Souper de gars : L’écoutes-tu encore?

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06 Mar 2023 par Patrick Marsolais
Catégories : Culture / MSN / Oser être soi / Véro-Article
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Une fascinante heure et demie d’échanges, avec Bruno Pelletier, Vincent Vallières et Mike Gauthier, dans le magnifique bar Le Flâneur de l’hôtel Le Germain, à réfléchir sur la carrière, la vie et les golden retrievers.

Il n’est pas toujours évident de rester curieux dans la vie. Après avoir carburé aux courants à la mode, aux restaurants branchés et aux succès qui font danser les âmes festives, on tend à devenir plus à l’aise dans nos pantoufles…

«Il y a une étude qui stipule qu’à 31 ans, tout arrête, affirme l’animateur Mike Gauthier. C’est prouvé que la majorité des gens qui écoutaient beaucoup de musique, qui étaient à l’affût des nouveautés arrêtent de l’être. Ils ont des enfants, ils travaillent fort et leur curiosité artistique prend le bord. C’est tout le contraire pour moi. Je suis encore sur la coche, je regarde tout ce qui sort.

– Je pense être un gars curieux de nature, dit Vincent. Ça ne fait pas de doute. Par contre, oui, je me suis déjà questionné sur le rapport entre mon travail et la coolness. Suis-je encore dans le coup? Suis-je off? Et puis, je me suis rendu compte que ça ne voulait pas dire grand-chose. Quand tu avances comme artiste, tu ne peux pas essayer d’être la personne que tu as déjà été.

– Je suis aussi un gars curieux de nature, renchérit Bruno, mais je n’ai pas envie de renier ma nostalgie. Elle est super importante dans ce que j’écoute et dans ma carrière. J’ai envie de savoir ce qui se passe musicalement, mais je réclame le droit de ne pas suivre la parade. Je me méfie des tendances qui pourraient me donner des allures de faux jeune. Par exemple, j’ai écouté l’émission de rap La fin des faibles, à Télé-Québec, et je trouvais les participants tellement bons! Mais je serais incapable de faire ça. Je regarde Madonna sur Instagram et elle devient ridicule à force de vouloir paraître jeune pour essayer d’aller chercher des clics.» 

Souper de gars : L'écoutes-tu encore

Retour dans le temps

Peu importe l’âge que vous affichez aujourd’hui, regardez derrière vous et souvenez-vous de ces fragments d’adolescence. Ceux qui vous ont fait vivre vos premiers moments de liberté, l’ivresse des soirées passées entre amis. Pas mal certain que ces images viennent avec une trame sonore, alimentée par l’ami cool de la bande. Celui, curieux et passionné, qui dépensait ses paies au magasin de disques du centre-ville et qui charmait la gang par ses choix judicieux et novateurs.

«J’ai toujours été en avance sur mes amis, se souvient Mike. Le premier disque que j’ai acheté, c’était The Dark Side of the Moon à la pharmacie du coin, à Portneuf. La pochette m’intriguait et je pense que mes cousins m’en avaient vaguement parlé. J’ai été chanceux, parce que mes parents ne m’ont jamais freiné dans ma passion. Ils me donnaient de l’argent pour m’acheter des albums. Ça m’a permis de me procurer des super disques, mais également de très mauvais, ce qui a forgé mes connaissances. Rapidement, je suis devenu LA référence pour les découvertes musicales. J’étais le leader de la gang. Encore aujourd’hui, je veux tout savoir. Je suis un golden retriever qui veut continuellement apprendre des trucs.

– Adolescent, je baignais dans le courant grunge, un peu comme tout le monde, se remémore Vincent. Ce qui me distinguait, c’est que mon chum Gas et moi, on tripait très fort sur les années 1960 et sur la musique québécoise des années 1970. Au secondaire, on écoutait beaucoup Octobre et Jean-Pierre Ferland, mais mon dieu qu’on ne s’en vantait pas! Aujourd’hui, je sens un décloisonnement chez les jeunes. Ils sont ouverts à tout et ils sont très contents quand ils voient des artistes qui ont marqué l’histoire de la chanson prendre la place qui leur revient. J’ai vu plein de gens de 25 ans triper sur le numéro de Bruno et de Mario Pelchat au dernier gala de l’ADISQ.

– Mon premier flash, révèle Bruno, ç’a été Band on the Run, de Paul McCartney & Wings, et les Moody Blues. Je faisais du air drum à la maison, mais mon père m’avait acheté une guitare parce qu’il ne voulait pas de batterie chez lui. Il a cédé quand j’ai eu 12 ans. J’étais déjà polyvalent et je dois d’ailleurs une bonne partie de ma carrière à cette polyvalence, à cette envie de me déstabiliser. À la base, j’étais un batteur, mais mon band n’avait plus de leader, si bien qu’on m’a demandé si ça me tentait d’essayer. Parce que j’étais curieux, j’ai appris la guitare et j’ai commencé à chanter. Pendant mon adolescence, j’avais aussi pris des cours de danse et je faisais du théâtre avec mes chums. Penses-tu que ça ne m’a pas servi quand est venu le temps de faire des comédies musicales?»

C’est drôle, parce que je me souviens encore de certaines conversations entre journalistes culturels, il y a plusieurs années, alors qu’on remettait justement en question les décisions prises par Bruno. D’abord rock, puis pop, un brin crooner, tantôt en solo, tantôt avec Starmania.

«C’est vrai que cette curiosité m’a desservi au début de ma carrière, parce qu’on disait que je ne savais pas où je m’en allais. Mes agents me conseillaient de décliner certaines offres, mais je leur disais: “Fuck off, je suis curieux, j’en ai envie.” Aujourd’hui, le téléphone sonne parce que je suis polyvalent. Ils ont besoin d’un interprète pour une toune de jazz à En direct de l’univers? Ils appellent Bruno. Du rock? Bruno. Un drummer? Bruno.»

Si Bruno Pelletier a fréquenté plusieurs genres, j’ai plutôt l’impression que Vincent Vallières creuse patiemment un sillon intemporel, soit le folk qui – mis à part son émergence dans les années 1960 – n’a jamais été à la mode, mais n’a jamais été démodé non plus. Issu de la même époque, un artiste comme Dumas, par exemple, proposait une recherche sonore diversifiée, une curiosité en apparence plus pointue. Qu’est-ce qui explique cette stabilité chez Vincent, cette ligne directrice qu’il transgresse peu?

«J’ai décidé de miser d’abord et avant tout sur mes forces, estime-t-il humblement. Et sur ce que j’aime profondément. J’apprécie les chansons qui racontent des histoires, si bien que c’est assez naturel de m’aligner sur le folk. Et puis, tu as raison de dire que le folk n’a jamais été un mouvement à la mode, mais il faut se rappeler que quand j’ai commencé, à la fin des années 1990, la musique organique était quand même assez populaire au Québec, notamment avec l’arrivée des Cowboys Fringants. Et il peut aussi y avoir quelque chose de beau et d’audacieux à tracer son sillon. On a vu un gars comme Johnny Cash, dans sa soixantaine avancée, reprendre du Beck, qu’il ne connaissait probablement pas. Il était fidèle à sa ligne directrice, mais ouvert aux nouvelles générations. J’ai trouvé ça génial.» 

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La chicane

Vincent vient d’évoquer Johnny Cash, ce chanteur country qui s’est intéressé aux chansons d’artistes beaucoup plus jeunes que lui, et ce, à un âge vénérable. Ses reprises de Nine Inch Nails, de Depeche Mode ou de Soundgarden témoignent d’un homme soucieux de la mouvance qui l’entoure, mais bien décidé à ne pas perdre sa nature profonde. Je suis curieux de savoir si mes invités seraient ouverts à recevoir une proposition d’un artiste plus jeune et qui a peu à voir avec leur style musical. Hubert Lenoir, par exemple.

«Ah oui, totalement, réagit aussitôt Vincent. Hubert a un désir de défoncer des portes que j’admire beaucoup. On peut se braquer ou on peut l’écouter. J’ai choisi la deuxième option.

– Perso, ça ne me rejoint pas du tout, intervient Mike. Je considère ça assez niché. Au lendemain du gala de l’ADISQ, j’ai regardé ses chiffres de ventes et ils n’avaient pas vraiment bougé, pas plus que l’écoute de ses chansons. C’est un phénomène qui plaît à l’industrie et tant mieux pour lui. Il a une quête artistique évidente, il a développé un personnage intéressant, je trouve ça correct, mais on ne parle quand même pas de la qualité d’écriture d’un Jean Leloup, disons.

– C’est un artiste qui a du guts comme j’en ai rarement vu, souligne Bruno. Il a du culot, le petit crisse! J’admire ça. Par contre, son timbre de voix et ses textes me rejoignent moins. Et puis, parce qu’on a l’âge qu’on a, on les a vus et entendus les Alice Cooper, les Bowie, les Ozzy et plein d’autres artistes extravertis. Donc pour nous, c’est un peu moins impressionnant et nouveau. 

– C’est sûr qu’on a du vécu et que ça devient parfois plus difficile de s’identifier à de nouveaux artistes, explique Mike. Harry Styles en est un bon exemple. Quand je le vois se promener avec ses petites sacoches pis le reste… Moi, j’ai connu Freddy Mercury, Boy George et David Bowie. La nouvelle génération voit Harry Styles, capote dessus, et c’est tant mieux. Il “fitte” parfaitement avec la mouvance non genrée. Je comprends qu’il soit une rock star incroyable, mais moi, est-ce que ça m’impressionne?

– Attends un peu, réplique Vincent. Il a du talent au pouce carré, ce gars-là! Je l’entends à travers les oreilles de mes enfants et j’apprends à aimer ça. Harry Styles vient d’un boys band, y a-t-il quelque chose de plus loin de nous que ça? Notre curiosité doit nous amener au-delà du branding, de tout le flafla qui l’entoure. Taylor Swift m’a fait le même effet. Au début, je n’étais pas convaincu par sa musique. Puis est arrivé son album Folklore, et son dernier, Midnights, beaucoup plus pop. C’est une très grande artiste.»

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Des suggestions?

Pour des gens qui évoluent dans le domaine culturel, la curiosité ne se résume pas aux nouveaux courants musicaux. On peut aussi être à l’affût des nouvelles tendances dans bien des domaines si on s’en donne la peine. Et mes trois invités refusent de se terrer chez eux à ressasser le bon vieux temps… bien au contraire!

«Ce qui me fascine en vieillissant, c’est la politique, témoigne Bruno. Tous les rouages de la politique internationale, tous les enjeux sociaux qui ont des impacts majeurs sur nos vies. Je regarde évidemment ce qui se passe aux États-Unis et je trouve ça fascinant. Et personnellement, dès que Jean-François Lépine ouvre la bouche, je suis happé par sa verve. Quel formidable vulgarisateur!

– Moi, je suis fan de podcasts, dit Vincent. Un de mes favoris est WTF with Marc Maron, un humoriste américain de la première mouvance des podcasts, qui accueille ses invités dans son garage. Il a notamment reçu Barack Obama à la fin de son deuxième mandat. La qualité des conversations qu’on y retrouve est incroyable… Depuis le début de ma tournée, j’ai commencé à publier sur Facebook des textes sur les villes que je visite. Ça m’a obligé à avoir des contacts avec les citoyens, histoire de prendre le pouls de la place, et ç’a transformé mon rapport avec les villes qui m’accueillent. “Qu’est-ce qui se passe chez vous? Comment ça va ici?” J’ai réalisé à quel point le Québec est vaste. La réalité du Madelinot, de celle du gars qui a perdu sa job dans les pâtes et papiers à Grand-Mère et de celle des gens à Rouyn est si différente! Ces rencontres m’ont apporté une réflexion sur mes passages en tournée. Ç’a alimenté mon intérêt pour les combats que vivent chacune de ces personnes. Quand on demande aux gens “Comment ça va?”, c’est important que ça ne soit pas toujours une simple politesse, mais qu’on se mette vraiment en état d’écouter leur réponse.

– Je crois que notre métier nous oblige à rester à l’affût, dit Bruno en réfléchissant à voix haute. Mais je comprends que le grand public ait parfois envie de rester dans ses pantoufles, arrivé à un certain âge. C’est agréable aussi d’être dans le confort des choses qu’on connaît.

– Il faut quand même être prudent avec le confort, rétorque Vincent. Je salue d’ailleurs mon voisin Jean-Claude, qui a la soixantaine avancée et qui me dit régulièrement – en joke, bien que je le soupçonne de le penser vraiment – qu’il ne s’est pas fait un seul bon disque depuis 1977. T’imagines tout ce qu’il manque?

– Jean Gabin chantait: “Maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais”, dit Bruno. Et c’est tellement vrai! Plus on avance dans notre travail et plus on réalise les possibilités qu’on peut explorer. Si tu n’as pas l’idée de t’ouvrir à autre chose, tu perds beaucoup au change. Si on reste dans notre tour d’ivoire à se faire croire qu’on représente la Vérité, notre carrière ne durera pas longtemps.»

Et Dieu sait qu’en matière de longévité, Bruno Pelletier, Mike Gauthier et Vincent Vallières en sont quand même d’excellents exemples.

LEURS ACTUS

Mike Gauthier anime Stéréo Mike, les samedis et dimanches, de 9 h à 11 h, à ÉNERGIE. Le spectacle Britishow, dont il est l’idéateur et le metteur en scène, sera en tournée au Québec en 2023 et 2024.

Bruno Pelletier se raconte, sous la plume de Samuel Larochelle, dans le livre Bruno Pelletier – Il est venu le temps…, aux éditions Libre Expression, actuellement offert en librairie.

Vincent Vallières a lancé l’album L’entends-tu encore, Vallières?, une captation de son spectacle Toute beauté n’est pas perdue. Il est offert en format vinyle et sur toutes les plateformes d’écoute en continu.

 

Merci au bar Le Flâneur de l’Hôtel Le Germain pour l’accueil chaleureux.



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