Planète femmes : Nathalie Doummar

planete-femmes-nathalie-doummar
27 Fév 2023 par Laïma A. Gérald
Catégories : MSN / Oser être soi / Véro-Article
Icon

Décidément, Nathalie Doummar a tous les talents. Au petit écran, on a pu la voir dans les téléséries «Aller simple» et «L’Échappée», et elle enchaîne aussi les succès sur les planches.

D’ascendance égyptienne, l’actrice et autrice à l’aube de la quarantaine puise dans ce qu’elle a de plus intime pour toucher le coeur de tous les Québécois.

Nathalie me donne rendez-vous au Cornélien, un espace de cotravail situé dans la Petite-Patrie, à Montréal. En l’attendant, je trouve amusant qu’elle ait choisi un endroit qui porte le nom d’un choix, d’un dilemme qui oppose la raison et les sentiments.

Dans sa dernière pièce, Mama, présentée à guichet fermé au Théâtre Duceppe à l’automne 2022, Nathalie interprète le personnage de Diane, une jeune femme d’origine égyptienne dont l’histoire est largement inspirée de la sienne. Elle divorce du père de ses enfants, puis fréquente une femme, ce qui fait scandale dans sa famille.

Tiraillée entre la société québécoise qui l’a vue grandir et les valeurs égyptiennes qu’on lui a transmises, Nathalie oscille constamment entre ce que lui dictent sa tête et son cœur. 

Planète femmes : Nathalie Doummar

De deuxième génération

Nathalie a vu le jour à Montréal, née de parents égyptiens qui se sont rencontrés dans la Belle Province, après avoir tous deux fui le régime de Nasser. Élevée dans l’arrondissement Saint-Laurent, Nathalie a grandi dans un environnement multiculturel, entourée de familles égyptiennes, libanaises et syriennes.

«Enfant, je rêvais d’être actrice, se remémore-elle. Je voyais des enfants jouer à la télé et je les enviais. Mais ce n’étaient que des enfants blancs, alors je n’osais pas m’y projeter.»

À l’instar des jeunes de sa communauté, elle emprunte un chemin qu’elle qualifie de «typique: cégep, université, mariage». Elle fréquente l’école privée avant de se lancer dans des études d’enseignement primaire, un métier qu’elle pratique pendant deux ans. Puis, au début de la vingtaine, elle épouse son ami d’enfance, qui deviendra le père de ses deux filles.

Toujours attirée par le théâtre, elle s’aventure hors des sentiers battus et est admise au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. On ne se fera pas de cachette: l’art n’est pas d’emblée un choix de carrière très valorisé par les familles d’immigrants. «Mes parents étaient rassurés que j’aie mon brevet d’enseignement, au cas où le théâtre ne fonctionne pas pour moi», ajoute celle qui se considère comme un «mouton noir» dans bon nombre de situations. «Au Conservatoire, on me voyait comme la “minorité visible”. On me considérait peu pour les rôles traditionnellement destinés aux personnes blanches.»

Vouloir s’intégrer à tout prix, avoir peur de décevoir, se sentir imposteur sont des sentiments que Nathalie et beaucoup d’immigrants de deuxième génération connaissent (trop) bien. «Je réalise que je porte une forme de honte et j’essaie constamment de me fondre dans la culture québécoise dite “de souche”, mais sans me dénaturer», me dit-elle avant de s’informer de mes origines. Si elle devine en moi une expérience s’apparentant à la sienne (je suis d’ascendance marocaine par mon père), je lui avoue à mon tour que lorsque je l’ai vue pour la première fois sur la scène du Théâtre La Licorne en 2016, je me suis immédiatement reconnue en elle, rare jeune femme d’Afrique du Nord dans un paysage culturel majoritairement blanc. Ma rencontre artistique avec l’autrice des pièces Coco, Sissi et Mama a donc été particulièrement déterminante dans mon besoin de me sentir représentée dans les médias.

«C’est un privilège de pouvoir prendre le meilleur des deux mondes dans lesquels j’ai grandi, mais ç’a souvent été de pair avec le sentiment d’être inadéquate», confie celle qui incarne la Dre Leila Khouzam dans la télésérie L’Échappée (TVA). «Chez nous, c’est flamboyant! On parle fort, on rit fort. Ici, cette flamboyance est souvent perçue comme étant trop intense. […] J’essaie malgré moi d’aplatir le relief que ça crée de venir d’ailleurs, mais je veux aussi me rappeler que c’est valide d’exister avec la vivacité qui caractérise les miens.»

La pièce Mama, dans laquelle elle donne la parole à des femmes arabes de différentes générations – que plusieurs ont comparé aux Belles-sœurs de Michel Tremblay – a largement contribué à la quête d’affranchissement de l’artiste. «En m’entourant de ces actrices, pour la première fois de ma vie, je ne me sentais pas comme une personne “issue de la diversité”, souligne-t-elle. Je ne souhaite pas nécessairement parler que d’identité culturelle et de métissage pour le reste de ma vie, mais je crois avoir réussi à créer plus qu’une “histoire exotique”. Beaucoup de Québécois s’y sont identifiés.»

C'est un privilège de pouvoir prendre le meilleur des deux mondes dans lesquels j’ai grandi, mais ç’a souvent été de pair avec le sentiment d'être inadéquate.

Planète femmes : Nathalie Doummar

Amour et liberté

Si sa quête d’affranchissement des valeurs traditionnelles se reflète dans son œuvre, il en est de même dans sa vie personnelle. Alors qu’elle traverse une période charnière, Nathalie tombe amoureuse d’une femme, pour laquelle elle quitte le père de ses enfants.

«En divorçant et en choisissant d’être en couple avec une femme, j’ai déçu énormément de gens et j’ai perdu l’estime de certaines personnes de ma communauté, confie-t-elle, émotive. Ç’a été une période extrêmement difficile… Je suis constamment dans une quête de me libérer du regard des autres. Mais c’est surtout du mien dont il faut que je m’affranchisse.»

Quand je lui demande comment ce besoin d’appartenance à son clan et ce désir simultané de s’en libérer se reflètent dans l’éducation qu’elle prodigue à ses filles de 10 et de 6 ans, la maman navigue dans les mêmes paradoxes. «Je ne veux pas qu’elles se sentent différentes [des enfants 100 % québécois], mais je veux qu’elles puissent être proches de notre langue et de notre culture, à leur père et moi, raconte Nathalie, en pesant minutieusement chacun de ses mots. Je dois inventer la maman que j’ai envie d’être.»

Et c’est qui, cette mère-là? «Le modèle de “mère parfaite” que j’ai intégré, c’est une femme qui n’est pas anxieuse, qui est hyper présente et qui est très organisée, ce que je ne suis pas. J’aurais aimé être une maman prof de yoga qui cuisine vraiment bien», ironise Nathalie, divorcée et dont l’horaire ne correspond pas au traditionnel 9 à 5.

À titre d’exemple, elle ouvre son sac et en sort un costume de chat pour enfant [NDLR: l’entrevue a été réalisée quelques jours avant l’Halloween]. «J’aimerais être une maman qui a le temps de coudre des déguisements pour ses enfants. À la place, je suis allée acheter ça en vitesse, dans un magasin tout sauf local», explique-t-elle avec une pointe d’humour.

Malgré tout, celle qui est aujourd’hui en relation amoureuse avec un jeune papa, lui aussi séparé, considère qu’elle fait de son mieux pour transmettre de l’ouverture d’esprit et, surtout, offrir une présence rassurante et bienveillante à ses fillettes.

Planète femmes : Nathalie Doummar

La matière première de ma création, c’est mon intimité. je me dévoile beaucoup à travers mes œuvres.

Fille de vague ou de ruisseau

«La plus grande force de Nathalie, c’est d’utiliser sa sensibilité hors du commun pour amplifier la voix de ceux et celles qui méritent d’être entendus», affirme le comédien et humoriste Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, qui ne s’est pas fait prier pour transmettre ses impressions sur son ancienne camarade de classe du Conservatoire. Amis depuis une dizaine d’années, le duo est maintenant réuni dans la distribution de la websérie Teodore pas de H (Télé-Québec), dont les textes, maintes fois récompensés de prix, sont signés Nathalie Doummar. On y suit la vie d’un trentenaire avec un TDAH qui finit son secondaire dans une école multiethnique pour adultes.

«Nathalie fait régner une atmosphère d’une rare bienveillance, presque familiale sur le plateau», souligne Philippe-Audrey. Il faut dire que, bien qu’il ne soit pas acteur professionnel, Daniel Doummar, le véritable frère de Nathalie, tient un rôle dans la websérie.

«Le regard de Nathalie a quelque chose de profondément lucide et raffiné», dit l’humoriste, juste avant de décrire son amie autrice comme une «tempête impassible». «Je la perçois comme un lac doux en apparence, mais au fond duquel se cachent des torrents et de puissants courants.»

L’analogie formulée par Philippe-Audrey me rappelle un extrait de la chanson Une sorcière comme les autres, d’Anne Sylvestre, que Nathalie et la comédienne Laetitia Isambert (Tactik, L’Académie, Nous) avaient interprétée dans un duo bouleversant. «Fille de vague ou de ruisseau», raconte la chanson: c’est comme ça que je décrirais Nathalie, moi aussi.

Planète femmes : Nathalie Doummar

Plein écran

Alors qu’avec les années, l’écriture est devenue pour elle un métier aussi important que le jeu, Nathalie espère pouvoir continuer de partager son temps entre le théâtre, la télévision et le cinéma tant que les projets la feront vibrer et contribueront à l’évolution de la société.

«Écrire et scénariser est une manière de m’éloigner des standards de beauté inatteignables et des injonctions à la jeunesse éternelle qui pèsent sur les actrices», confirme celle qui soufflera bientôt ses 40 bougies avec un mélange de sérénité et d’appréhension.

Contrairement à beaucoup de jeunes de sa communauté, Nathalie n’est pas devenue enseignante au primaire (comme prévu!), ingénieure ou dentiste, mais elle incarne néanmoins le personnage de la Dre Leila Khouzam dans L’Échappée, de retour cet hiver à TVA. «C’est une psychiatre très dévouée et irrévérencieuse, qui n’a pas peur de s’affirmer. J’aime beaucoup ce personnage», affirme son interprète, qui se fait parfois reconnaître dans la rue grâce à ce rôle. «Au début, je crois que le public la trouvait un peu rough, mais avec le temps, elle s’est adoucie. Elle est surtout très enveloppante pour ses patients.»

Heureuse de faire partie du paysage télévisuel québécois, l’actrice se dit confiante que nos écrans continueront de refléter la diversité.

Du côté de Noovo, on a pu voir Nathalie dans Aller simple, un thriller psychologique dans laquelle elle interprète l’ingénieure Manuela Farouk, la maîtresse de Pierre-Luc Jodoin (Rémi-Pierre Paquin). «Ce fut un magnifique tournage, avec une gang extraordinaire. Nous tournions au bord d’un lac, au début de l’automne», se remémore-elle, avant d’ajouter un petit bémol: «J’ai trouvé ça difficile d’être loin de mes filles, quatre jours par semaine, en pleine rentrée des classes.»

Maman, autrice, comédienne, amoureuse, sœur, fille de ruisseau ou de tempête: Nathalie Doummar libère une à une les femmes qui l’habitent et invente toutes celles qu’elle veut être. À merveille.

SES ACTUS

Nathalie Doummar sera de retour dans la dernière saison de L’Échappée, à TVA, et travaille actuellement à l’adaptation cinématographique d’une de ses pièces de théâtre. Sa pièce Mama sera de retour sur scène en juillet pendant Juste pour rire Montréal.

Photos : Andréanne Gauthier
Stylisme : Farah Benosman
Mise en beauté : Alper Sisters

 

 

À lire aussi : 

 



Catégories : MSN / Oser être soi / Véro-Article
0 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée.

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine