Souper de gars: demain nous appartient

04 Jan 2018 par Patrick Marsolais
Catégories : Oser être soi
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Une descente dans l’abîme de l’alcool et de la drogue, un chemin chaotique lourd de conséquences, mais riche en apprentissages. Voilà ce dont Étienne Boulay, Ian Kelly et Jonathan Painchaud discutent dans notre souper de gars du mois.

La vie n’est pas qu’une longue suite de tableaux rose bonbon. À travers nos petits bonheurs quotidiens, elle présente, ici et là, ses parts d’ombres et ses déconvenues temporaires. Normal… Pour les trois vedettes que sont Étienne Boulay, Ian Kelly et Jonathan Painchaud, par contre, une partie du parcours a été une longue spirale qui les a aspirés vers le fond. Une descente dans l’abîme de l’alcool et de la drogue, un chemin chaotique lourd de conséquences, mais riche en apprentissages. C’est avec une franchise et une générosité qui les honorent que ces trois gars ont levé le voile sur leur passé… qu’ils ne changeraient même pas!

C’est donc à l’eau que nous avons trinqué, en mangeant de succulents tartares de saumon, des rouleaux impériaux et des soupes tonkinoises au bœuf chez Hà, un magnifique bistro vietnamien du Vieux-Montréal. Pour tout vous dire, c’est sans doute aussi la première fois dans ces entretiens des «Soupers de gars» que nous avions tous l’esprit aussi aiguisé quand est venu le temps d’appuyer sur le bouton off de l’enregistreuse.

Ce qui m’a captivé en écoutant mes trois invités raconter leur parcours, c’est de m’apercevoir qu’il n’existe apparemment pas de patterns classiques pour développer une dépendance. Tant l’ado cool que le laissé pour compte ou l’ultraperformant sont à risque. Un constat fascinant, donc, mais peu rassurant…

«Je me suis rendu compte que j’avais un problème de consommation à l’adolescence, avoue l’auteur-compositeur-interprète Ian Kelly. C’est peut-être un peu cliché, mais j’ai eu une enfance pas simple avec un père alcoolique et peu présent. Quand il était là, ça ne se passait pas bien du tout. Alors quand t’es témoin de ça, t’as deux options: soit tu reproduis ce que tu connais, soit tu fais le contraire. Un jour, j’ai dit à mon père: “Merci, tu m’as montré ce que je ne devais pas faire.” Mais entretemps, ça n’a pas été de tout repos.

– Moi, j’ai vécu ma crise d’adolescence à 30 ans, quand j’ai pris ma retraite du football, enchaîne Étienne Boulay. Jusque-là, je canalisais mes excès en m’entraînant, en prouvant qu’un ti-cul blanc de Montréal-Nord pouvait aussi bien réussir dans ce sport-là qu’un Noir des États-Unis. Juste avant d’arrêter de jouer, j’ai fait quelques expérimentations que je gérais assez bien. Ça s’est mis tranquillement à déraper jusqu’à ce que je prenne ma retraite, en 2013. Dans mon cas, l’alcool a été un tremplin vers la cocaïne. J’étais capable de m’ouvrir une bière sans même la finir… mais aussitôt que j’en ouvrais une, j’avais envie de l’autre affaire. Ç’a été progressif et sournois. Je faisais de la coke de plus en plus souvent, en plus grande quantité, et ç’a fini par affecter mes performances. Ça ne me tentait plus de jouer, j’étais trop fatigué pour m’entraîner. J’avais besoin de fuir.

– De mon côté, ça s’est passé un peu comme pour Ian, intervient Jonathan Painchaud. J’ai commencé pas mal jeune, avec les partys en troisième secondaire. À cet âge-là, tu ne vois aucune conséquence dans ta vie de tous les jours. Et je n’étais pas très vieux non plus quand je me suis mis à jouer de la musique de façon plus sérieuse. Beaucoup de mes influences musicales étaient des gens qui avaient expérimenté le fameux sex, drugs and rock’n’roll et toute cette bullshit-là. C’était ça qu’on glorifiait. Un peu comme des badges de scouts. “Yeah, moi aussi je suis capable de blacker out…” Rapidement, je me suis mis à consommer tout ce à quoi tu penses, sauf les dopes qu’on s’injecte.»

D’un party à l’autre

Trois adolescences différentes, mais une constante: celle de carburer aux excès, qu’ils soient d’ordre sportif, éthylique ou qu’il s’agisse plutôt de stupéfiants… Ajoutez à ça un désir d’aller vers les extrêmes, d’être même un peu grisé par le danger, et vous obtenez un cocktail qui n’annonce pas forcément des jours prometteurs.

«Quand t’as 14 ou 15 ans, t’es fier de la quantité d’alcool que tu es capable d’absorber, se souvient Ian. Tu t’en vantes, même. Puis, il arrive un moment où c’est le contraire. Tu dis avoir bu 6 bières pour cacher le fait que tu viens de caler une caisse de 24. Je suis devenu gêné de mes actions, gêné que le monde me rappelle ce que j’avais fait ou dit la veille… Ce n’était vraiment pas bon pour ma confiance en moi.»

À ce moment-là, ce n’est pas la blonde de Ian ni un de ses proches qui l’obligent à faire un choix, mais bien lui qui réalise qu’il est temps de mettre un frein à cette consommation démesurée. «Au dernier party que j’ai fait chez nous, je m’étais acheté, juste pour moi, deux caisses de 24 et deux 40 oz de fort. Et puis, je te jure qu’à 22 h 30, je me demandais si j’allais en avoir assez pour finir ma soirée… C’était devenu complètement ridicule.»

– Même chose pour moi avec la coke, poursuit Étienne. Si par malheur, pendant une soirée, je pensais que j’allais en manquer, j’angoissais et je faisais des plans pour trouver le moyen de m’en procurer. Je consommais en pensant à la prochaine shot. Je n’étais même plus capable d’en profiter. Malgré ça, je ne voulais jamais que les soirées finissent. Quand je voyais les gens commencer à quitter les lieux vers deux heures du matin, je me mettais à angoisser et à chercher du monde pour continuer le party. Sauf que les oiseaux de nuit ne sont pas toujours recommandables. Je me souviens d’une fête dans un loft de la rue Saint-Paul, que je louais parce que je faisais de la télé à Radio-Canada tôt le matin. Quand je me suis réveillé, j’ai réalisé que je m’étais fait voler plein de trucs par des gens que je ne connaissais même pas et qui étaient venus faire le party. Vient un temps où ça devient une question de respect envers toi-même. T’allumes puis tu te dis que tu mérites mieux que ça…»

À l’aide!

Or, Étienne a eu beau se faire voler, il a beau «allumer», comme il dit, et constater qu’il est sans doute pas mal loin du bonheur, rien ne l’empêche de poursuivre son entreprise d’autodestruction. Heureusement pour lui, son entourage, conscient de ce qui se trame vraiment, agite un premier drapeau rouge.

«Je consommais tous les jours et j’avais des comportements sans bon sens, relate l’ancien footballeur. Ma vie était une suite de mensonges et d’histoires rocambolesques, mais j’étais trop orgueilleux pour demander de l’aide. Puis, mes proches m’ont parlé franchement. Je suis privilégié d’avoir été si bien entouré. D’avoir eu des gens qui m’aimaient assez pour prendre la chance de me confronter à mes démons. Je suis parti en cure fermée une première fois, mais ça n’était pas la bonne…

– Moi, je viens d’un milieu hippie et mes parents étaient pas mal proliberté, renchérit Jonathan. Par conséquent, mes folies étaient tolérées. Mais lorsque j’ai vécu des périodes plus noires, mon père m’a envoyé voir Henri-Paul Bénard, qui était musicien comme lui dans le groupe Suroît. Henri-Paul est un ex-alcoolique. J’ai souvenir de plusieurs de ses pep-talks qui ont fini par avoir une bonne influence sur la suite des choses… Alors un peu comme toi, Étienne, l’aide de mes proches a été importante.»

Or, que ce soit au travail, à la maison ou dans un vestiaire de hockey, il n’est pas toujours facile d’accepter les conseils d’autrui – qu’on peut percevoir comme une critique. Qui sont ces gens pour venir se mêler de ma vie? Que savent-ils sur moi que je ne sais pas déjà? Si on a du mal à l’accepter quand il s’agit de simples banalités, imaginez quand ces conseils portent sur notre comportement quotidien. De quoi attiser colère et susceptibilité, non?

«C’est tout à fait vrai, concède Étienne. J’aurais pu mal réagir, mais je n’étais pas en colère. La première fois que j’ai accepté d’aller en thérapie, c’était pour faire plaisir aux gens autour de moi. Et c’est sans doute pour cette raison que ça n’a pas fonctionné. Je ne voulais pas perdre la face, ni voir ma famille exploser. Je l’ai fait parce que ça paraissait bien. Et puis, autant je suis désormais quelqu’un de très franc, autant j’étais cachottier quand je consommais. J’étais manipulateur aussi, alors c’est sûr que j’ai essayé de me défiler. Mais à un moment donné, lorsque plus d’une dizaine de personnes te disent la même chose, faut que tu te rendes à l’évidence qu’ils ont peut-être raison.»

Des trois gars invités à cette table, Étienne Boulay est le seul à avoir eu recours à des thérapies. Trois au total. À l’image des prémisses à l’origine des dépendances, les moyens pour y mettre fin sont tout aussi personnels et souvent forts différents. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, dans des contextes pas toujours évidents, qui coïncident avec l’urgence du moment.

«Peux-tu croire que j’ai commencé à être abstinent lorsque j’ai accepté de devenir technicien de tournée pour… Éric Lapointe!, lance d’abord Ian. Ce n’était pas le meilleur contexte, mais je pense que ça m’a aidé. J’étais entouré de gens qui voulaient aussi arrêter de consommer et qui, même s’ils ne le faisaient pas, respectaient complètement mes choix. J’étais le conducteur désigné et ça m’encourageait, même s’il y avait énormément d’alcool autour de moi. J’entends encore les pshitt des bouchons de bières qui sautaient. Dès la fin du show, il fallait que je file à l’hôtel. Heureusement, jamais le reste de l’équipe n’a débarqué dans ma chambre pour faire le party. Éric me traitait gentiment de moumoune, mais tous ceux qui avaient le même problème que moi m’encourageaient à fond.

– Moi, je me souviens très bien avoir réagi alors qu’on s’apprêtait à lancer le deuxième album d’Okoumé, se remémore Jonathan. Fallait que je pense à moi. Je ne suis pas allé en thérapie, mais je suis rentré à la maison tout seul. Je me suis isolé. Deux semaines assez rough, parce que je n’avais pas dû passer plus de deux ou trois jours sobres depuis 10 ans. Même physiquement, ç’a été difficile. Huit mois plus tard, mon père est décédé et, malgré la douleur, j’ai réussi à rester sobre. C’est quand j’ai fêté ma première année sans boire que j’ai failli recommencer, parce que j’ai eu envie de célébrer ça… avec de l’alcool. On m’a vite fait comprendre que mon année de sobriété n’allait plus vouloir rien dire… en une seule journée. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis 16 ans.»

De son côté, Étienne espère maintenant que sa troisième thérapie sera la bonne. «Je suis retourné en thérapie il y a un an. Le 7 janvier 2017, en fait. Et c’est le plus beau cadeau que je pouvais me faire, assure-t-il. J’étais retombé dans les mêmes patterns. Je n’avais pas de fun, mais j’y retournais pareil. J’avais un maudit problème. Sans compter les dommages collatéraux qui en découlaient, comme des activités déjà planifiées avec les enfants que je devais annuler parce que j’étais trop scrap. Je donnais des conférences où je racontais à quel point il était important de prendre soin de soi, puis je reprenais la route et j’allais me péter la face. Cette hypocrisie-là ne me ressemblait pas. J’ai donc passé 28 jours à ne penser qu’à moi, à me demander comment améliorer les choses, à refaire le parcours de ma vie, aidé par quelqu’un dont c’est le métier. Ç’a été vraiment crucial dans mon cheminement, parce que j’ai réalisé qu’il y avait des bobos que je n’avais pas encore grattés. Maintenant, ç’a beau avoir été un cadeau, j’espère que c’est la dernière fois que je fais une théparie, parce que c’est vraiment très dur. Tu rentres-là la tête basse en tabarnouche et c’est un long processus. Un très très long processus…»

Si fragile

Je ne sais pas ce que l’avenir réserve à ces trois gars-là. Ce que je sais, par contre, c’est que j’ai devant moi trois belles personnes, trois êtres intenses que les détours de la vie ont contribué (je le pense vraiment) à magnifier. Des hommes matures et fiers aussi.

«Ce matin, je me suis réveillé avec ma fille qui me sautait dessus en me donnant des bisous… Man, life’s so good, affirme Étienne en souriant. D’ailleurs, c’est souvent en me réveillant que je ressens le plus de gratitude. Il m’arrive parfois d’être un peu fatigué le matin, mais ce n’est jamais aussi tough que quand tu n’as pas dormi, que t’as un rendez-vous prévu et que tu portes encore ton linge de la veille.

– Je trouve ça correct d’apprendre à être fier de soi-même, acquiesce Ian. Ce n’est pas cucul, c’est même important! Cette accumulation de fierté finit par amener du bonheur. Et désormais, je veux être en mode escalade, je ne veux plus que ça dégringole. Ce sont de petites victoires qui me permettent d’avancer. Rien de spectaculaire. Juste être en forme le soir, me réveiller de bonne humeur et servir de chauffeur désigné pour deux voisins saouls.»

La-dessus, je ne peux m’empêcher de demander à Ian s’il se sent encore fragile. «Oui, bien sûr. Et c’est important de se sentir fragile, c’est la clé. Il y a des gens autour de moi qui pensaient avoir réglé leurs problèmes et qui recommencent à consommer après 20 ans d’abstinence. Ça me fesse, mais j’utilise ces situations-là comme des mises en garde. Je reste toutefois confiant que je ne boirai plus jamais. Cela dit, je trouve ça plate de ne même pas pouvoir me permettre le petit buzz que j’avais après avoir bu trois ou quatre bières dans un 5 à 7… J’aimais ça. Mais j’ai essayé de m’en contenter et j’en suis juste pas capable. Je regarde tout ce que j’ai, mon niveau de bonheur, ma famille, et je suis conscient que j’ai trop à perdre.»

«Est-ce que je referais certaines choses différemment? se questionne pour sa part Étienne. Oui. Est-ce que je trouve ça dur de regarder des profils Facebook et de voir des photos de mes chums sur le gros party? Oui. Mais en même temps, ma vie va bien. Il n’y a que du positif. Il faut parfois que tu passes par des moments plus difficiles pour réaliser tout ce que tu as. Aujourd’hui, je constate que je vis dans l’abondance à plusieurs niveaux. Oui, il y a certains chapitres de ma vie que je veux garder secrets parce que j’en ai honte et que personne n’a besoin de les connaître. Mais en gros, mon histoire est cool. Vraiment cool…»

Depuis les toutes premières entrevues que j’ai menées pour le magazine VÉRO, rarement ai-je été témoin d’une telle complicité entre mes invités. Trois gars qui ne se connaissaient pas tant que ça au départ, mais qui ont très vite été sur la même longueur d’onde. Comme soudés par les mêmes débarques et les mêmes angoisses. Trois hommes qui roulent à l’eau claire en affichant le sourire de ceux qui ont confiance en l’avenir.

Photo: Martin Girard

Nous remercions chaleureusement le restaurant Hà du Vieux-Montréal de nous avoir permis d’y réaliser cet entretien. (restaurantha.com)

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Cet article est paru dans le magazine VÉRO de Noël.

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  1. Christine Barbe dit :

    Bravo de partager votre expérience de vie, ça prend des gens comme vous pour montrer aux autres que oui, c’est possible de vivre sans drogues et alcool. Et surtout que personne n’est à l’abri. Le plus important c’est de ne pas laisser l’ego prendre le dessus et d’être vrais. Bravo encore .

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