Rencontre avec une artiste, une mère et… une jardinière à la générosité débordante.
Kathleen Fortin, c’est d’abord une présence. Vraie, puissante, vibrante. Il y a certes cette crinière rousse, flamboyante et indomptée, cette stature altière et cette caressante voix d’alto qui nous conquièrent d’emblée. Mais il y a surtout cette quête de vérité qui nous galvanise à chacune de ses apparitions. Comment oublier sa terrifiante et pourtant si déchirante Boule de quille dans Unité 9, qui l’a véritablement révélée au grand public? Impossible, tant elle a fait corps et âme avec ce rôle mythique dans lequel elle était aussi prodigieuse que méconnaissable.
Cela dit, ses fans de la première heure m’en voudraient terriblement de résumer son parcours à ce seul tour de force. Après tout, la comédienne et chanteuse a brillé sur scène dans une cinquantaine de productions, dont Belles-sœurs, Demain matin, Montréal m’attend, Nelligan ou Les 4 saisons d’André Gagnon, de même qu’au petit et au grand écran, notamment dans Les Invincibles, Olivier, Fatale-Station ou encore L’affaire Dumont. Et ce n’est pas près de s’arrêter: 25 ans après ses débuts, Kathleen Fortin n’a jamais autant joué! J’y reviendrai.
Pour l’heure, je la rejoins dans un petit parc verdoyant, situé à un jet de pierre de sa maison, dans un quartier mixte et vivant de Montréal. «J’aurais aimé ça nous faire de la limonade, mais tout va trop vite», lance-t-elle pendant qu’on s’installe à une table à pique-nique. Attrapée au vol entre deux tournages, elle savoure la chaleur inattendue de cet après-midi de mai. Elle a sorti ses sandales, enfilé un t-shirt et un legging à la hâte. Le visage nu, rousselé, le regard pénétrant et le rire éclatant, elle est d’une exquise simplicité. «Je suis plein de choses. Et j’aime ça, être plein de choses. Oui, je suis frondeuse, mais en même temps je suis calme et posée. J’ai un grand feu intérieur, mais je suis aussi très pudique. Ça intimide parfois les gens [du métier], car ils ne savent pas toujours quelle femme ils ont devant eux. Je suis un peu caméléon. Je m’adapte, pas pour plaire à l’autre, précise-t-elle, mais pour me mettre au service de quelque chose. C’est mon moteur. Tout ce qui vient avec le vedettariat ne m’a jamais appelée. Si je fais ce métier- là, c’est parce que c’est ce que je sais faire de mieux.» Le ton, franchement intimiste, est donné.
Plus tard dans la conversation, elle dira, réfléchissant à voix haute sur la place qu’elle occupe dans le monde: «J’ai tellement de feu en moi que je pourrais facilement être un truck, une locomotive, un dix-roues dans la vie! Mais j’ai trop de délicatesse pour me permettre d’être aussi intense avec mes proches.» Et sur scène? «Là, je peux y aller all in! Je m’abandonne totalement. N’avoir aucune résistance, c’est la clé essentielle de l’acteur.» Est-ce à dire qu’elle n’a aucune peur? «J’en ai plein, des peurs! Mais je ne les écoute pas très fort!» tranche-t-elle en rigolant. En revanche, elle ne tait pas ses doutes: c’est, avoue-t-elle, ce qui lui permet d’explorer, d’avancer, quitte à se tromper parfois, pour mieux s’approcher de la sincérité, une de ses valeurs cardinales. Car sur scène comme dans la vie, Kathleen ne triche pas. Elle se donne entièrement.
Le théâtre dans la peau
Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada, en 1997, Kathleen Fortin a peu connu de passages à vide. Ses choix artistiques ont donc été guidés par l’envie et très peu par la peur du manque. «J’ai une confiance absolue en la vie. Elle m’a toujours bien servie, alors je me laisse porter par elle. Pourquoi je vais dans une direction? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que j’ai envie de croire à cette magie… Et même si un projet dans lequel je m’aventure est ardu, je finis toujours par me dire que c’était pour y apprendre quelque chose», avoue celle qui a le goût du théâtre depuis sa plus tendre enfance.
«Dès que j’ai appris à lire, à six ou sept ans, j’ai dévoré les pièces de théâtre que ma mère avait conservées de ses études de jeu, au collège. Je ne comprenais pas tout, mais l’enchaînement des répliques me fascinait!» Très vite, la petite Kathleen, une G.O. dans l’âme, ameute son frère cadet, les petits voisins, et transforme le grand terrain derrière la maison familiale, à Napierville, en théâtre en plein air. «Un jour, on recréait une agence de détectives privés et, le lendemain, une grande parfumerie, où on faisait des savons avec de l’eau et des fleurs effoirées. On chargeait 25 cents par personne pour pouvoir se payer un cornet de crème glacée après la séance… On a même monté une satire du Le Temps d’une paix, qu’on avait rebaptisée Le temps d’une pipe! raconte-t-elle en se bidonnant. On était jeunes et innocents!»
N’empêche, la future comédienne ne prenait pas ses «pestacles» à la légère. Mise en scène, décors, costumes, premiers rôles: rien ne lui échappait. Que cherchait-elle en jouant les Xavier Dolan avant la lettre? «Pas les applaudissements, c’est sûr. J’avais envie de faire du théâtre. C’était plus fort que moi.»
Le destin lui a donné raison. À preuve, rien que cette année, elle campe et campera, dans le désordre, une bouchère malmenée par la vie (Après); une femme de coprésident de la République du Québec (La Maison-Bleue); une lieutenante spécialisée en crimes sexuels (Doute raisonnable); une geek (Portrait-robot); une garde du corps de ministre (Arlette!) et une mère complotiste (L’Échappée)…


Le bonheur en soi
À 47 ans bien sonnés, Kathleen Fortin n’a pas peur de la cinquantaine. Ni des décennies qui viendront après. «J’adore vieillir. J’ai l’impression d’avoir encore 20 ans dans ma tête et dans mon cœur. En fait, la fougueuse de ma vingtaine est toujours là. Elle a seulement gagné en expérience de vie. Je la côtoie tous les jours et je l’aime…»
Pas de doute, la comédienne est bien dans tout son être. «Je n’ai aucun mérite: je suis née heureuse. Même dans les grandes épreuves, je sais que ça ira mieux. C’est parfois douloureux, mais je n’ai pas peur. J’aimerais bien léguer ce cadeau de la résilience à mes filles, car c’est le plus beau que la vie m’ait fait», confie-t-elle avec une tendresse dans la voix.
Ses filles, ce sont trois adolescentes, qui connaissent les exaltations et les tempêtes de leur âge. Elle les écoute, les guide, leur insuffle un mélange de confiance en soi et d’humilité, tout en essayant de rester sensible aux défis de chacune, à des années- lumière des siens. «C’est ce que je trouve le plus difficile comme mère. Par exemple, lorsqu’une d’elles manque cruellement d’estime de soi, ça me brise le cœur. J’ai beau lui dire à quel point elle est formidable, je me sens impuissante… En revanche, mes filles me parlent librement et s’ouvrent à moi sans crainte. J’ai réussi ça, je pense. Mais, ajoute-t-elle à la blague, il se peut qu’elles se tapent des années de thérapie et que j’apprenne plus tard que j’ai été la cause de bien des maux!» Comme de raison, les mères ont toujours tort, conclut-on.
Heureusement, il y a l’amour et l’amitié. «Je suis une grande amoureuse! Pas seulement de l’homme de ma vie, mais de mes amis aussi. Je les admire: ce sont les plus beaux, les plus drôles, les plus intelligents! Ils ont de 25 à 80 ans. C’est une chance et une richesse. Ça nous permet de nous apporter beaucoup mutuellement et de rester sans âge…»
Alors que le temps file, je veux absolument parler de chanson avec celle qui nous épate autant sur les planches qu’à chacune de ses prestations à En direct de l’univers. «Quand je chante, je me mets à nu. La chanson, c’est très impudique. On ne peut pas se cacher derrière un personnage… Mais, précise-t-elle, la chanson ne rivalisera jamais avec le jeu pour moi. C’est une simple question de profondeur et d’intensité.» Et moi qui la voyais bien en diva! «Ah non! Je suis bien trop bum pour ça! Je suis très disciplinée et travaillante, mais je n’ai pas la rigueur maniaque d’une chanteuse classique. Moi, je chante avec mes tripes. Et puis, je suis trop une fille de gang pour partir en tournée solo. Ce serait ma mort!» Ça ne l’empêche pas pour autant de flirter avec l’idée d’écrire des chansons ou une télésérie, quand elle en aura (enfin) le temps…
Avant qu’on se quitte, Kathleen m’entraîne chez elle, où une oasis urbaine nous attend. C’est que l’actrice est aussi une merveilleuse jardinière, qui sème le bonheur autour d’elle. Il faut voir son étonnant potager suspendu au mur de briques de sa maison des années 1920 et son jardin fleuri devant le balcon où elle et son clan grattent joyeusement guitare et ukulélé, au soleil. Penchée sur une rose charnue, elle s’étonne, la voix chantante: «C’est fou à quel point les gens croient que, si tu jardines, tu dois être une bonne personne!» Ce n’est sûrement pas Boule de quille qui les contredira.
SES ACTUS
En plus de retrouver Kathleen à la télé dans Après, La Maison-Bleue (ICI Tou.tv Extra), Portrait-robot (Club Illico), L’Échappée (TVA) et, plus tard cette année, dans Doute raisonnable (ICI Tou.tv Extra), on la verra au cinéma dans Arlette!, en salle en 2022.
Photos Julie Artacho
Stylisme Camille Internoscia
Maquillage Bruno Rhéaume
Coiffure Andrew Gilbert
Assistant-Photographe Kevin Poisson
Coordonnatrice Claudia Guy
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