Pour en finir avec la grossophobie

05 Sep 2023 par Équipe VÉRO
Catégories : Oser être soi
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Cinq experts dénoncent, décortiquent et explorent les fausses croyances à l’origine la grossophobie, une forme de discrimination extrêmement répandue qui nuit à tout le monde... quel que soit son tour de taille.

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Au fait, c’est quoi au juste, la grossophobie ? Elle désigne toutes sortes d’attitudes, de pensées et de comportements négatifs à l’égard des personnes grosses, mais aussi la valorisation systématique des corps minces, la peur de prendre du poids et une multitude d’autres jugements de valeur projetés, consciemment ou non, sur les personnes considérées trop corpulentes selon les standards de la société.

« La grossophobie n’est pas qu’une question de préjugés, mais bien une forme de discrimination ayant d’importants impacts sur la santé physique, mentale et sociale des gens qui la subissent», explique Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets à ÉquiLibre, un organisme de soutien et de sensibilisation voué à la promotion d’une image corporelle saine. « Avoir des préjugés grossophobes, précise-t-elle, est pratiquement inévitable dans notre monde où ceux-ci sont véhiculés de toutes parts, autant dans les médias et la culture populaire que dans les messages qui simplifient encore trop souvent le lien entre le poids et la santé, alors que plusieurs nuances s’imposent. Il ne faut donc pas trop s’en vouloir d’avoir ce genre de préjugés. Le mieux qu’on puisse faire, c’est de se conscientiser, d’apprendre à reconnaître la grossophobie autour de nous et de la déconstruire, une étape à la fois. »

Dans le cadre d’une campagne de sensibilisation qui sera lancée le 5 septembre prochain, ÉquiLibre s’est donné pour mission d’éduquer et de conscientiser la population sur les enjeux entourant la grossophobie et ses ravages, au moyen d’une série de capsules éducatives et humoristiques abordant quatre des mythes les plus répandus au sujet des personnes grosses.

« L’idée, explique Andrée-Ann, c’est d’amener les gens à comprendre et à reconnaître la grossophobie, mais aussi de stopper la transmission des fausses croyances qui l’entretiennent. On est bien conscients du fait qu’on vit dans une société qui valorise énormément la minceur, fortement influencée par la culture des diètes, et que cette campagne risque de susciter beaucoup de réactions. Ce qu’on espère, c’est d’inciter les gens à s’éloigner des idées préconçues et à sortir de leur zone de confort pour porter un regard plus objectif sur le poids corporel et créer ainsi, avec nous, un monde plus ouvert et bienveillant. »

« Si exposer les faits sur le véritable lien entre la santé et le poids et parler des conséquences réelles de la culture des diètes fait de moi un militant, je suis prêt à vivre avec ça. » — Benoit Arsenault, professeur titulaire au département de médecine de l’Université Laval

Le choix du mot « gros »

Il est vrai que les mots « gros » et « grosse », souvent utilisés comme des insultes, peuvent heurter. Mais leur emploi est un choix délibéré de la part d’ÉquiLibre et des experts et militants consultés pour cet article. Contrairement à certains termes répandus, comme « obèse » ou « embonpoint », qui médicalisent et stigmatisent les corps sur la base de leur poids, « gros » est un adjectif qui, une fois libéré des multiples jugements de valeur auxquels il est communément associé, réfère tout simplement à la taille d’un objet ou d’une personne, laquelle est moralement neutre. C’est pourquoi plusieurs personnes grosses (dont l’autrice de ce texte !) choisissent de se le réapproprier, lui retirant ainsi ses connotations négatives.

Quelques mythes tenaces au sujet des personnes grosses…

« LES GROS SONT EN MAUVAISE SANTÉ »

« Ce mythe, fortement entretenu par la culture des diètes, est extrêmement lucratif pour l’industrie de la perte de poids, souligne Andrée-Ann Dufour Bouchard. Il a été clairement démontré que le contrôle qu’on peut exercer sur notre poids est beaucoup plus limité qu’on le pense. Si on ne vise que la perte de poids, non seulement celui-ci sera quasi impossible à maintenir, mais ça risque aussi de mener à l’adoption de comportements malsains et nuisibles à la santé. Et si on pose de petits gestes quotidiens – cuisiner davantage ou faire plus d’activité physique, par exemple – dans le seul objectif de perdre du poids, on risque d’arrêter parce qu’on n’obtiendra pas les résultats escomptés, se privant ainsi des bénéfices prouvés de ces bonnes habitudes sur notre santé globale. Quel que soit l’angle avec lequel on aborde la question, le poids est tout simplement la mauvaise cible quand il est question d’améliorer notre santé. »

« Mon expérience, tant personnelle que professionnelle, m’a démontré que nous avons peu de contrôle sur notre poids, affirme la Dre Patricia Doucet, médecin de famille. On a plus de pouvoir sur nos habitudes de vie, un aspect qu’on peut travailler avec le patient, au besoin… Mais ça, c’est vrai pour les personnes de n’importe quel poids ! Je vois tous les jours des gens minces qui n’ont pas de bonnes habitudes de vie et qui ne sont pas en bonne santé, et des gens au poids plus élevé qui ont d’excellentes habitudes et n’ont pas de problème de santé. Le poids n’est qu’un facteur parmi tant d’autres. Pourquoi est-ce que je jugerais une personne en raison d’une caractéristique physique, alors que je ne connais rien à son sujet ? »

« En tant qu’épidémiologiste, je militerai toujours pour que les politiques publiques soient basées sur des données probantes émanant d’études scientifiques crédibles : je veux que les actions qu’on pose comme société pour améliorer la santé publique aient plus de bénéfices que de conséquences néfastes, dit Benoit Arsenault, professeur titulaire au département de médecine de l’Université Laval. Les discours alarmants sur le poids n’ont aucun avantage sur le plan de la santé, mais ont de graves conséquences sur les personnes dont le poids est élevé. Idem pour les régimes qui, pour l’immense majorité des gens, n’ont aucun bénéfice, mais de lourdes conséquences sur l’estime de soi et la santé mentale. »

« La stigmatisation tue. Littéralement. Toute cette pression sociale, cette discrimination à l’emploi et aux soins de santé, toutes ces années perdues à se faire violence parce que la société refuse de nous laisser exister, tous ces rejets et ces insultes, juste parce que notre corps est différent, ont un impact bien plus grand sur la mortalité des personnes grosses. » — Mickaël Bergeron, auteur, conférencier et journaliste

« QUAND ON COMMENTE LE POIDS DES GROS OU QU’ON LEUR DONNE DES CONSEILS, C’EST POUR LEUR BIEN ! »

« L’impact des commentaires sur le poids est énorme, tout particulièrement de la part des proches ou de la famille, signale l’auteur, conférencier et journaliste Mickaël Bergeron. Quand un inconnu est dénigrant ou que la culture populaire répand des stéréotypes, c’est une chose, mais quand cette violence provient des gens censés nous aimer et nous soutenir, c’en est une autre. Où trouvera-t-on alors cette source d’amour et d’estime, cette base solide dont on a besoin pour affronter toutes les agressions qu’on vit à l’extérieur ? Même lorsqu’ils sont dits sans malice, les propos grossophobes ne font qu’ajouter à la cruauté ambiante et n’aident absolument personne. »

« Tout commentaire sur le poids ou l’apparence est à éviter, assure Andrée-Ann Dufour Bouchard, car on ne sait jamais quel impact ça aura sur la personne en question, sur celle d’à côté qui nous entend ou sur nous-même. La personne à qui on s’adresse vit tous les jours dans une société grossophobe ; elle est parfaitement au courant que son corps est considéré comme incorrect et subit déjà certainement la pression de poser des gestes pour maigrir, bien que ceux-ci soient presque assurément voués à l’échec. Il existe des façons d’aborder des sujets délicats comme celui-là, mais les commentaires non sollicités n’en font pas partie. »

« J’ai l’impression que les gens naturellement minces ont accès plus longtemps et plus facilement au privilège d’être des mangeurs intuitifs, estime Caroline Huard, alias Loounie, créatrice de contenu culinaire, chroniqueuse et animatrice. Dès qu’on sort du moule et qu’on apprend que notre corps déroge aux règles établies par la culture des diètes, on nous enlève rapidement le privilège d’être à l’écoute de nos besoins et de notre appétit. Je crois que sans la pression constante de maigrir, ma relation avec la nourriture aurait été très différente. Bien que j’aie toujours été créative, j’ai longtemps cru que je n’avais pas le droit d’aborder la cuisine de manière ludique ou même d’aimer manger, sauf s’il s’agissait d’aliments « santé ». La pression de se conformer aux normes est très forte et, selon moi, elle nous déconnecte complètement de notre propre corps et de notre culture culinaire. »

« TOUT LE MONDE PEUT ÊTRE MINCE EN MANGEANT MOINS ET EN BOUGEANT PLUS ; C’EST UNE SIMPLE QUESTION DE VOLONTÉ. »

« Ce mythe très populaire est complètement faux, s’exclame Andrée-Ann Dufour Bouchard. Manger moins et bouger plus, c’est une équation à la fois simpliste et très réductrice des mécanismes du poids corporel. Mais cette formule est si bien ancrée dans nos têtes qu’elle influence notre jugement à l’égard des personnes grosses. Quand il est question de poids, que ce soit à la télé ou ailleurs, on utilise beaucoup de photos de personnes grosses sans tête, assises sur un canapé avec un hamburger dégoulinant entre les mains. De telles images illustrent nos préjugés, en plus de les renforcer. En réalité, deux personnes ayant exactement les mêmes habitudes peuvent avoir un état de santé et un poids complètement différents. Quel que soit leur mode de vie, les personnes grosses sont toujours jugées. C’est très injuste. »

Selon la Dre Patricia Doucet, « plusieurs médecins éprouvent beaucoup de dissonance cognitive face à toutes les études qui démontrent non seulement que les gens ont peu de pouvoir sur leur poids, mais que celui-ci n’est pas la source de tous leurs maux. C’est confrontant, parce que ça va à l’encontre de leur éducation et de leurs croyances de longue date. On doit néanmoins les exposer à l’information et faire de l’enseignement pour déboulonner les mythes et les préjugés bien ancrés chez les médecins, tout comme chez d’autres professionnels de la santé d’ailleurs. Et il faut les sensibiliser aux dégâts causés par la grossophobie. Je rêve d’un changement de mentalité concernant le poids corporel au sein du corps médical. C’est une montagne à gravir, j’en suis consciente, mais je rencontre de plus en plus de collègues que le sujet intéresse et qui ouvrent leur esprit. Ça donne de l’espoir ! »

« Le poids n’est pas un comportement, renchérit Benoit Arsenault. On n’est pas gros parce qu’on manque de volonté ; nos gènes y contribuent vraiment pour beaucoup. À elles seules, les variations génétiques pourraient expliquer de 50 % à 75 % de la variabilité du poids dans la population. C’est énorme ! »


Comment s’affranchir de la grossophobie ?

« Pour travailler sur l’acceptation de son corps et se débarrasser des injonctions de la culture des diètes, il faut reconnaître, puis faire le deuil des fausses promesses que cette culture nous a faites, explique Loounie. Et se laisser le temps de vivre la colère, la tristesse et les autres émotions que le processus provoque. Ce qui aide aussi beaucoup, c’est d’aborder la nourriture de manière plus ludique, moins axée sur la performance, et de changer la façon dont on parle des aliments. Lorsqu’on est très influencé par la culture des diètes, on parle souvent de péché ou de culpabilité, on s’excuse de manger, on promet de faire du sport pour compenser, etc. En utilisant un langage plus neutre et en décrivant plutôt les aliments à travers nos sens, en matière de texture, de goût, d’apparence, on arrive mieux à identifier nos besoins et nos envies, une étape essentielle pour développer une relation plus saine avec la nourriture. »

« Je suggère deux choses à celles et ceux qui souhaitent se libérer de leurs biais grossophobes, dit Mickaël Bergeron. Tout d’abord, s’efforcer de comprendre et déconstruire toutes les faussetés qu’on nous a dites au sujet de la santé, de la nutrition et du métabolisme. Prendre conscience d’un problème ne veut pas dire qu’il sera aussitôt réglé, mais ça permet d’entamer une introspection. Deuxièmement, oser sortir de sa zone de confort, faire de petites choses qu’on s’interdisait en raison de notre corps, confronter nos préjugés et se donner le droit de s’épanouir, en restant conscient qu’il s’agit d’un cheminement qui peut durer toute une vie. Même si on vivra sans doute de grandes périodes de paix, les blessures profondes risquent de refaire surface de temps à autre. »

« J’aimerais qu’un jour, le Collège des médecins prenne le sujet de la grossophobie médicale tellement au sérieux qu’une formation continue sera mise en place et rendue obligatoire pour tous ses membres. » — Dre Patricia Doucet, médecin de famille

Dès le 5 septembre, découvrez la websérie Le GROS talk-show, mettant en vedette Michelle Desrochers et une foule d’autres collaborateurs, qui démystifie la grossophobie avec humour. Pour visionner les capsules et découvrir d’autres contenus de sensibilisation, consultez le site equilibre.ca, la page Facebook de l’organisme et son compte Instagram @groupeequilibre.



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  1. Michelle Page dit :

    Je suis en total accord avec cet article, cependant ce qui m’irrite c’est le mot grossophobie et l »utilisation erronée du mot phobie, des qu’on émet une opinion ou une critique sur un sujet on se fait étiqueter phobe! La phobie est une peur irrationnelle qui entraîne des effets physiques sur la personne qui a une phobie. Ce mot est galvaudé . Cette exagération qui change le sens des mots ne devrait pas être cautionnés par les professionnels de la santé.et aautres scientifiques qui ne devrait pas suivre cette mode.

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