Le mot de Louis : Comment rester pertinent?

06 Avr 2021 par Louis Morissette
Catégories : Oser être soi / Véro-Article
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Comment vieillir et rester pertinent? C'est la question que se pose Louis Morissette.

Avez-vous vu le passage de Denise Bombardier sur le plateau de l’émission Dans les médias à Télé-Québec, en février dernier? Aux dires de certains, l’animatrice Marie-Louise Arsenault serait tombée dans le piège de l’âgisme en demandant à Madame Bombardier: «Comment fait-on pour rester pertinente à 80 ans?»

C’était une EXCELLENTE question.

J’ai 47 ans et je suis habité par ce questionnement. Comment vieillir et rester pertinent, ouvert à l’autre, au diapason de la société, sans se vautrer dans le statu quo et ses certitudes? J’en ai déjà glissé un mot dans cette page. J’adore travailler avec des plus jeunes qui bousculent ma façon de voir les choses, mon schème de pensée. D’où me vient cette peur de vieillir? Sûrement du fait que je côtoie des gens âgés qui, par manque de curiosité et d’écoute, tombent souvent en décalage avec la société. Ils se coupent du monde. Et quand on se coupe du monde, qu’on ne s’intéresse plus à l’autre, on s’isole. Leur manque d’ouverture s’apparente à une forme de protectionnisme identitaire. Comme si l’ouverture à la pensée de l’autre risquait de les faire disparaître.

Je reviens à la question de Marie-Louise Arsenault: est-ce qu’il y a un moment où les vieux peuvent perdre de leur pertinence? Était-ce vraiment un manque de tact que de poser la question? Un réel respect pour les aînés serait peut-être d’avoir cette discussion publiquement, sur un plateau de télé, plutôt que de l’esquiver et de détourner le regard en disant: «Oublie ça, écoute-le pas, y’est vieux.» Un sportif vieillissant est confronté à une série de baromètres qui lui rappellent qu’il n’est plus aussi fort, rapide et vif qu’avant. Qu’en est-il du cerveau et de ses capacités cognitives?

Si on s’interroge sur la pertinence des vieux, on entend fuser des accusations de racisme générationnel et d’âgisme systémique. OK… Ironiquement, les vieux sont souvent les premiers à remettre en question la pertinence des jeunes: «Ç’a même pas le nombril sec pis ça veut me dire quoi faire!» Retournez sur les forums de discussion durant la grève étudiante du Printemps érable, en 2012. Peu de gens âgés valorisaient les prises de position des Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde…

Étant pris en sandwich entre les deux groupes, je me sens jeune mais je me vois vieillir. J’ai un pied dans chaque équipe. Si je conviens qu’il est parfois agressant de se faire faire la morale par des jeunes à qui il manque l’expérience ou le recul nécessaire pour avoir une vision éclairée, peut-on aussi avancer qu’il est parfois lassant d’entendre des vieux s’accrocher à des idéaux éculés? Je ne détiens pas la vérité, bien sûr, mais cette discussion sur l’âgisme amène d’autres questions. Les vieux sont-ils réfractaires aux changements? Sont-ils victimes de notre société de performance? Si tu ne produis plus, tu te tasses!

Revenons à l’essentiel: est-ce que les vieux peuvent perdre de leur pertinence? Et comment rester pertinent? Plus tard dans la même entrevue, l’animatrice demande à Denise Bombardier si ça lui arrive de se demander à quel âge on arrête d’être pertinent. La réponse de Madame Bombardier est sans équivoque: «Pas du tout. Jamais.» Pour moi, tout est dit dans cette réponse. C’est ce que je reprocherais à plusieurs vieux: ne plus se questionner, ne plus VOULOIR changer, ne plus réévaluer leurs positions, ne plus douter.

Racisme, féminisme, éducation… De grands enjeux de société qui ont évolué rapidement, au point de me bousculer dans mes certitudes. Imaginez à quel point je serais bousculé si j’étais né en 1943 plutôt qu’en 1973! Mais c’est pas parce que «ç’a toujours été de même» que c’est correct de même. Je conviens que les personnes âgées ne forment pas un bloc monolithique. Il y a des milliers de vieux curieux et allumés qui ont un rôle à jouer dans notre société. Mais il y en a aussi une autre (grosse) gang. Des vieux qui débarquent sur les réseaux sociaux pour parler des «races» et écrire à des femmes qu’elles ont pris du poids. Les gens qui écrivent à Véro qu’elle a l’air grosse, vieille, liftée, fatiguée… je vous jure ce ne sont pas des Jade ni des Camille.

La vieillesse m’attend au coin de la rue. Je ne sais pas quel genre de vieux je vais devenir, mais je sais lequel je ne veux pas devenir. La grande question, c’est: est-ce que j’aurai le courage de quitter la sphère médiatique de mon propre gré, avant de faire une navrante sortie publique qui prouvera que j’ai perdu de ma pertinence? Certains diront que je manquais de pertinence à 30 ans… ça va être laid à 80! Pas un mauvais point.

 

 

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  1. Lili dit :

    C’est drôle, depuis toute petite, je me suis employée à écouter les plus vieux, car je me disais qu’avec leur expérience, ils avaient un coup d’avance. En fait, le truc, c’est que les « vieux » qui manquent de pertinence sont ceux qui font le plus de bruit. Tout comme les « jeunes » qui brassent les idées et font avancer les choses. Alors on classe trop vite tout le monde.

    Mais si on tend l’oreille, on entend de jeunes imbéciles qui ont des idées très arrêtées, non pertinentes, et on entent des vieux sages de qui on a tout à apprendre! Alors je pense que la catégorie « jeunes / vieux » est de la poudre aux yeux. La vrai distinction qui compte va au delà des rides, ou de leur absence. Une âme sage saura apprécié le grain de folie nécessaire pour rester pertinent, tout en utilisant l’expérience que la vie leur a apporté. Peu importe l’âge!

    Mais on peut aussi arguer que nos ennemis étant nos meilleurs professeurs, tout le monde a sa place dans ce monde, même les moins pertinent (quel que soit leur âge).

    Longue vie à tous !

  2. Chantal Cossette dit :

    J’ai ADORÉ ton article qui, ma foi, rejoint tellement ce que je pense depuis fort longtemps. J’ai 58 ans et j’ai des enfants dans la trentaine et dans la vingtaine. J’ai toujours voulu rester curieuse, éveillée et stimulée par les différentes technologies et les suivre et leur demander conseil. Par contre, les rapports avec mes parents (80 ans) sont difficiles car ils sont restés avec des idées de « dans le temps, c’était donc ben mieux ». Ils sont très critiques envers les jeunes et cela me blesse énormément surtout qu’ils ne savent même pas vraiment ce qui se passe dans le temps présent. Ils sont enfermés dans un ghetto pour personnes âgées autonomes (ou disons plus ou moins autonomes) et discutent de ce qui se passait avant en critiquant constamment l’aujourd’hui. Je monte à l’occasion aux barricades pour défendre mon point de vue et celui de mes jeunes adultes mais je passe pour une hystérique même si je reste en tout point respectueuse envers eux. Je suis vraiment découragée et espace mes visites parce que je n’ai tout simplement plus de sujet à discuter avec eux, c’est très triste. Je n’aurais jamais pensé vivre leur fin de vie de cette façon. Je répète constamment à ma fille et mon garçon de me remettre sur « les rails » si jamais je deviens comme ça et ils s’amusent car ils disent qu’ils ne pensent pas que je le deviendrai étant donné ma très grande ouverture envers eux et envers la vie en général. En tout cas, j’aimerais bien rencontrer des gens âgés pertinents et ouverts et surtout prêts à se remettre en question. Comme on dit, « y’en a pas beaucoup par ici ». Mais je sais que ça existe, heureusement.

  3. Diane Patenaude dit :

    J’aime beaucoup cet article ! Oui il y a beaucoup de personnes âgées qui sont continuellement à critiquer tout ce que les plus jeunes font ou disent. Par contre, faut pas mettre tous les vieux dans le même groupe. À 76 ans, j’ai le goût d’apprendre les nouvelles technologies, même si ça prend plus de temps à maîtriser tout ça !!! Faut aller avec son temps et espérer pour le mieux ! Bonne continuité !

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