Pierre Hébert : les meubles

Pierre-Hebert-Les-meubles
10 Nov 2021 par Pierre Hébert
Catégories : MSN / Oser être soi
Icon

Pierre Hébert relate un de ses plus importants apprentissages côté relations humaines.

J’ai 17 ans. Je me prépare à partir pour une fin de semaine de camping avec un groupe d’amis. La veille du départ, mon chum de gars m’appelle pour me dire qu’il y a une fille de la gang qui a essayé de le convaincre de ne pas m’inviter parce que je lui tape sur les nerfs. Mon ami m’assure que je suis toujours le bienvenu et me conseille de ne pas m’en faire avec elle. Je fais semblant que tout est cool, alors que mon estomac se noue avec une force aussi surprenante qu’angoissante.

Ça me fait l’effet d’une douche froide parce qu’à 17 ans, tu n’as qu’un seul but dans la vie: que tout le monde t’aime. Ça me fait l’effet d’une douche froide parce que, sans que cette fille soit ma meilleure amie, nous avions quand même – du moins je le pensais – une belle relation.

La bonne nouvelle, c’est qu’en plus de nous surprendre, une douche froide a aussi comme effet de nous réveiller. Ce qui m’amène à une soudaine prise de conscience: pourquoi est-ce que je m’en ferais pour quelqu’un qui ne m’aime pas? J’ai beau chercher, je n’arrive pas à trouver de réponse.

Après 10 minutes de réflexion, un sentiment étrange m’habite. Ça y est, c’est terminé! Je ne consacrerai plus de temps ni d’énergie pour qu’elle m’apprécie, pour la faire rire ou même pour qu’on passe du bon temps ensemble. Et c’est d’autant plus étrange que je ne suis même pas fâché ou en colère. En fait, c’est très bizarre ce qui se passe dans ma tête. C’est comme si c’était maintenant un dossier réglé: nous deux, on ne sera jamais amis et c’est parfait comme ça.

Je sais bien que je vais la revoir au camping et plusieurs fois par la suite. Mais chaque fois qu’elle sera là, dans ma tête, ce sera désormais comme si elle était devenue un meuble dans la pièce. Quand je serai en sa présence, je ne lui prêterai pas attention et n’investirai pas la moindre énergie pour attirer la sienne. Je ne serai pas heureux de la voir, mais pas fâché non plus. Je la saluerai si je la croise et lui répondrai si elle me parle. Elle ne sera qu’un meuble dans la pièce: présente, sans plus.

Ça fait partie de la vie: il faut accepter qu’on ne peut pas aimer tout le monde et que tout le monde ne peut pas nous aimer en retour.

Cette fille a été le premier «meuble» dans ma vie. C’est comme ça que j’appelle ceux avec qui, peu importe l’effort déployé, ça ne marchera jamais. Il y a ceux qui sont foncièrement méchants et ceux avec qui il n’y a juste aucune affinité. Il y a aussi ceux qui traînent des trucs de leur passé ou des problèmes à régler qui empêchent toute relation saine et agréable. Et s’il est possible d’en sortir certains de notre vie, il y en a d’autres qu’on doit continuer de croiser à cause du travail, de la famille, des amis. Ce sont eux que je transforme en «meubles».

Ça fait partie de la vie: il faut accepter qu’on ne peut pas aimer tout le monde et que tout le monde ne peut pas nous aimer en retour. Je suis également conscient d’être probablement le «meuble» de quelqu’un d’autre… et c’est parfait comme ça. Si, pour une raison ou une autre, je n’apporte pas de positif dans l’existence de quelqu’un, je suis content que cette personne me transforme en meuble.

C’est sûrement un des apprentissages les plus sains que j’ai fait à ce jour. Ça m’empêche de gaspiller de l’énergie et du temps dans des relations qui n’ont absolument aucune chance d’aboutir à quoi que ce soit d’intéressant.

Avec le recul, je me rends compte que j’avais aussi ma part de blâme dans la situation que j’ai vécue à 17 ans. Je voyais bien que cette fille était plus ou moins intéressée à être mon amie et, au lieu de l’accepter, j’essayais juste plus fort. Soyons francs: il n’y a pas grand-chose de plus énervant que quelqu’un qui essaye trop et trop fort!

En vieillissant, c’est devenu encore plus clair dans ma tête. Si je n’ai pas assez de temps et d’énergie pour voir tous ceux que j’aime, à quoi bon en perdre avec les autres? J’ai réalisé que la vie est beaucoup plus belle quand tu te concentres sur ceux qui ont envie d’être en camping avec toi plutôt que d’essayer de charmer ceux qui aimeraient mieux ne pas t’y voir.

Les meubles. Vive les meubles.

À lire aussi:



Catégories : MSN / Oser être soi
0 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée.

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine