Au cours d’une vie, nous rencontrons tous sur notre parcours des gens qui sont des catalyseurs, des ressources psychologiques, amicales ou professionnelles. Dans mon cas, une de ces personnes fut Danielle Bernard, qui a été la gérante des Mecs Comiques dans les premières années de carrière des membres du trio. Danielle nous a récemment quittés dans une mise en scène qui lui ressemblait, c’est-à-dire discrètement, sans vouloir déranger. J’écris ces mots avec l’œil humide, car je n’ai pas eu le temps de lui dire un dernier adieu, un dernier merci.
Merci Danielle de m’avoir tant aidé à une époque où j’étais comme un chien fou, un cheval difficilement contrôlable qui piaffait dans son box. Le travail de gérant ou d’agent est évidemment connu pour sa capacité à organiser et à négocier des prestations artistiques, mais la portion la plus importante et exigeante de ce métier est d’être un psychologue de service. Gérer les peurs, les doutes et les anxiétés d’un artiste. Danielle, c’était une véritable main de fer dans un gant de velours. Elle savait négocier et maîtriser les codes d’un métier qu’elle connaissait comme le fond de sa poche, tout en ayant la délicatesse et la sensibilité requises pour échanger avec les artistes. Au début des années 2000, les Mecs Comiques étaient un groupe et, par définition, un groupe implique beaucoup de discussions, de débats et de négociations. Danielle était cet agent de la paix qui savait naviguer à travers nos différentes personnalités. D’un point de vue personnel, elle savait gérer mon manque – mon absence ! – de patience et l’ambition qui caractérisait ma vingtaine.
Le premier weekend d’octobre dernier, nous nous sommes réunis pour lui rendre un dernier hommage. La rapidité avec laquelle Danielle a quitté la scène rendait le moment particulièrement chargé. Curieusement, c’est plutôt en revenant à la maison que la réalité m’a frappé en plein visage, plus précisément quand j’ai pris mon téléphone et que j’ai relu nos derniers textos. J’avais beau arriver d’une cérémonie qui soulignait son départ, mon cerveau n’arrivait pas à accepter que nous n’échangerions plus. Quel était le dernier message qu’elle m’a envoyé ? C’est celui-ci:
J’avais fait une blague qu’elle approuvait en riant, tout en me donnant de l’amour au passage. Tout était dans cette réponse qui, sans qu’on le sache elle et moi, allait devenir notre dernière communication.
À l’ère numérique, mon cerveau en mode «efficacité» s’est dit: «Tu peux effacer ce contact, il n’est plus utile.» Cette pensée m’a donné des frissons. J’étais devant la fiche de Danielle, les yeux devant l’option «supprimer ce contact». Et j’étais incapable de le faire. Comme si je refusais qu’elle quitte ma vie, ne serait-ce que symboliquement. J’ai annulé l’opération et je garde Danielle dans mon téléphone.
On pourrait trouver ma décision morbide, mais moi, je la trouve rassurante. Je regarde ses cœurs et je repense à celle qui me répétait si souvent: «Calme-toi, Louis», «Prends ton temps, Louis». Danielle vient de nous quitter physiquement, mais elle restera toujours dans mes pensées. Et je te promets, Danielle, que je vais de plus en plus prendre mon temps et jouer au golf en pensant à toi. Je ne sais pas à quoi ressemble la vie après la mort, mais si c’est vrai que les gens qu’on aime nous accompagnent, je te demanderais un peu d’aide sur le putting. À ce propos, j’ai pas encore réglé mon problème d’impatience.
Adieu Danielle. Et merci. Je t’aime. xx
Danielle et Louis au début des années 2000.
Photo de Louis: Andréanne Gauthier
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