Mise en garde: mon billet sera moins joyeux et lumineux que celui de notre énergique chroniqueur Simon Boulerice, disons.
J’ai peur. Donald Trump avait bien senti cette vague de fond du angry white male. L’homme blanc qui se sent persécuté, bousculé par les changements sociaux et en quête d’une vie avec le moins de restrictions possibles. Le fameux «J’ai l’doua!» qui est devenu le cri à la «liberté», comme nous l’ont rappelé les manifestants à Ottawa et à Québec. Et le Québec a les deux pieds dans cette spirale de demi-vérités et de raccourcis intellectuels
J’ai peur. Je sens un dangereux fossé se creuser entre citoyens du même pays, de la même ville, voire de la même famille. Je ne veux pas tomber dans le piège de traiter tous les manifestants – ou quiconque qui remet en question l’ordre établi – d’attardés ou d’incultes. Les échanges nourris d’insultes envers les médias, les radios de Québec ou les citoyens qui font des vidéos dans leur voiture ne font que brouiller les communications et creusent davantage les fossés idéologiques. Restons donc poli, même si j’avoue être dans l’équipe des gens qui considèrent que certains devraient rouvrir un livre d’histoire et un dictionnaire pour comprendre la signification des mots «dictature» et «nazisme».
J’ai peur. Le problème, c’est qu’une fraction grandissante de la population, nourrie par des politiciens et des médias arrivistes, est faussement attachée à la «liberté» de la société. Nous sommes dans l’ère de l’individualisme. Ce n’est pas LA liberté, c’est MA liberté. Et si MA liberté empiète sur ta vie, j’en ai rien à cirer parce que j’ai le «droit». La Trump Nation fait des petits. Le rêve américain est devenu un bulldozer qui divise les gens. La solidarité et l’entraide sont devenues des fardeaux.
«Pourquoi je mettrais un masque quand y’en a pas en Floride?» Parce qu’en Floride, ça coûte des dizaines de milliers de dollars pour t’assurer. Tu peux te mettre dans la rue si tu tombes malade. Parce qu’aux États-Unis, quand tu es pauvre/vieux/immigrant et que tu meurs, c’est pas si grave parce que t’es pas payant, t’es pu dans le bateau du American dream. Tu ralentis le groupe, alors dégage! C’est ça, la société de «liberté» qu’on souhaite? Devoir payer 25 000, 50 000 ou 100 000 dollars pour envoyer nos enfants à l’école? Qu’est-ce que tu préfères, Keven? Que ton enfant porte un masque en classe ou t’endetter de 300 000 $ pour l’assurer et l’éduquer?
Le Québec n’est pas parfait. Notre système de santé est beaucoup trop vulnérable. Des changements doivent être apportés. Mais quel est l’angle avec lequel on devrait le faire? En pensant à MA liberté, à MA vie, ou en tentant de reconstruire notre tissu social ensemble? En ce qui me concerne, notre système d’impôts, notre système de santé, notre gestion de l’hydroélectricité et notre soutien à la culture sont des exemples de ce que le Québec peut faire de mieux. MÊME AVEC SES DÉFAUTS. Je préfère payer beaucoup d’impôts et vivre dans une société comme celle du Québec que de payer pour MA petite personne et vivre comme aux États-Unis, avec des quartiers de riches et des quartiers de pauvres.
J’ai peur. Ces politiciens et polémistes aux positions variables, sans fondement et mensongères vont jouer la carte de l’émotion et faire du clientélisme pour diviser encore plus le pays. Le «convoi de la liberté» était bien plus qu’une manifestation anti-mesures sanitaires. C’était une tranche de la population qui nous criait que leur petite personne est plus importante que le groupe. Et ce n’était qu’un chapitre. J’ai lu sur les supposées mises en scène en Ukraine, bientôt ce sera le déni du réchauffement climatique. Lorsqu’une autre contrainte se pointera, ces gens-là ressortiront leur drapeau des Patriotes et utiliseront leurs enfants comme outils de manipulation pour nous rappeler leur «DOUA».
Mon billet ne changera probablement rien à tout ça. Marie-Chantal Toupin n’ouvrira pas un livre pour comprendre la différence entre vivre à Mascouche et en Chine. Parce que ce qui compte, ce n’est plus la vérité, c’est MA vérité. Celle qui va excuser MA vie, MES peurs, MON anxiété, MES échecs. Chercher ce qui ME convient et nier le reste.
Entretemps, comme des dizaines (centaines) de personnes m’en ont prévenu depuis deux ans, j’attends mon arrestation et mes accusations devant le tribunal mondial (!) pour avoir été un collaborateur dans un système savamment mis en place par les élites. Vous pensez que je blague? Non non, Véro et moi recevons ce genre de message TOUTES LES SEMAINES. J’veux bien ne pas juger, mais je vous avoue que parfois, c’est difficile.
Photo : Andréanne Gauthier
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