Quelle est la différence entre «être mieux» et «se sentir mieux»? «Être mieux» sous-entend être mieux que ce qu’on est déjà… ou tendre vers des standards de plus en plus élevés. En revanche, «se sentir mieux» inclut évidemment le fait de progresser, mais implique aussi tous les aspects de notre être. On ne s’aime pas seulement parce qu’on performe mieux. On s’aime parce qu’on est bien dans notre peau et, pour ça, il faut accorder du temps et de l’attention à plusieurs dimensions de notre personne: bien-être physique, amour, famille, amitié, travail, compétences, intérêts, activités, relaxation, plaisir…
On a parfois l’impression qu’on doit se perfectionner ou s’améliorer sans cesse, autrement on est perçue comme une personne faible ou paresseuse. Jogging, méditation, yoga, végétarisme… On a le sentiment qu’il faut intégrer tout ça dans notre vie, comme une sorte de tyrannie. Il est vrai que les messages qu’on reçoit nous incitent à performer dans tout. Ils nous présentent un modèle idéalisé de chacune des facettes de notre vie: notre corps, nos réalisations professionnelles, même notre famille et nos enfants. Or, nous sommes uniques; notre corps l’est, notre famille l’est, nos amoureux le sont, nos enfants le sont, nos réalisations aussi.
Ne devrait-on pas viser des objectifs plus raisonnables pour réduire la pression? Ne pas se fixer de but à atteindre absolument (retrouver la taille de nos 20 ans, rendre nos enfants performants, ajouter un énième diplôme à notre CV, participer à un marathon par année, etc.)? En effet, je crois sincèrement à l’importance de commencer par connaître et reconnaître qui on est, ce qu’on aime et ce qui nous motive réellement, afin de se fixer des objectifs atteignables et qui nous ressemblent. Ce sont ceux-là qui nous inciteront à nous dépasser sans nous épuiser, à nous réaliser pleinement.
Au lieu de lutter pour être toujours meilleure, on gagnerait donc à faire la paix avec nous-même, à cultiver la bienveillance à notre égard. Comment y parvenir? Il faut d’abord prendre conscience de la manière dont on se traite: quel est notre degré d’exigence, d’acceptation, de tolérance envers nous-même? Ensuite, il faut apprendre à se voir globalement sans perdre de vue notre valeur comme personne, par exemple à cause d’un échec ou d’une difficulté dans un domaine donné. On évite de s’autocritiquer au moindre revers, on fait en sorte de ne pas constamment se comparer aux autres, on accepte de se pardonner.
À notre époque, être occupé est perçu comme une marque de succès social. Si on travaille dur et qu’on est souvent débordée, on aura l’air d’être une meilleure personne aux yeux de bien des gens. Pourquoi? Le travail est une valeur importante dans notre société, et pour cause: il nous a permis d’atteindre une certaine autonomie financière, il contribue à notre qualité de vie, il est une source importante de valorisation. Travailler, ça signifie aussi rendre service aux autres. C’est pourquoi, surtout comme femme, on est souvent attirée par le modèle de celle qui s’oublie pour tout donner. Le travail peut et doit être une source de bonheur. Nous pouvons nous réaliser là-dedans, mais ça ne devrait pas être au détriment de tout le reste.
Se dépasser, faire «toujours mieux»: parfois, nos exigences envers nous-même sont très élevées. Ne devrait-on pas plutôt viser des objectifs raisonnables pour éviter de se mettre trop de pression?
Se sentir mieux, ça suppose aussi la capacité à faire des choix. Que veut-on dire par là? Que doit-on prioriser en faisant des choix? Les gens heureux sont ceux qui savent faire des choix. La liberté n’est jamais totale, les possibilités ne sont jamais illimitées, qu’il s’agisse de notre environnement ou de nous-même. Or, les choix impliquent des deuils. On ne pourra pas tout faire. Cela dit, avec quel manque pouvons-nous le mieux vivre? Quelles relations, quelles activités nous procurent le plus de bonheur? Qu’est-ce qui donne vraiment du sens à notre vie? Il n’y a pas de règle universelle à ce propos. Prendre le temps de réfléchir à ce qui est important pour nous est essentiel. Se regarder aller, rester présente à ce qu’on ressent au fil des jours nous permettra de nous réorienter. L’authenticité est une attitude à cultiver non seulement envers les autres, mais principalement envers nous-même. Se poser des questions et oser se répondre la vérité – même si notre réponse n’est pas «à la mode» –, c’est ça qui nous permettra de réussir notre vie.
Quelles sont les composantes du bien-être? Sur quoi devrait-on miser pour se sentir mieux? Dans toutes les sphères de notre vie, on doit porter une attention particulière à la qualité de nos relations. Ce n’est pas toujours évident. Il n’est pas toujours facile de s’affirmer en famille. Et on risque parfois de perdre des amitiés si on est trop exigeante. Au boulot, les collègues ont le pouvoir de gâcher notre vie… ou de rendre notre travail passionnant. Si on a des problèmes dans certaines de nos relations, on ne peut pas toujours les attribuer à la malchance. Le seul dénominateur commun, c’est nous. On doit donc se demander si on s’entoure des bonnes personnes, celles qui nous font du bien. Par exemple, après avoir vu telle amie, est-ce qu’on s’aime davantage ou si on devient plus critique envers nous-même et nos proches? Est-on plus motivée ou plus déprimée? Si certaines personnes nous poussent à nous apprécier, à nous surpasser, à devenir plus authentique, d’autres peuvent avoir l’effet contraire. Il faut savoir le reconnaître et faire des choix en conséquence.
Vous dites que s’affirmer, c’est non seulement savoir dire non, mais aussi savoir dire oui. Comment expliquez-vous ça? On est plus heureux lorsqu’on dit oui à la vie que lorsqu’on se prépare constamment à dire non. C’est en déterminant ce que sont nos valeurs, nos priorités et nos objectifs qu’on saura vraiment à quoi on dit oui. Par la suite, il sera plus facile de savoir à quoi on dit non. S’affirmer, c’est aussi respecter l’autre. Si l’agressivité est un manque de respect, la passivité l’est tout autant, car elle fait porter à l’autre la responsabilité de notre vie. On finira par lui en vouloir pour une chose ou une autre, alors qu’on aura grandement participé à cette situation par notre passivité. S’affirmer, c’est surtout se respecter en faisant respecter nos valeurs. Il faut donc les connaître et reconnaître les situations où elles sont remises en question. Par exemple, si la liberté est une valeur importante pour moi, il faudrait que je réagisse si quelqu’un veut s’ingérer dans l’organisation de ma vie.
Et qu’en est-il de l’aspect physique quand on veut se sentir mieux? C’est quand même un volet important, sur lequel on met beaucoup l’accent. Effectivement. Pour se sentir mieux, il importe de s’occuper de notre bien-être physique global et pas seulement de notre apparence. Ça veut dire ne pas sombrer dans la culpabilité dès qu’on privilégie le plaisir plutôt que l’effort. Et tendre à améliorer notre apparence plutôt que tenter de ressembler à un modèle. Chaque corps est unique. Nous n’en aurons qu’un seul, autant le respecter.
En ce qui concerne l’aspect psychologique, on s’en occupe comment? Si la santé physique mérite notre attention, il est tout aussi important de s’occuper de notre santé psychologique. Ça suppose de ne pas se sentir coupable de prendre soin de nous. Au contraire, il s’agit d’un cadeau qu’on fait à notre entourage, car les personnes heureuses sont généralement plus agréables. On a beaucoup à offrir aux autres, mais si on leur en donne trop, on risque de les faire payer directement ou indirectement. Il s’agit alors d’un cadeau empoisonné. On ne peut éviter toute la fatigue, le stress et les contraintes qui font partie de notre vie, tant personnelle que professionnelle. On doit toutefois garder du temps et de la place pour se reposer, se détendre et avoir du plaisir.
Prenons l’exemple d’une amie qui est aidante naturelle pour son père. Elle fait passer les besoins de tout le monde avant les siens. Comment la convaincre que se choisir de temps en temps pourrait l’aider à se sentir mieux sans passer pour une égoïste? Celles et ceux qui prennent soin des personnes vulnérables sont à fort risque de s’oublier ou de considérer que seuls comptent les besoins d’autrui. À ce sujet, rappelons que la vraie empathie est la capacité de se mettre à la place de l’autre ET de revenir ensuite à notre place. S’oublier totalement pour se consacrer à l’autre n’est pas de l’empathie. C’est un cercle vicieux où la personne aidante finit par ne plus avoir d’intérêt pour sa propre vie, voire à la fuir en s’investissement totalement dans celle de l’autre. Dans ce contexte, il faut se montrer vigilante.
La vie est en perpétuel mouvement, qui nous expose chaque jour à des changements. Comment y faire face sans perdre pied? C’est en restant présente à ces changements qu’on pourra les orienter et trouver la manière de se sentir mieux dans notre parcours de vie. Car chaque personne a sa propre histoire; l’important est qu’elle nous ressemble vraiment.