«Ce matin, je ne peux contenir mes larmes. Je te serre très fort pour les camoufler. Ces pleurs témoignent de mon incapacité à trouver les mots justes pour traduire mes faiblesses que je ne peux plus dissimuler. Certaines images sont impossibles à regarder. Certaines vies sont déshumanisées dans une indifférence insupportable. Je suis épuisée par notre manque de solidarité et, surtout, le manque d’écoute.
«L’année 2020 aura laissé des marques ineffaçables sur mon cœur et dans mon âme. Si tu savais à quel point j’envie ton innocence, tes rires et ta joie. Tu n’en as aucune idée, mais le monde s’écroule sous nos pieds. J’ai peur. Je suis désemparée face à l’incertitude et terrifiée par la haine qui s’amplifie et résonne partout. Ma fille, tu es mon ancrage dans cette vie tourmentée. Jamais je n’aurais cru ressentir cette fracture entre la terre qui m’a vu naître et grandir, entre cette patrie que j’aime de tout mon cœur et la nostalgie de mes rêves pour nous.
«J’ai compris que je serais toujours étrangère en ce lieu que j’appelle MON PAYS. Exilée dans mon Québec. C’est un ressenti dévastateur. Un échec entremêlé d’une déception innommable. Bien malgré moi, j’ai appris que les pires exils sont intérieurs. Je me demande souvent comment te transmettre cet amour que j’ai perdu, cet amour dérobé à coups d’inégalités, de disparités et d’iniquités que je ne peux plus supporter. Comment t’expliquer l’importance du vivre ensemble quand notre tissu social semble se détériorer à une vitesse effrénée? J’ai tellement voulu créer ce monde plus juste et équitable pour toi que je me suis perdue dans cette quête d’égalité absolue.
«Après toutes ces années à revendiquer, aujourd’hui, je ne rêve que de silence, de paix et de calme, même illusoire.
«Qu’arrivera-t-il si, par mon mutisme, je me dérobe à ma responsabilité de te protéger de la bêtise et de la méchanceté humaine? Comment pourrais-je me pardonner de ne pas t’avoir préparée à faire face à ce monde où la haine et le racisme coexistent sournoisement?
«Je dois me rendre à l’évidence que je n’ai plus la force de me battre et de débattre. Plus la force de me justifier ou de m’insurger. Je veux arrêter de lutter pour exister.
«Notre société est morcelée en mille fragments d’injustice. Jamais je ne voudrais que tu ressentes le poids de les réparer. Ce n’est pas ta responsabilité.
«Cette charge, elle nous revient à tous, collectivement, et surtout à ceux et celles qui ont le pouvoir de changer les choses. Je ne sais pas comment on va y arriver. Je ne sais pas combien de temps cela prendra. J’ignore si on y parviendra.
«Je sais simplement que c’est grâce à toi et à la lueur qui scintille dans tes yeux que je retrouverai la force d’exiger que nous soyons respectés et non tolérés dans notre humanité et notre singularité. Même sans espoir, la lutte est encore un espoir.»
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Photos: Andréanne Gauthier