Avez-vous vu le passage de Denise Bombardier sur le plateau de l’émission Dans les médias à Télé-Québec, en février dernier? Aux dires de certains, l’animatrice Marie-Louise Arsenault serait tombée dans le piège de l’âgisme en demandant à Madame Bombardier: «Comment fait-on pour rester pertinente à 80 ans?»
C’était une EXCELLENTE question.
J’ai 47 ans et je suis habité par ce questionnement. Comment vieillir et rester pertinent, ouvert à l’autre, au diapason de la société, sans se vautrer dans le statu quo et ses certitudes? J’en ai déjà glissé un mot dans cette page. J’adore travailler avec des plus jeunes qui bousculent ma façon de voir les choses, mon schème de pensée. D’où me vient cette peur de vieillir? Sûrement du fait que je côtoie des gens âgés qui, par manque de curiosité et d’écoute, tombent souvent en décalage avec la société. Ils se coupent du monde. Et quand on se coupe du monde, qu’on ne s’intéresse plus à l’autre, on s’isole. Leur manque d’ouverture s’apparente à une forme de protectionnisme identitaire. Comme si l’ouverture à la pensée de l’autre risquait de les faire disparaître.
Je reviens à la question de Marie-Louise Arsenault: est-ce qu’il y a un moment où les vieux peuvent perdre de leur pertinence? Était-ce vraiment un manque de tact que de poser la question? Un réel respect pour les aînés serait peut-être d’avoir cette discussion publiquement, sur un plateau de télé, plutôt que de l’esquiver et de détourner le regard en disant: «Oublie ça, écoute-le pas, y’est vieux.» Un sportif vieillissant est confronté à une série de baromètres qui lui rappellent qu’il n’est plus aussi fort, rapide et vif qu’avant. Qu’en est-il du cerveau et de ses capacités cognitives?
Si on s’interroge sur la pertinence des vieux, on entend fuser des accusations de racisme générationnel et d’âgisme systémique. OK… Ironiquement, les vieux sont souvent les premiers à remettre en question la pertinence des jeunes: «Ç’a même pas le nombril sec pis ça veut me dire quoi faire!» Retournez sur les forums de discussion durant la grève étudiante du Printemps érable, en 2012. Peu de gens âgés valorisaient les prises de position des Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde…
Étant pris en sandwich entre les deux groupes, je me sens jeune mais je me vois vieillir. J’ai un pied dans chaque équipe. Si je conviens qu’il est parfois agressant de se faire faire la morale par des jeunes à qui il manque l’expérience ou le recul nécessaire pour avoir une vision éclairée, peut-on aussi avancer qu’il est parfois lassant d’entendre des vieux s’accrocher à des idéaux éculés? Je ne détiens pas la vérité, bien sûr, mais cette discussion sur l’âgisme amène d’autres questions. Les vieux sont-ils réfractaires aux changements? Sont-ils victimes de notre société de performance? Si tu ne produis plus, tu te tasses!
Revenons à l’essentiel: est-ce que les vieux peuvent perdre de leur pertinence? Et comment rester pertinent? Plus tard dans la même entrevue, l’animatrice demande à Denise Bombardier si ça lui arrive de se demander à quel âge on arrête d’être pertinent. La réponse de Madame Bombardier est sans équivoque: «Pas du tout. Jamais.» Pour moi, tout est dit dans cette réponse. C’est ce que je reprocherais à plusieurs vieux: ne plus se questionner, ne plus VOULOIR changer, ne plus réévaluer leurs positions, ne plus douter.
Racisme, féminisme, éducation… De grands enjeux de société qui ont évolué rapidement, au point de me bousculer dans mes certitudes. Imaginez à quel point je serais bousculé si j’étais né en 1943 plutôt qu’en 1973! Mais c’est pas parce que «ç’a toujours été de même» que c’est correct de même. Je conviens que les personnes âgées ne forment pas un bloc monolithique. Il y a des milliers de vieux curieux et allumés qui ont un rôle à jouer dans notre société. Mais il y en a aussi une autre (grosse) gang. Des vieux qui débarquent sur les réseaux sociaux pour parler des «races» et écrire à des femmes qu’elles ont pris du poids. Les gens qui écrivent à Véro qu’elle a l’air grosse, vieille, liftée, fatiguée… je vous jure ce ne sont pas des Jade ni des Camille.
La vieillesse m’attend au coin de la rue. Je ne sais pas quel genre de vieux je vais devenir, mais je sais lequel je ne veux pas devenir. La grande question, c’est: est-ce que j’aurai le courage de quitter la sphère médiatique de mon propre gré, avant de faire une navrante sortie publique qui prouvera que j’ai perdu de ma pertinence? Certains diront que je manquais de pertinence à 30 ans… ça va être laid à 80! Pas un mauvais point.
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