Planète femmes : Guylaine Tremblay

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20 Déc 2022 par Claudia Larochelle
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Rencontre avec Guylaine Tremblay, notre comédienne chouchou à l’énergie contagieuse et à la parole libérée.

Elle fait l’unanimité, peut passer de la comédie au drame, ressembler à nos meilleures amies, à cette mère qu’on aurait voulu avoir ou à cette soeur qui nous donnerait de sages conseils. Guylaine Tremblay, au fond, c’est un peu toutes les femmes, avec ce supplément d’âme qui fait qu’on a envie de la côtoyer. À preuve, en 38 ans de carrière depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec, elle n’a jamais cessé d’être désirée et espérée.

Espérée, oui. Elle l’a été, et l’est encore, par beaucoup d’équipes de production quand vient le temps de penser à leur distribution. La scénariste India Desjardins était donc aux anges quand elle a su que l’actrice acceptait un rôle dans son film 23 décembre. Guylaine y incarne le personnage de Marie-France, la mère de deux trentenaires montréalaises (Virginie Fortin et Catherine Brunet), avec qui elle espère passer un beau Noël en famille dans Charlevoix.

«Oh India! Elle écrit si bien! Je la trouve brillante et très humaine. Elle m’épate. Je la trouve sensible, aussi!» s’exclame d’emblée Guylaine quand j’évoque le nom de l’autrice et scénariste québécoise. Connaissant mon amour des mots, la comédienne s’emballe, les yeux pétillants, en me parlant des liens si fort et précieux qui unissent les auteurs aux acteurs. «Le texte, c’est le solage de la maison. T’auras beau avoir de belles fenêtres, si le solage n’est pas là, ça ne fonctionnera pas. Les acteurs ne peuvent pas tout sauver à eux seuls. Quand c’est bien écrit, c’est comme si chaque mot était une marche d’escalier qui mène à la bonne émotion.»

Naturellement orientée vers les autres, l’instant d’après, Guylaine me demande si j’aime l’endroit – un petit café-resto dans le quartier Rosemont –, craignant que ce soit trop bruyant pour moi. Elle excelle dans l’art de détourner l’attention vers autre chose que sa propre personne – même si tout le monde l’observe à la dérobée –, prête aussi à me rassurer quand je lui confie ma crainte de manquer d’originalité devant une artiste que je tiens en haute estime et qui, surtout, a été interviewée des centaines de fois.

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Dans la lumière

En 22 ans de carrière comme journaliste, aussi étrange que ça puisse paraître, je ne l’avais jamais rencontrée dans un contexte d’entrevue. La seule fois où on s’était parlé, c’est dans un événement au cours duquel je l’avais complimentée sur son animation de la défunte émission Banc public, à Télé-Québec, où elle rencontrait des gens «ordinaires» ayant vécu des choses extraordinaires.

À mon avis, il n’y avait qu’elle pour susciter une telle ouverture du coeur chez ses invités, des confidences percutantes jamais prononcées, pour les faire rire ou pleurer et leur démontrer une sincère empathie. Je me souviens que Guylaine s’était alors empressée de me congratuler sur mes propres projets. Des affaires si modestes en comparaison des siennes…

Mettre l’autre dans la lumière. Toujours. Ça m’avait frappée. S’était ensuivie une remarque de ma part sur ses sandales que je trouvais magnifiques et dont elle m’avait vanté le confort absolu. Il faut me pardonner cet élan de superficialité: j’en étais venue à oublier son aura de star, celle qu’elle ne cultive surtout pas – à l’image des plus grandes –, comme une certaine Andrée Lachapelle, qui a été l’une de ses sources d’inspiration.

«Les actrices plus vieilles m’ont beaucoup appris. La première fois que j’ai joué avec Andrée Lachapelle, j’ai découvert à quel point elle était fine, généreuse. Elle a été un grand exemple pour moi. C’était mon amie et j’ai eu beaucoup de chance qu’elle le devienne. Je pense souvent à elle», dit Guylaine, émue, touchante et radieuse dans son vaporeux chemisier marine. Je me suis retenue de lui en demander la marque.

«Ouais, je suis très arrangée, maquillée et tout, là. Je sors de la séance photo pour le magazine, justement», mentionne-t-elle, complimentant au passage le professionnalisme de l’équipe et de la photographe Andréanne Gauthier. Au-delà de leur talent, quand le sujet ne fait pas de chichis, il me semble que ça ne peut qu’être facilitant pour le travail. Et des chichis, je n’imagine pas Guylaine Tremblay en faire. Comme j’aimerais avoir sa recette de gentillesse absolue! «C’est parce que les gens sont fins avec moi! Et quand ce n’est pas le cas, je suis très très capable de ne pas être gentille», admet-elle.

Quand je lui réponds que tout le monde l’aime et que c’est en soi assez épatant, elle infirme mon impression: «En général, c’est vrai, mais il est arrivé à mes filles de me dire de ne pas lire certains commentaires sur les réseaux sociaux, surtout à l’époque où je gagnais toujours des trophées Artis. J’ai déjà reçu un commentaire d’une dame qui me disait de laisser ma place aux jeunes. Je lui ai répondu que ce n’était quand même pas moi qui allais jouer la fugueuse (dans la télésérie du même nom)! Je ne prends la place d’aucun jeune – je ne le suis d’ailleurs pas – et je ne peux pas jouer ces rôles-là, voyons!»

Ça me rappelle qu’il y a tellement d’actrices et d’acteurs de son âge qu’on voyait beaucoup et qui, eux, sont quasiment disparus de l’écran et de la scène, souvent à contrecoeur. Celle qui a eu 61 ans en octobre dernier opine avec une sincère indignation: «Je le sais et, souvent, il y a plein de concours de circonstances qui font que ça arrive. Je vois des femmes de mon âge qui ne travaillent plus. Plus du tout. Ne pas savoir comment tu vas payer ton loyer à 25 ans, ça se tolère, mais rendu dans la soixantaine, c’est plus dur. J’ai toujours eu beaucoup de chance. Ça vient un peu aussi de cette insouciance qui ne m’a jamais quittée. Je me disais: “Ça va aller, je vais travailler.” Il faut de bons nerfs pour être pigiste, et je ne pourrais pas être autre chose, parce que la sécurité m’ennuie.»

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L’éternel doute

Tout ça ne veut pas dire qu’elle ne doute pas. Même quand on s’appelle Guylaine Tremblay et qu’on ne chôme jamais. Après la première lecture en groupe du scénario de 23 décembre, elle s’est inquiétée, craignant de ne pas avoir été à la hauteur des attentes et des mots d’India Desjardins qui, elle, n’en revenait juste pas que celle qui incarne la maman dans son film puisse douter. «Voyons, elle était tellement bonne! Je ne comprenais pas qu’elle puisse penser ça, elle me faisait même rire aux larmes! Voyons, c’est fucking Guylaine Tremblay!» s’exclame avec son franc-parler la scénariste qui n’en n’est pas à son premier film. «J’ai envie de surprendre un peu plus à chaque rôle, rétorque l’interprète. Je ne veux pas que les créateurs qui m’approchent soient déçus. Par contre, je ne doute jamais que je suis à ma place dans le métier.»

«Guylaine, il n’y a rien qui lui fait peur et elle dit toujours que la peur n’est pas un bon moteur. C’est d’ailleurs une des personnes qui m’a donné le plus confiance en moi. Quand je doute, c’est une des premières vers qui j’ai le réflexe d’aller», témoigne la comédienne Émilie Bibeau, avec laquelle Guylaine parle au téléphone chaque semaine depuis 2005, l’année où elles se sont connues dans le téléroman Annie et ses hommes. «C’est aussi une rassembleuse. Quand on a une Guylou dans sa vie, c’est comme si on avait un petit filet de sécurité», ajoute l’actrice, en précisant que le tempérament de Guylaine dégage «une force de vivre».

Conjuguée à ses valeurs de loyauté et à son esprit de communauté, c’est aussi cette «force de vivre» qui donne à Guylaine son inclination combative. Surtout quand il s’agit d’équité salariale. En abordant la question, je sens son coeur s’enflammer. Pas à peu près. «À chacune de tes entrevues avec des actrices ou des femmes qui te parlent de leur travail, ça doit revenir ce sujet-là, hein?» s’enquiert celle qui lit dans mes pensées. «J’ai joué avec des gars qui ont accepté de me révéler leur salaire et je me suis rendu compte que je gagnais parfois plus que la moitié moins qu’eux. J’ai pris la décision que ça ne se reproduirait plus jamais. Si je négocie et que j’apprends que j’ai une cenne de moins que mon partenaire pour le même travail, je m’en vais. Ça incombe toujours aux femmes d’exiger d’être payées… Et qu’on respecte le fait qu’on a des enfants, aussi. Quand mes filles étaient plus jeunes, j’exigeais d’avoir un mois de vacances l’été pendant qu’on tournait Annie et ses hommes. Il faut imposer ça. Gentiment mais fermement.»

S’il n’y avait que cette bataille-là à mener… Car cette injustice vient souvent avec celle du satané diktat des apparences et son lot d’injonctions aux femmes. Encore. Je remarque que ce sujet-là l’irrite aussi, avec raison. Impossible d’en faire abstraction, le sujet étant au coeur de tellement de discussions quand il s’agit du corps des femmes à l’écran, de ce qu’on exige d’elles. «On dirait que c’est jamais correct, déplore la comédienne. On nous a toujours mis une petite pression pour qu’on se teigne les cheveux en vieillissant, pour camoufler nos repousses. Maintenant, c’est le contraire. On entend des “Ah, tu te teins encore les cheveux, toi?” Puis on nous inonde d’images de femmes superbes avec les cheveux gris. Gris ou pas, moi, je suis tannée qu’on nous bombarde d’images de la grand-mère la plus sexy de la planète avec des cheveux non teints bien “brushés”. On ne nous montre jamais la photo de celle qui a l’air d’un petit mulot par exemple, hein? (rires) Il faut toujours se battre pour qu’on nous laisse être ce qu’on est. Si je n’ai pas envie de me teindre les cheveux jusqu’à l’âge de 125 ans, ça me regarde. Comme femme, on dirait qu’on est toujours en train de se justifier. Laissez-nous donc tranquilles!» s’emporte-t-elle.

Cela dit, Guylaine retrouve vite sa mine réjouie en jetant un coup d’oeil sur un texto qu’elle vient de recevoir à la fin de notre entretien. «Oh! C’est mon amie Hélène Bourgeois Leclerc qui m’écrit qu’elle m’aime, juste de même!» On se laisse là-dessus, dans la bonne humeur. J’ai l’impression qu’elle insuffle de la force à tous ceux et celles qu’elle rencontre, qu’il y a ça de contagieux chez elle, comme le mentionnait Émilie Bibeau. Espérons que «l’effet Guylaine» puisse durer encore longtemps.

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SES ACTUS

En plus d’interpréter Anna, dans la télésérie Anna et Arnaud, à TVA, Guylaine Tremblay fait partie de la distribution du film 23 décembre, en salle le 25 novembre. Elle participera aussi au Bye bye 2022, diffusé le 31 décembre à ICI Radio-Canada Télé.

Photos : Andréanne Gauthier
Stylisme : Craig Major
Mise en beauté : Jean-François CD et Andrew Gilbert

 

 

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