel j’ai énormément de respect. C’est une vocation, un don de soi. Mais est-ce que tu crois que le fait qu’autant de gens aient relayé ton message – comme si c’était un geste d’exception – en dit long sur l’état actuel des choses? Est-ce que ça t’a étonnée qu’on en parle autant?
NATALIE Oui, sincèrement. Des gestes semblables, j’en ai constaté beaucoup chez mes collègues. La différence, c’est que très peu font ce que j’ai osé faire, c’est-à-dire le diffuser sur un média social comme Facebook. À voir l’engouement que tout ça a pris, je me demande à quel point les gens se rendent compte de ce que les enseignants font pour leurs enfants. Des petites attentions, il y en a bien plus qu’on pense!
VÉRO On parle en effet davantage de l’éducation quand il y a une grève, des compressions ou des réformes. On met rarement en valeur toutes les belles actions et la différence que vous pouvez faire dans la vie des enfants. Toi, qu’est-ce qui t’a amenée à vouloir enseigner?
NATALIE J’ai toujours été entourée d’enfants. Plus jeune, j’ai été gardienne, puis je suis devenue monitrice de natation pour payer mes études universitaires en sciences. Pendant deux ans, j’ai travaillé comme géographe dans un bureau d’ingénieurs et j’ai détesté me retrouver toute seule devant un écran d’ordinateur. Pour ne pas avoir l’impression de jeter mon bac aux poubelles, j’ai décidé d’enseigner la géographie au secondaire. Puis, de fil en aiguille, je suis allée chercher mon diplôme en enseignement primaire, parce que j’étais plus à l’aise avec les petits. Les enfants me manquaient. J’aime leur montrer des choses et je les attire comme un aimant.
VÉRO C’est important d’avoir la confiance des enfants dans un métier comme le tien. Comment te définis-tu comme enseignante? Qu’est-ce qui est essentiel à tes yeux?
NATALIE Comme élève, si tu aimes ton professeur, tu vas avoir envie d’apprendre. Alors mon premier défi est de réussir à créer un lien avec eux. J’y arrive de toutes sortes de façons, en m’intéressant par exemple aux Pokémon ou au hockey, qui est très rassembleur. Je suis d’ailleurs une fan de ce sport et je montre aux enfants que je m’y connais: ça impressionne les garçons! En fait, je suis un peu ratoureuse: je passe par différents chemins et, sans qu’ils s’en aperçoivent, bang!, j’arrive avec les maths.
VÉRO C’est bien de diversifier les façons d’amener la matière pour mieux intéresser les jeunes. J’aimerais qu’en tant que professeure, tu partages avec nous ta propre vision du rôle des parents, de leurs responsabilités dans la vie et la réussite scolaire de leur enfant. Certains en font trop, d’autres pas assez… Comment, à ton avis, devraient-ils agir?
NATALIE Pour les grands de sixième année, je m’attends à ce que les parents les accompagnent. Qu’ils supervisent le travail, encouragent leurs enfants et les sanctionnent au besoin. Ils doivent les questionner, s’intéresser à eux: «As-tu fait tes devoirs? Qu’est-ce que tu lis présentement?» C’est un rôle de gardien, non pas dans le sens de garderie, mais plutôt de surveillant. Et surtout, ils ne doivent pas faire l’ouvrage à la place des enfants.
VÉRO Quand les jeunes arrivent en cinquième ou sixième année, il faut les préparer à l’autonomie, parce que le secondaire va leur imposer un autre rythme d’apprentissage. Tu considères donc qu’à cet âge, il faut les laisser aller en gardant un œil sur les tâches qu’ils doivent accomplir?
NATALIE Oui. Je m’attends aussi d’un parent qu’il collabore avec nous. Peut-être que l’enfant reviendra à la maisons avec des histoires, des anecdotes du genre «Mon enseignante a fait ci, elle a dit ça…». Si un parent n’est pas d’accord avec le geste, la parole ou la façon de faire de l’enseignant, il devrait, avant de juger, vérifier l’autre côté de la médaille. Un petit courriel, un coup de fil: si les parents et les enseignants communiquent et travaillent ensemble pour le bien de l’enfant, c’est gagnant. Et c’est ça l’important. Dénigrer le travail d’un enseignant devant l’enfant, ce n’est pas souhaitable, parce qu’on détruit alors un lien déjà difficile à bâtir.
VÉRO Ton travail consiste à transmettre la matière et à mettre les élèves en confiance, mais c’est aussi, j’imagine, de voir ce qu’il y a de meilleur dans chaque enfant. Tu l’as dit, c’est une relation qui n’est pas facile à construire, un genre de mariage forcé. À quelques jours d’une nouvelle année scolaire, est-ce que tu ressens un stress, une inquiétude à savoir si tu auras un bon groupe?
NATALIE Pas du tout. J’ai toujours hâte de connaître ceux et celles qui seront dans ma classe. On nous remet le dossier scolaire de chacun, mais je ne les regarde pas avant la rentrée. Pendant la première semaine, je côtoie mes élèves; j’aime me faire ma propre idée à leur sujet. Quand je réalise que «tiens, celui-là a peut-être quelque chose», je prends le temps de bien lire son dossier. Mais il ne faut pas oublier que j’arrive en bout de ligne de son parcours et que l’image que les autres enseignants ont eu de lui au fil des ans n’est peut-être plus valable. L’enfant a changé, il a maturé. Peut-être même qu’il a surmonté certaines difficultés.
VÉRO Tu préfères repartir à zéro chaque fois.
NATALIE Oui, mon tableau est toujours blanc! (Rires)
VÉRO Natalie, je te souhaite une autre belle année d’enseignement à ajouter à ton CV. Bravo, encore une fois! Comme tu l’as dit, tu n’es pas la seule à faire une différence auprès des élèves; des profs attentionnés, il y en a partout à travers la province, et leur travail mérite d’être mis en lumière. Je te remercie beaucoup d’avoir accepté mon invitation.
NATALIE Merci, ç’a été un grand plaisir!
Photo: Pierre Manning (Shoot Studio)