Je ne suis pas différent de la moyenne des ours. Je suis généralement réfractaire aux faux changements et j’apprécie le statu quo qui me réconforte. D’emblée, quand j’entends parler de nouvelles idéologies, je me dis: «Bon, une autre affaire… Arrêtez, y en a pas de problème!» Et là, curieux, j’écoute. Je tente de comprendre le point de vue de l’autre. Parfois j’y adhère, tandis qu’à d’autres moments, je passe à un autre appel. J’ai suivi le même cheminement lorsque j’ai été mis en contact avec l’essai Pour l’amour des hommes, de Liz Plank. Vous ne voulez pas ou ne pouvez pas lire son livre? Allez voir son entrevue à Tout le monde en parle [du 9 mai dernier] sur le site de Radio-Canada.
Sa proposition: revoir le modèle de masculinité traditionnel. Voici une réflexion qui fait son chemin dans ma tête depuis un certain temps. L’idée d’armure portée par les hommes, de la gestion et de l’acceptation de nos émotions, de faire la paix avec nos souffrances passées et présentes me rejoint.
Mise en contexte. Je suis venu au monde au début des années 1970, dans une famille typique qui a été confrontée à un défi atypique: la naissance d’une enfant avec un handicap. Ma sœur est née avec la paralysie cérébrale. Évidemment, le fait d’habiter avec une personne handicapée élève un jeune garçon avec un sens des responsabilités un peu différent. Adolescent, je n’avais pas tant d’amis qui devaient quitter la partie de baseball pour aller changer une serviette hygiénique. Ajoutez à cela un divorce des parents à l’adolescence, et le jeune Louis a rapidement senti, à tort ou à raison, inconsciemment ou non, qu’il devait être «fort» et «fiable».
En théorie, c’est joli. En pratique, c’est peut-être le début d’un cycle malsain. Parce que toute personne vit son lot de peines, de revers et de frustrations. Toujours vouloir être fort et faire office de colonne vertébrale implique d’oublier ses propres émotions. Ne plus s’écouter parce que… ben parce qu’on s’en sacre de tes problèmes, d’autres en ont des plus gros. «T’es chanceux, tu marches. T’as pas mal, t’as pas le droit de te plaindre.» Ça, c’est moi.
Là ou Liz Plank me touche et m’ébranle, c’est qu’elle s’inscrit dans une réflexion qui m’habite depuis plusieurs mois. À travers une série de biais inconscients, j’étais dans un dangereux processus de transmission à mon fils de 16 ans d’une partie de mes défauts, de mes travers, de mes bibittes. J’ai trois enfants (Delphine, 18 ans; Justin, 16 ans; et Raphaëlle, 11 ans). Il est pourtant le seul à qui je m’adressais en ayant en tête ce genre de message: «S’il m’arrive de quoi, c’est toi qui devras prendre ma place pour aider ta mère.» Mes standards n’étaient pas les mêmes avec mon fils qu’avec mes filles. Je ne recevais pas ses angoisses et ses inquiétudes de la même façon que je recevais celles de ses sœurs. Comme il est sensible, j’avais le triste réflexe de me dire: «Il est trop doux, trop soft. La vie va le bouffer tout rond. Y est pas assez tough!»
J’en parle au passé parce que, depuis plusieurs mois, j’ai changé mon approche. Mon garçon est une personne douce, sensible et empathique; je travaille donc avec lui à partir de ce qu’il est plutôt que d’essayer de le modeler pour qu’il entre dans un cadre qui me rassurerait. Ça veut dire quoi? Ça veut dire lui permettre de verbaliser ses angoisses et de vivre ses peines avant de rebondir. Ça veut dire de m’asseoir avec lui et de lui expliquer que c’est normal d’être effrayé à l’adolescence, d’être angoissé face à l’avenir ou d’avoir peur de perdre la personne qu’on aime. Laisser tomber l’armure, c’est discuter de couple, du respect de l’autre, de consentement, des choses qu’on contrôle ou pas. C’est s’ouvrir sur ses propres faiblesses et parler de ses propres vulnérabilités.
Cet exercice nous apaise et nous rapproche. Messieurs, parlez avec vos garçons… et pas juste de hockey. Mettez de l’éclairage sur votre propre part d’ombre, sur vos faiblesses. Humanisez-vous. De cette façon, votre garçon se donnera le droit d’avoir peur, d’avoir honte, de pleurer. En tant que père, c’est peut-être la chose la plus importante que nous puissions faire pour aider nos filles et notre société. Exprimer vos faiblesses ne fera pas de votre garçon un perdant. Parce qu’un gagnant, c’est quelqu’un qui se relève après un échec. Il faut apprendre à tomber pour mieux se relever.
Bon, je vous laisse, je vais aller montrer à mes filles comment s’occuper de la piscine, de la tondeuse pis du bateau. S’il fallait qu’il m’arrive de quoi…
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