«Pourquoi vous obstinez-vous à ne pas faire blanchir vos dents? Et à les corriger, aussi? Elles sont croches.»
Le message est apparu dans ma boîte de réception Facebook dernièrement. Ce genre de conseil esthétique non sollicité, j’en reçois peu, mais chaque fois, ça me fait un pincement. Un pincement qui tend à annihiler tous les «Votre sourire est ensoleillé!» que je peux recevoir quotidiennement… et je m’en veux de toujours focaliser sur la dépréciation. Mais peut-être que la nature humaine est ainsi faite? Lamartine écrivait: «Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.» Je pourrais remanier ses mots ainsi: «Un seul être vous rabroue et tout s’écroule.»
La pression des détracteurs de mon sourire a été trop forte: j’ai fini par céder. J’ai demandé à mon dentiste un léger traitement de blanchiment pour – en partie – acheter la paix. Ce n’était pas que pour faire taire les conseils dentaires d’inconnus: j’aimais l’idée de trouver mon sourire davantage étincelant, de raviver le blanc que les brossages et les dentifrices ne m’avaient pas totalement offert. Je suis sorti de là satisfait: ma dentition n’avait heureusement pas la blancheur inquiétante de celle de Ross de Friends, dans l’épisode où un blanchiment rend ses dents phosphorescentes. Un sourire glow in the dark? Sans façon!
Si j’ai plié sur la blancheur, je n’ai pas donné suite à la suggestion récurrente de dompter ma canine proéminente. C’est que je l’aime, cette dent exubérante qui sort de ses gonds. En fait, je considère qu’une imperfection met la beauté en exergue. Et une beauté sans imperfection, c’est louche.
Depuis que je suis petit, mon cœur bat pour les accidents de parcours: une cicatrice barrant un sourcil, une fossette spécialement creuse, un œil plus petit que l’autre, un bout de doigt perdu dans un projet à la scie mécanique qui aurait mal tourné. L’asymétrie me charme; la symétrie me semble suspecte.
Je l’aime, cette dent exubérante qui sort de ses gonds. En fait, je considère qu’une imperfection met la beauté en exergue. Et une beauté sans imperfection, c’est louche.
Récemment, une entrevue de Marie Uguay datant de 1981 et diffusée quelques jours après sa mort à l’âge de 26 ans a ressurgi sur YouTube. Dans cet entretien que la poète offre à la journaliste Françoise Faucher, elle affirme: «La beauté, pour beaucoup de personnes, c’est ce qui est facile. C’est le stéréotype. “Ceci est beau, car on a admis que c’était beau.” Moi, j’estime que ce qui est beau, au contraire, c’est très difficile.» Voilà circonscrit en peu de mots mon propre rapport à la beauté.
Marie Uguay raconte que le peintre Renoir nous a fait voir la beauté d’un certain type de femme et que le copier devient du «stéréotype». Par conséquent, il appartiendrait à l’humain de débusquer sa propre beauté. Ce serait à l’artiste de faire voir ce que lui trouve beau.
Cette sagesse me donne envie de rouvrir les recueils de la poète. En feuilletant un de ses livres, un bout de papier tombe au sol. Je le ramasse. C’est une idée de poème. Si j’en juge par ma vieille calligraphie alambiquée et la blancheur douteuse du papier, j’ai dû noter ça il y a une bonne dizaine d’années: «La Fée des dents qui ne lève pas le nez / sur les dents cariées cassées jaunies / est ma préférée. / Sa féerie remporte peut-être moins d’argent / mais elle traîne dans son sillage et dans sa crinoline / une beauté qui retrousse de partout.»
Je viens de me faire un nouveau signet.
À propos
Simon Boulerice est romancier, dramaturge, poète, scénariste, chroniqueur, comédien et metteur en scène. Il est également co-porte-parole d’Interligne (auparavant Gai Écoute) et de la Fondation Maison Théâtre.
Photo : Camille Tellier
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