Article publié en hiver 2017
VÉRO Marie-Sol, comme beaucoup de gens, j’ai été très touchée par ton histoire et je suis contente de la présenter
à nos lectrices. Pour celles
qui ne la connaîtraient pas, raconte-nous ce qui t’est arrivé le 8 mars 2012.
MARIE-SOL Je suis entrée d’urgence à l’hôpital parce que j’avais de la difficulté à respirer. Ç’avait commencé quelques jours plus tôt par
un mal de gorge, puis une gastroentérite. Quand je suis arrivée à l’urgence, ils ont proposé de m’endormir.
J’ai tout de suite dit oui,
car ça faisait déjà quatre
jours que je ne dormais plus.
VÉRO Sachant contre quoi ton corps luttait, on comprend que tu devais être complètement épuisée.
MARIE-SOL C’était épouvantable! Avoir su ce qui se passait, je me serais rendue à l’hôpital beaucoup plus tôt. Sauf que ça ne donne rien
de vivre avec des regrets. De toute façon, personne n’aurait pu se douter que c’était la bactérie mangeuse de chair qui m’avait infectée, parce qu’elle pénètre habituellement dans le corps par une plaie. Dans mon cas, elle est passée par ma gorge avant de se répandre dans mon sang.
VÉRO Et parce que tu as attrapé la bactérie mangeuse de chair, les médecins ont dû t’amputer.
MARIE-SOL Ça a pris un
mois et demi avant qu’on m’ampute. Les dommages
se sont faits en trois jours, tandis que j’étais dans le coma. Mon conjoint, qui était à mes côtés, a vu la progression.
Mes membres sont devenus bleutés puis complètement noirs… Quand je me suis réveillée, j’avais un tube dans la gorge et j’étais branchée
à un respirateur artificiel, ce qui me semblait normal étant donné que j’étais entrée à l’hôpital parce que j’avais
du mal à respirer. Mais je
ne comprenais pas pourquoi j’étais incapable de bouger. Ç’a été traumatisant de l’apprendre.
VÉRO Dans tes souvenirs, était-ce un des pires moments que tu as vécus?
MARIE-SOL Je me questionnais, j’étais très médicamentée. Quand j’ai vu le visage défait de mon conjoint, j’ai eu un choc. Il faut savoir que les médecins étaient à court de solutions et qu’on lui avait dit que j’avais seulement 5 %
de chances de m’en sortir. Lui et les enfants avaient pleuré «la mort de maman», parce qu’on devait me débrancher
le lendemain… Ça m’a marqué de le voir si bouleversé.
VÉRO J’imagine en effet
que ç’a été difficile pour
tes enfants et pour l’homme que tu aimes de réaliser
que tu aurais pu mourir.
MARIE-SOL De le réaliser moi-même a été extrêmement salutaire pour la suite des choses. On m’a expliqué pourquoi je ne pouvais pas bouger, pourquoi j’étais enveloppée de pansements. Ça a pris un certain temps avant que cette réalité fasse son chemin dans ma tête. J’étais intubée, incapable
de parler et complètement immobile. Ça m’a semblé terriblement long, comme
si le temps s’était arrêté. Avant de pouvoir parler, je jetais des petits coups d’œil gênés autour de moi, mais la fois où j’ai vraiment regardé mes mains, j’ai compris que j’avais perdu mon outil de travail.
VÉRO Tu es peintre, tu viens de te lancer en affaires et, comme tu le dis, tu perds soudainement ton outil de travail. C’est quand même assez incroyable. Comment la phase d’acceptation s’est-elle passée?
MARIE-SOL J’étais encore
à l’hôpital, avant ma réadaptation. Sur le coup,
je me disais que mon chum, les enfants et moi, on ne méritait pas ça. J’en suis même venue à me demander qui pouvait m’en vouloir à ce point? Qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour que ça m’arrive? Mais on s’épuise à chercher des raisons et à
se culpabiliser de ne pas être venus plus tôt à l’hôpital. C’est là que j’ai appris le sens du mot résilience. Je savais qu’en restant dans un état dépressif, j’y entraînerais aussi mon chum. À l’hôpital, on a donc essayé de dédramatiser la situation en faisant des blagues et tous les jeux
de mots possibles avec «pieds» et «mains»!
VÉRO Tu as fait preuve
de beaucoup d’humour durant cette épreuve.
C’est sûr que ça aide.
MARIE-SOL On s’entend
qu’il y a parfois des moments où il m’arrive de lâcher tous les sacres qui existent. (rires)
VÉRO Tu as beau avoir terminé l’étape de réhabilitation, porter des prothèses et être super débrouillarde, tu dois quand même composer avec des limites qui n’existaient pas avant.
MARIE-SOL En effet. L’autre jour, j’étais devant un escalier. Je regardais les marches et
je trouvais ça haut, même
s’il n’y en avait que cinq. C’est fâchant d’être incapable de les monter ou de les descendre, parce que ce
ne sont pas des limitations auxquelles j’ai dû faire face depuis ma naissance. J’ai toujours adoré marcher, courir… Aujourd’hui, je dois faire les choses autrement.
Et pleurer n’y changerait rien.
VÉRO Comme société, on a cette image que les gens qui traversent de grandes épreuves – que ce soit un cancer, une autre maladie grave ou un accident – en ressortent transformés. En vieillissant, je réalise que ce n’est pas toujours vrai. Que ces personnes ne deviennent pas nécessairement «meilleures», qu’elles n’apprécient pas forcément davantage la vie. Chaque être humain est différent. Toi, dirais-tu que ça t’a changée?
MARIE-SOL J’ai toujours remercié ma bonne étoile. Quand on me pose la question à savoir si j’apprécie davantage la vie, je réponds que je l’aime tout autant, malgré les difficultés. Oui, certaines choses ont changé. J’étais loin d’être une personne égoïste, mais j’évoluais dans une routine métro-boulot-dodo. Et là, à travers mes conférences, je me découvre un besoin d’aider mon prochain. Rencontrer des gens, c’est tellement enrichissant! On réalise qu’il y a pire que soi.
VÉRO C’est clair que ton chum, Alin, t’aime. Il t’a demandée en mariage quand tu es sortie du coma. Mais il
y a quand même une grande différence entre la Marie-Sol d’avant et celle d’après la maladie. Sachant qu’un couple, c’est fragile, comment toi et ton conjoint avez-vous réussi à passer à travers?
MARIE-SOL En s’encourageant l’un l’autre. Quand les «pourquoi» reviennent, Alin m’aide à passer à autre chose. Ça n’a pas été facile pour lui de se retrouver à tout faire seul, du jour au lendemain. Avant, on se partageait l’ouvrage: c’était 50-50. Là, il se retrouvait avec 100 % des tâches à accomplir. Au début, je ne pouvais rien faire pour l’aider, sinon le diriger. C’est sûr que ça aurait pu déraper si chacun n’avait pas mis d’eau dans son vin.
VÉRO T’es-tu demandé s’il pourrait te regarder encore avec les mêmes yeux? S’il pourrait te désirer encore?
MARIE-SOL À l’hôpital, j’ai vu dans ses yeux le même regard qu’avant. Pour lui, j’étais belle. Il m’aimait et disait m’aimer encore plus qu’avant. Mon chum est exceptionnel! (rires) À un moment donné, il m’a dit: «J’ai hâte que tu sois ma belle petite étoile toute rose.» Sur le coup, j’ai pensé: «Hein? Quoi?» J’avais les membres noirs, nécrosés.
VÉRO Et lui avait hâte qu’on te les enlève…
MARIE-SOL Oui. Pour faire comme une étoile… Une infirmière avait même collé sur la porte de ma salle de bains l’image d’une petite étoile colorée en rose. Tout ça pour dire que oui, mon chum m’a tout de suite fait me sentir belle. J’ai passé deux mois à la maison avant d’avoir accès
à des prothèses. Cet été-là,
on s’est posé la question: est- ce que je reste à la maison
ou si, au contraire, je sors et j’affronte le monde? Parce que sans prothèse, ce n’est quand même pas évident. Ça frappe. Si mon conjoint avait le moindrement eu honte de mon nouveau physique, jamais il ne m’aurait proposé de l’accompagner à l’épicerie.