Dans les années 80, à Drummondville, quelqu’un qui parlait couramment l’anglais était aussi rare qu’un bouchon de circulation sur le pont Saint-Charles ou un végétarien au Jucep*. Trente ans plus tard, les trois se sont rendus à Drummond. Le pourcentage d’unilingues francophones fond d’année en année, mettant en péril ce qui protégeait notre culture : la barrière de la langue.
Ah oui, on pouvait regarder Bob Barker à The Price Is Right et crier des «higher… non, lower», mais on regardait surtout des films en français, des séries en français, et quand on chantait en anglais, on inventait des paroles. Je vous dis pas le nombre de tounes que j’ai redécouvertes une fois que j’ai eu appris l’anglais. Je m’excuse auprès de Tears For Fears et de Gowan d’avoir autant massacré leurs oeuvres. Comme bien des gens de ma génération, j’ai continué de consommer la culture québécoise même en apprenant la langue de MTV parce que je connaissais et aimais la culture québécoise. J’avais grandi avec Yvon Deschamps, Claude Meunier, Ginette Reno, Jean-Pierre Ferland, Luc Plamondon, Denys Arcand. Ils étaient des figures importantes dans ma façon de voir le Québec. Grandir en français nous forçait à «acheter local».
Nous voilà dans les années 2020 et un nombre important de jeunes parlent couramment l’anglais. Mes propres enfants communiquent dans les deux langues avec pour résultat que, dans ma propre maison, je perds régulièrement la bataille contre les grandes plateformes comme Netflix ou Amazon. Plan B ne fait pas le poids contre Stranger Things. Si Véro a de la difficulté à maintenir l’intérêt de ses propres enfants pour une CHAÎNE QUI PORTE SON NOM, je suis bien inquiet de l’intérêt que portent à notre travail les jeunes de Laval, de Sainte-Julie ou de Beauport.
Dans quel état sera la culture populaire québécoise quand nous, la génération Petite Vie, ne deviendrons plus intéressants pour les annonceurs et que nos enfants ou petits-enfants seront la génération des citoyens du monde, branchés sur le Web et son offre infinie? Même la MLS (Major League Soccer, dont fait partie le FC Montréal) vient d’annoncer que ses matchs ne seront plus diffusés à TVA Sports, mais plutôt sur la plateforme Apple. Oui, le pouvoir infini du câble achève.
On peut s’inquiéter. On peut aussi faire des choix de société. Il faut revoir le financement de la culture, notamment en taxant les nouveaux joueurs et les fournisseurs d’Internet. Pour ma part, je propose de bâtir un programme de sauvetage de la culture populaire québécoise en la plaçant au coeur du programme scolaire. Pour semer la graine de l’intérêt pour la culture chez les jeunes. Avant qu’il ne soit trop tard et qu’on devienne une sorte de Louisiane, on doit obliger les jeunes à étudier les oeuvres des créateurs d’ici. Dès le secondaire 1, chaque année scolaire devrait provoquer la rencontre entre les jeunes et des oeuvres littéraires ou cinématographiques d’ici. Et deux fois par année, les classes devraient obligatoirement sortir pour assister à un spectacle d’humour, de musique, de danse, de théâtre, etc.
De cette façon, nous pourrons garder vivante cette richesse qu’est notre culture. J’en entends dire: «C’est ben certain, tu prêches pour ta paroisse, mon Loulou.» C’est évident que je veux que notre industrie survive: je crois à sa force économique, mais surtout à son pouvoir identitaire. Bien franchement, dans 25 ans, je ne serai plus un artiste actif, alors ce n’est pas pour mon REER que ça m’angoisse. Ça m’angoisse parce que sans culture, sans langue française, le Québec deviendra, comme les autres provinces du Canada, une succursale culturelle des États-Unis. Nous perdrons ce qui nous définit, ce qui nous rend uniques. Je ne parle même pas de souveraineté, un sujet qui passionne autant les jeunes que de savoir si le but d’Alain Côté était bon («Alain qui, papa?»), je parle d’ADN, je parle d’histoire, je parle d’être distinct.
La culture rassemble, la culture porte à réflexion, la culture donne des voix à des gens plus marginaux, la culture donne une couleur à une société. Il était plus facile d’être dans le même autobus culturel quand il y avait seulement deux postes de télé et que 95 % des gens de l’autre bord des ponts de la métropole étaient unilingues francophones. Mais les règles changent. L’immigration est en hausse, l’anglais est omniprésent dans nos vies et le candidat en tête des sondages dans la course à la chefferie du Parti conservateur est fier de promettre des coupures à la CBC/SRC. Si on ne bouge pas rapidement, «Qui est Véronique Cloutier?» ne sera plus qu’une question parmi tant d’autres dans un triste quiz commandité sur la chaîne d’une Tiktokeuse de Brossard.
Là où la poutine fut inventée*. Si vous voulez contester cette affirmation, je vous donne rendez-vous à 4 heures au rack à bécyk.
Crédit photo : Andréanne Gauthier
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