Si on ne l’a jamais vue dans une production théâtrale, télévisuelle ou cinématographique au moins une fois dans sa vie, c’est qu’on habite sur une autre planète. De la télésérie Feux, sur ICI Radio-Canada Télé l’automne dernier, à la pièce Manifeste de la Jeune-Fille, à l’affiche à l’Espace Go, l’actrice chouchou ne cesse de récolter des hommages et de gagner en popularité.
La Maude avec qui j’ai rendez-vous, sobrement vêtue et chaussée de jolies lunettes, celle qui jouit d’une immense cote d’amour auprès du public, pourrait pourtant passer presque inaperçue. Presque. Car même si l’actrice caméléon se dit aussi malléable que de la pâte à modeler, dans la vraie vie, elle est déterminée et entière. Impossible de résister au charme de cette pétillante artiste qui échange volontiers sur différents sujets mais qui se confie avec réserve. À la fois curieuse et retenue. «Je suis jasante, mais j’ai aussi cultivé l’art d’écouter, une aptitude qui se perd, à mon avis, et qui m’apparaît plus importante que celle de parler sans arrêt.»
Une détermination farouche
Son sens de l’écoute et son insatiable curiosité, la native de La Tuque les tient de son père, un homme sociable – «beaucoup plus que moi qui ai dû ériger certaines barrières à cause du métier que je pratique» – et passionné par la vie, qui inculque à ses deux filles le goût de se dépasser constamment. «Il nous disait, à ma sœur aînée et à moi, de ne jamais baisser les bras, de travailler plus fort pendant que les autres jouaient et que ça allait nous rapporter un jour.»
Quand Maude a 13 ans, son père quitte la famille et ses parents divorcent. «Ç’a été très difficile, parce que je devais soutenir ma mère dont l’univers venait de basculer.» L’adolescente admire néanmoins cette femme courageuse qui doit assurer seule l’éducation de ses filles. «Elle-même n’a pas eu beaucoup de chance; elle voulait devenir professeure d’éducation physique, mais son père l’a envoyée au couvent pour apprendre les arts ménagers.»
Pour sa part, la jeune Maude est catégorique: elle veut devenir actrice. La première fois qu’elle monte sur les planches, c’est la révélation. «J’ai découvert à ce moment-là que j’existais. Moi qui vivais dans mon petit univers, c’est comme si j’allais à la rencontre du monde.» De ce métier, l’ado «boulotte et solitaire qui se cherchait» attend dès lors absolument «tout!». Même la prédiction d’une carrière où elle ne jouerait que les soubrettes de service, «à cause de mes rondeurs», ne vient pas à bout de sa ténacité. Sans même terminer ses études à l’École de théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe – «je refusais de jouer dans un spectacle de mime» –, elle déménage à Montréal pour se consacrer entièrement à sa future carrière. «L’expérience vécue par ma mère m’a incitée à trouver le guts de partir de chez moi pour réaliser mon rêve.»
Depuis, cette autodidacte s’est glissée dans la peau de quantité de personnages qui n’avaient rien à voir avec les soubrettes! À ce propos, elle remercie sa bonne étoile d’avoir mis sur sa route des auteurs qui savent écrire sur les femmes et pour des comédiennes, comme Michel Tremblay et Serge Boucher: «D’être en mesure d’interpréter de si beaux rôles, aussi riches et variés, c’est un cadeau extraordinaire dont je tiens à profiter le plus longtemps possible», dit-elle.
La vie avec un ado
Comme sa mère l’est avec elle, Maude demeure avant tout une maman attentive et dévouée. La comédienne a donné naissance à Edmond, aujourd’hui âgé de 14 ans, alors qu’elle avait la mi-trentaine. «Son arrivée a été extraordinaire pour moi. C’est un garçon d’une grande sensibilité, à son affaire et très ouvert. On est très proches, mais on n’est pas des copains.» Facile d’être la mère d’un ado? «Il se questionne sur tout, son avenir, les filles, l’amour, l’amitié… disons que c’est intense. Je demeure très présente, sans toutefois faire intrusion dans son univers. On se dispute, on se pogne, mais on se raccorde, parce que la communication est là.»
Cet enfant de la balle – son père, Nicolas Payer, est aussi un artisan de la scène –, rêve-t-il de suivre la trace de ses parents? «De nature curieuse, il s’intéresse à tout ce qui touche à la scène. Il est danseur, musicien, il réalise des vidéos… C’est sûr que je suis une mère inquiète. J’ai l’impression que les jeunes, de nos jours, doivent accomplir 10 000 affaires pour réussir dans ce métier. Mais je ne ferme aucune porte. Au contraire, je m’assure que ça reste ouvert – ou entrouvert – entre nous. De cette façon, s’il ressent le besoin d’échanger ou de se confier à moi, je suis là, à l’écoute.»
L’amour à distance
Après sa séparation avec le père d’Edmond, il y a une décennie, Maude ne pensait pas retrouver la passion. Mais quelques années plus tard, c’est le choc sur un plateau de tournage, où elle rencontre le poète et homme de scène Christian Vézina: «L’amour a aussitôt été très fort entre nous.»
Seul hic, son prétendant a fait son nid sur la Rive-Sud de Québec, où il habite avec ses deux enfants dont il a la garde. «Au début, chaque fois qu’il repartait chez lui, ça me ramenait à mon enfance, quand mon père nous a quittées. Je trouvais ça rough. Mais je m’y suis habituée et j’aime bien l’idée de me retrouver seule chez moi avec mon fils.»
La comédienne a tellement pris goût à cette relation à distance que celle-ci se poursuit… depuis maintenant sept ans. «Ça nous fait une vie pas monotone, qui s’accorde avec nos tempéraments d’artistes.» Pour l’instant, ce scénario convient à toutes les parties concernées, qui peuvent ainsi s’apprivoiser en douceur: «On préférait ne pas obliger tout le monde à vivre ensemble tout de suite. Et il fallait donner une chance à mon chum de créer des liens d’attachement profonds avec ses propres enfants, qui ont été adoptés.» Comme les tourtereaux n’habitent pas sous le même toit, ils n’ont pas eu à faire face au fameux syndrome du seven year itch. «L’ennui dans le couple, on n’a jamais vécu ça. D’autres ont déjà envié notre style de vie. Ça a certainement contribué à garder la flamme allumée.»
L’urgence de vivre
Rien ne ralentit l’infatigable marathonienne du théâtre, pas même la cinquantaine dont elle a franchi le seuil l’an dernier. «Physiquement, c’est difficile, confie-t-elle. Il s’opère un changement au niveau du corps, de l’énergie.» Bref, tout un cap à passer, concède la comédienne, qui affirme néanmoins que vieillir est un privilège: «Ma meilleure amie, Geneviève Robitaille, atteinte d’arthrite rhumatoïde dégénérative, est morte en 2015, le jour de la Saint-Valentin. Elle avait 54 ans. Quand je pense à elle, je me dis: “C’est maintenant qu’il faut que tu vives à fond, au jour le jour, parce qu’à un moment donné, ce sera la fin.”»
Voilà pourquoi son apparence et ses rides sont les cadets de ses soucis. «Notre âge, il faut l’assumer, affirme Maude. Mais ce sont les autres qui nous démontrent que ce n’est pas évident.» L’actrice rêve de se voir offrir un personnage au grand écran qui aurait autant de consistance que ceux qu’elle a joués sur scène. «Au cinéma, surtout, ça manque de rôles intéressants pour les femmes. Point. Ensuite, pour les femmes vieillissantes. C’est comme si, à partir de 50 ans, on n’avait plus rien à dire, qu’on disparaissait. Il faut savoir regarder au-delà des rides et des traits qui s’affaissent. On a encore beaucoup à donner.»
Avec son interprétation de la mystérieuse et sensuelle Claudine Grenier dans Feux, l’inclassable comédienne a clairement démontré que les femmes de son âge sont en effet prêtes à tout… sauf à partir en fumée!
Photo: Monic Richard
Cette entrevue est parue dans le Magazine VÉRO d’hiver 2017.
Cliquez ici pour vous abonner au magazine.
Lire aussi:
Tout sur Kim Lévesque-Lizotte… ou presque!
Entrevue avec Renée-Claude Brazeau
Entrevue avec Marie-Soleil Michon