
Ces femmes qui nous inspirent : Michèle Deslauriers
Entretien avec Michèle Deslauriers, toujours aussi énergique et rigolote à 77 ans !
Si fragiles, si petits, les bébés prématurés ont besoin de bras rassurants pour entrer dans la vie… Lucie leur parle et les berce doucement. Une expérience riche en émotions, confie-t-elle à Véro.
VÉRO PARLEZ-NOUS UN PEU DE VOUS, LUCIE… QUEL GENRE DE BÉNÉVOLAT FAITES-VOUS?
LUCIE Je berce les bébés prématurés à l’unité de néonatalogie du CHU Sainte-Justine, à Montréal, depuis un an et demi…
VÉRO COMMENT AVEZ-VOUS DÉCOUVERT CETTE ACTIVITÉ?
LUCIE Dans la vingtaine, j’ai lu un reportage sur le bénévolat à l’hôpital Sainte-Justine, et ça m’a beaucoup interpelée. Les événements de la vie ont fait que je n’ai pas poussé ma curiosité plus loin, mais il y a quelques années, au bureau, alors que je travaillais en gestion de carrière, une collègue m’a raconté qu’elle avait bercé des bébés à Sainte-Justine la veille et qu’elle avait adoré l’expérience. L’envie de m’impliquer m’est revenue d’un coup! J’ai fait les démarches nécessaires et, une fois toutes les étapes accomplies, j’ai commencé mon bénévolat.
VÉRO J’IMAGINE QUE L’HÔPITAL N’ACCEPTE PAS N’IMPORTE QUI: AVEC DES BÉBÉS PRÉMATURÉS, IL FAUT SE MONTRER TRÈS DÉLICAT… LE PROCESSUS EST-IL COMPLIQUÉ?
LUCIE On commence par remplir un questionnaire général; c’est le même pour toutes les personnes intéressées par le bénévolat à Sainte-Justine. Après avoir fait une première sélection, l’hôpital nous appelle pour qu’on assiste à une séance d’information, où les différents programmes sont expliqués. On apprend notamment que ce n’est pas tout le temps facile.
VÉRO L’UNITÉ DE NÉONATALOGIE N’EST PAS TOUJOURS UN ENVIRONNEMENT TRÈS JOYEUX…
LUCIE Non, vous avez raison… Des enfants hospitalisés, ça nous touche au plus profond de nous-mêmes. Il faut avoir une attitude très respectueuse quand on se retrouve dans des circonstances aussi particulières. À l’hôpital, le personnel nous parle des différents contextes pour qu’on puisse bien comprendre notre responsabilité et cerner ce qui nous motive. Par la suite, si on est toujours intéressé, on remplit un nouveau questionnaire qui sert à l’enquête de sécurité effectuée par la police. L’hôpital reçoit la conclusion de six à huit semaines plus tard. Il y a alors une rencontre de formation, afin que chaque bénévole puisse cibler le programme qui lui convient. Bercer des bébés, c’était vraiment ce qui m’intéressait personnellement.
VÉRO IL FAUT ÊTRE VRAIMENT DÉTERMINÉ POUR SE RENDRE AU BOUT DU PROCESSUS! CELUI-CI A PROBABLEMENT ÉTÉ CONÇU COMME ÇA POUR QUE LES GENS MOINS MOTIVÉS ABANDONNENT EN COURS DE ROUTE ET POUR QU’IL NE RESTE QUE LA CRÈME DE LA CRÈME DES FUTURS BÉNÉVOLES…
LUCIE À la séance d’information, il y a des centaines de personnes, mais une sélection naturelle s’opère par la suite… Et puis, il faut que l’horaire de nos disponibilités concorde avec les besoins de l’hôpital.
VÉRO QUE FAITES-VOUS CONCRÈTEMENT? COMBIEN DE FOIS PAR SEMAINE VOUS RENDEZ-VOUS À SAINTE-JUSTINE?
LUCIE On s’engage dès le départ à y passer un minimum de trois heures par semaine. Pour ma part, je viens de trois à quatre heures chaque lundi soir, selon les besoins du service de néonatalogie. Je m’occupe, par exemple, d’accueillir les parents, en plus de bercer les bébés.
VÉRO SENTEZ-VOUS QUE VOTRE PRÉSENCE EST BIEN PERÇUE ET APPRÉCIÉE?
LUCIE Oui, on le sent, et les gens nous le disent, tant le personnel hospitalier et la direction du service de bénévolat que les parents.
VÉRO TANT MIEUX… ET QUE VOUS APPORTE CETTE AIDE QUE VOUS OFFREZ CHAQUE SEMAINE?
LUCIE Lorsque je retourne chez moi, je me sens énergisée, gonflée à bloc! Tout cet amour qu’on ressent auprès des bébés, que ce soit de la part des parents ou du personnel, me réconcilie avec l’humanité, me fait croire à la bienveillance, à la bonté, à la générosité… C’est un vrai bonheur pour moi; je me trouve privilégiée de pouvoir faire ce geste.
VÉRO CE QUE VOUS FAITES EST D’UNE GRANDE BEAUTÉ ET D’UNE GRANDE BONTÉ… CHANTEZ-VOUS AUSSI DES CHANSONS AUX PETITS BÉBÉS?
LUCIE Non, mais je leur parle beaucoup, et le personnel soignant également. On s’adresse à eux comme à des personnes, on les regarde… C’est important. C’est étonnant comme ils nous répondent parfois! Peu de gens chantent près de ces bébés prématurés. Il règne un grand silence, c’est difficile à expliquer…
VÉRO MON FRÈRE EST NÉ PRÉMATURÉMENT, ALORS J’AI CONNU CE SILENCE… TOUT CE QU’ON ENTEND, CE SONT LES SONS DES MACHINES PAR MOMENTS.
LUCIE Les fameuses machines!
VÉRO OUI, CE BIP QU’ON NE VEUT PAS ENTENDRE! AVEZ-VOUS ÉTÉ TÉMOIN DE CHOSES PLUS DIFFICILES À VIVRE? CES BÉBÉS PRÉMATURÉS QUI ONT PARFOIS PLUS DE MAL À SE DÉVELOPPER ÉPROUVENT-ILS DE PETITS MOMENTS DE DÉTRESSE?
LUCIE Pas beaucoup, mais il y en a eu quelques-uns… C’est là qu’on voit la fragilité de la vie, mais aussi le courage des parents et la bienveillance du personnel autour d’eux. On est toujours très émus…
VÉRO LES BÉBÉS RESTENT PARFOIS EN NÉONATALOGIE QUELQUES MOIS. VOUS EN BERCEZ DONC CERTAINS PLUS LONGTEMPS QUE D’AUTRES, SEMAINE APRÈS SEMAINE. VOUS DEVEZ FINIR PAR VOUS ATTACHER. QUAND ILS QUITTENT L’UNITÉ, ÇA NE VOUS FAIT PAS UN PETIT PINCEMENT AU COEUR?
LUCIE On s’attache, surtout les infirmières, qui s’en occupent tous les jours. Elles ont le coeur gros parfois. Mais en même temps, on est si contents qu’ils puissent finalement s’en aller à la maison! Ce sont de véritables miracles, ces petits êtres-là!
VÉRO LA JOIE DE LES VOIR PARTIR AVEC LEUR FAMILLE PREND DONC LE DESSUS. VOUS ÊTES TÉMOIN DE PLEIN D’ÉMOTIONS, DE PLEIN DE BELLES CHOSES… À QUI RECOMMANDERIEZ-VOUS DE S’ENGAGER DANS CETTE VOIE?
LUCIE Pour devenir une berceuse, il faut accepter de rester immobilisée pendant quelques heures, en restant très calme. On doit aussi se présenter chaque semaine, sans manquer de rendez-vous, puisque l’hôpital compte sur nous. On doit faire preuve de beaucoup de douceur, et ne pas paniquer quand on voit tous les fils et les appareils qui entourent les bébés… Je pensais que ça m’impressionnerait, mais étonnamment, je ne vois même plus les fils; c’est comme s’ils avaient disparu!
VÉRO VOUS ÊTES DONC VRAIMENT AU BON ENDROIT…
LUCIE Oui. Je le sentais à l’intérieur de moi, comme une force qui m’appelait vers Sainte-Justine, un élan… Je suis tellement chanceuse de pouvoir vivre cette expérience! Ces moments m’apportent tellement sur le plan personnel!
VÉRO C’EST MAGNIFIQUE, CE QUE VOUS FAITES! MOI, ÇA ME DONNE ENVIE… JE METS ÇA SUR MA LISTE DE CHOSES À FAIRE DANS LA VIE. CE SERA POUR UN PEU PLUS TARD, QUAND MES ENFANTS AURONT GRANDI. À LA SÉANCE PHOTO, VOUS M’AVEZ D’AILLEURS DIT QUE VOUS N’ÉTIEZ PAS ENCORE GRAND-MÈRE, MAIS QUE VOUS L’ESPÉRIEZ?
LUCIE Oh oui, profondément!
VÉRO EN TOUT CAS, VOUS SEREZ TOUTE UNE BERCEUSE, C’EST SÛR!
LUCIE Je dis souvent à mon fils que je me pratique, là!
VÉRO ÇA, C’EST CLAIR! MERCI BEAUCOUP POUR CETTE BELLE RENCONTRE, LUCIE…
LUCIE C’est moi qui vous remercie!
Pour avoir plus d’informations sur les postes bénévoles à Sainte-Justine (jouer avec les enfants hospitalisés, leur raconter des histoires, soutenir les familles, assister les parents en chambre de réveil…), visitez le site chusj.org/fr/Emplois-benevolat/Benevolat.
Photo: Pierre Manning; Assistant-photographe: Charles-Antoine Auger / Maquillage: Bruno Rhéaume / Coiffure: Manon Côté / Stylisme: Ariane Simard; Assistante-styliste: Jasmine Morin Turmel.