L’humoriste Matthieu Pepper, le comédien Félix-Antoine Tremblay et le créateur de contenu Karl Hardy affichent tous un surpoids. Souvent stigmatisés, ils ont envie que ça change et sont prêts à agir pour que le regard de la société évolue à ce propos. Première étape: en parler ouvertement. Deuxième étape: prendre la pose… sexy. Pas aussi simple qu’on pourrait le croire!
En langage québécois, j’ai envie de vous dire que nos trois invités sont «allés au bat» pour le reste de la gang, dans un geste que je qualifierais d’audacieux. Parler de ses traumatismes n’est déjà pas simple, alors imaginez se dévêtir et prendre la pose… en souhaitant faire évoluer les mentalités, tout en sachant qu’on prêtera flanc à la raillerie et aux insultes. La preuve? En toute honnêteté, on aurait beaucoup aimé avoir davantage d’invités à ce «Souper de gars». On a donc tendu de très nombreuses perches, pour ensuite essuyer presque autant de refus. Si la plupart des candidats avaient envie de parler du sujet, ils ont tous battu en retraite lorsqu’on a évoqué la fameuse photo. Tous, sauf Karl Hardy, Matthieu Pepper et Félix- Antoine Tremblay.
«C’est normal que la plupart des gars contactés n’aient pas voulu se faire photographier dans ce con- texte, confirme Matthieu, l’initiateur du projet. C’est normal parce qu’on n’en voit pas, des photos de gros à moitié nus. Une photo dans un magazine, ça ne s’efface pas. C’était mon idée, ce shooting-là, et j’ai eu de la difficulté à le faire. Alors, je n’ose pas imaginer la réaction des gars que vous avez essayé de convaincre par téléphone. L’autre affaire, c’est qu’on ne sexualise pas assez le corps des gros.
– Exact, j’allais dire la même chose, renchérit Félix-Antoine. Le but, ce n’est pas de montrer qu’on est un trio de gars ben forts. Le but, c’est de montrer qu’on est sexy, qu’on s’assume et qu’on est aussi attirants que les hommes qu’on voit dans le magazine GQ.
– On a besoin de modèles, ajoute Matthieu. Prends Antoine Bertrand. Ce gars-là est la classe incarnée. Il a un surpoids mais ça ne l’empêche pas de rayonner, de porter des costumes trois pièces, d’être tellement beau! Pour moi, il est une icône. Une des seules personnes devant qui j’ai figé. J’aurais eu tellement de choses à lui dire! À la télé, il a joué dans des scènes formidables qui m’ont marqué et j’aurais voulu lui dire merci. Mais j’ai figé. Tout le monde raconte qu’il s’est pogné une fille incroyable – Catherine-Anne Toupin –, en sous-entendant qu’il joue au-dessus de sa ligue. Fuck that! Ce gars-là est magnifique!»
Dans le «bon vieux temps»
On s’en doute, ce besoin et cette envie de démystifier le corps masculin bien en chair repose sur des années de malaises, de traumatismes et de moqueries. Des années à se faire choisir en dernier dans l’équipe de basket de l’école.
«Ouache, la pire période de ma vie! réagit spontanément Karl. Mon enfance a été très rough parce que j’étais le seul avec ce corps-là. Je viens de Saint- Raymond de Portneuf, où j’étais le seul gros, le seul gai. J’ai tellement caché mon corps! Je me suis tellement fait insulter dans la cour d’école! Je ne crois pas exagérer en affirmant que ma mère a dû motiver mon absence en éducation physique au moins deux cours sur trois. J’adorais nager, mais durant toute ma jeunesse, je me suis empêché d’avoir du fun avec mes amis parce que je ne voulais pas qu’ils me voient en maillot. Je me baignais toujours seul. Aujourd’hui, je réussis à marcher en maillot avec ma serviette des vestiaires jusqu’à la piscine, et ça me rend heureux. Jamais je n’aurais pu faire ça il y a quelques années. J’avais le feeling que tout le monde me regardait, alors que, dans le fond, tous s’en foutaient.»
De son côté, la situation de Félix-Antoine était différente. Au secondaire, il a évolué dans un programme sport-études avec danse et n’affichait aucun surpoids, bien au contraire. À cette époque, c’était plutôt en côtoyant sa mère et ses troubles alimentaires qu’il a été confronté aux nombreux défis qu’impliquent un corps qu’on n’aime pas. «Elle a eu des troubles alimentaires, mais je suis chanceux car je n’en ai pas souffert, dit-il. Je ne me sentais pas mal de manger, mais comme j’ai été témoin de ce problème-là, j’y suis sensible. En même temps, c’est sans doute parce que j’ai vu ma mère évoluer que je ne basculerai probablement jamais là-dedans, même s’il m’arrive de lutter pour ne pas le faire. On a tous le pouvoir de changer quelque chose dans notre corps, d’améliorer certaines affaires, mais est-ce que ces changements-là se font au détriment de qui nous sommes? De comment on a le goût de vivre? De ce qu’on a envie de boire et de manger? L’intelligence émotionnelle doit l’emporter sur ce que je vois dans le miroir. Je mange super bien, je fais de la boxe quatre fois par semaine et j’ai le corps que j’ai. Qu’est-ce que tu veux que je fasse? Et pourquoi ça ne serait pas correct? C’est fou, parce que quand j’étais jeune et mince, je rêvais de devenir costaud comme un colosse.»



Souffrir 24 heures sur 24
Attention, alerte aux clichés! En 2021, c’est encore moins facile qu’autrefois de proposer une image qui sort des normes, considérant la «perfection» des photos qui circulent sur les réseaux sociaux. C’est sans doute un cliché de le dire, n’empêche que c’est la réalité et qu’elle n’a pas changé d’un iota depuis une dizaine d’années. Instagram est devenue la capitale mondiale des coachs de fitness, des six-packs et des dents blanches.
Et si, avant l’ère numérique, on pouvait oublier les remarques désobligeantes une fois la cour d’école franchie, aujourd’hui, ces adonis virtuels au bonheur perpétuel nous poursuivent jusqu’à la maison. Impossible d’y échapper. «C’est vrai que la pression est plus forte à cause des réseaux sociaux, estime Félix-Antoine. On sait très bien qu’ils amènent autant de négatif que de positif. Rendu là, on a le pouvoir de suivre ceux qu’on veut bien suivre. Je ne veux rien savoir des gens qui me veulent du mal ou qui tentent de me rabaisser. J’ai envie de m’entourer de gens qui veulent m’écouter et qui saisissent qui je suis.
– Je ne la vois pas tant que ça, la pression des réseaux sociaux, réplique Matthieu. Ça ne me m’est jamais arrivé d’envier un beau gars musclé sur Instagram. C’est plutôt ce qui m’arrive au quotidien qui me choque régulièrement. Pourquoi ai-je de la difficulté à m’habiller chez Simons avec la shape que j’ai? Ça me rend agressif. Ça scrappe ma journée de ne pas avoir été capable de rentrer dans une ostie de paire de jeans… dans un magasin qui est sensé servir tout le monde. Pourquoi devrais-je porter des chemises carrautées laides, des pantalons pas de coupe pis des chandails à trois boutons? Juste parce que je suis gros? Fais ce que tu veux sur Instagram, je m’en fous, mais fais-moi sentir bien quand je vais m’acheter un t-shirt. Laisse-moi au moins croire que tu as pensé à moi dans ta réflexion de businessman qui œuvre dans l’industrie du vêtement.
– Moi, je l’ai sentie, la pression des réseaux sociaux, admet Karl. Et c’est pour ça que j’ai décidé de changer le contenu narratif sur mon compte. J’ai mis des images que j’avais envie de voir et que je ne voyais pas assez. On a quand même beaucoup plus de contrôle qu’on pense sur notre téléphone. Quand j’ai compris que je pouvais suivre des gars avec la même shape que moi et que ça allait m’aider à m’accepter, tout a changé dans ma tête. J’ai appris à lâcher prise sur des gars que je trouvais donc beaux.»
Devant moi, il y a trois gars animés par le même enjeu, avec cette même envie de voir les regards évoluer, mais ces gars- là sont pourtant très différents. Félix-Antoine, c’est le sage, celui qui réconforte les deux autres. Matthieu, lui, est plutôt contrarié et impatient, alors que Karl m’apparaît comme celui qui a profondément souffert. Il admet même avoir maltraité son propre corps pour se venger du reflet qu’il lui offrait. «C’était très dark mon affaire, raconte- t-il. Je mangeais vraiment très mal par choix, je me mutilais, je me suis même déjà brûlé dans le bain… En faisant ce shooting photo, c’est comme si je demandais pardon à mon corps pour tout ce que je lui ai infligé. Comme si je le remerciais pour tout ce qu’il m’a offert. Il m’arrive de me demander si je ne mets pas trop de photos ou de vidéos de moi sur les réseaux sociaux. Puis, quand j’y pense un peu plus, je me dis que non, il n’y en aura jamais assez. Si j’ai envie de le faire, je vais le faire, parce que l’opinion des autres me pèse moins qu’avant. Je ne veux plus laisser personne fissurer ma confiance.
– C’est incroyable ce que tu fais, Karl! s’exclame Félix-Antoine. Parce que quand tu publies une photo, à travers les milliers de personnes que tu fais sourire, les autres qui t’admirent et certaines que tu déranges, ben il y en a peut-être une que tu sauves. Et cette personne-là est vraiment importante. Elle valide tout ce que tu fais et tout ce que tu as traversé pour parvenir à donner à ton corps le droit d’exister.»


Le fait d’être drôle réside dans ce que je suis, incluant le surpoids et les bajoues. Je ne crois pas que j’aurais fait ce métier-là si je n’avais pas été un petit gros.
Différent comme toi
Que ce soit en humour ou sur les plateaux de télé, il existe un casting bien précis pour les personnes de forte taille. Certains agents d’artistes corpulents auraient même suggéré à leurs clients de ne pas trop perdre de poids, histoire de pouvoir décrocher ces rôles qui leur sont destinés plutôt que de se fondre dans la masse.
«Toute ma vie, j’ai conduit une fourgonnette que je connais, illustre Matthieu. Je sais comment être drôle dans le corps que j’habite. Si, demain matin, je me retrouvais mince et musclé, je ne saurais pas quoi faire avec ce char-là… Le fait d’être drôle réside dans ce que je suis, incluant le surpoids et les bajoues. Je ne crois pas que j’aurais fait ce métier-là si je n’avais pas été un petit gros. Au départ, c’était un moyen de défense, un moyen de vali- dation auprès des autres. Avoir été mince, je pense que je serais resté bien tranquille dans ma classe et je ne crois pas que ma prof m’aurait incité à passer des auditions pour le show de fin d’année. Aujourd’hui, je suis un des auteurs de la série Entre deux draps et je voulais que mon personnage soit le plus souvent possible en bedaine. Je voulais de la rondeur à la télé, mais pas pour ajouter d’effet comique. Je ne voulais pas d’un gros qui déboule les marches ou qui joue le niaiseux. Non, juste un gros en bedaine qui est en train de se changer, comme on voit les autres gars le faire.
– Exact, je ne suis plus capable de voir des gros toujours dans le même casting à la télé, affirme Félix-Antoine. Il faut arrêter de les représenter comme des gens qui se bourrent de junk food ou qui ont de la misère à respirer en mon- tant un escalier. Il y en a plein des gars ronds, sportifs et qui mangent bien, mais que veux-tu, c’est ça, leur calvasse de shape!»
LEURS ACTUS
Matthieu Pepper fait partie des scénaristes de la télésérie Entre deux draps, dans laquelle il reprend son rôle dès le 15 septembre, à 19 h 30, à Noovo. À la radio, il coanime l’émission Le fun est dans le retour, sur les ondes de CKOI. Enfin, il sera en rodage de son premier one man show en 2022.
Félix-Antoine Tremblay participe à l’émission Véronique et les Fantastiques, à Rouge FM, et il animera l’émission Des idées de grandeur dans ma cour, de retour à Canal Vie en 2022.
Karl Hardy est animateur, chroniqueur culturel et influenceur. Il collabore à la plateforme noovomoi.ca. On peut aussi le suivre sur Instagram (@karl_hardy) pour s’offrir une dose quotidienne de rires!
Photographie Marjorie Guindon
Stylisme Jenn Finkelstein
Mise en beauté Shannon Leigh
Assistantes-photographes Mylène Castilloux et Alexya Crôteau-Grégoire
Coordonnatrice Claudia Guy
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