Boulot vs vie perso : Comment trouver l’équilibre

01 Sep 2021 par Rose-Marie Charest
Catégories : MSN / Psycho
Icon

Entre un horaire de (télé)travail surchargé, les enfants ou les parents dont il faut s’occuper et le temps qu’on aimerait s’accorder, l’équilibre entre boulot et vie personnelle peut s’avérer difficile à atteindre.

Dans une ère de performance comme la nôtre, comment garder un rapport sain et positif avec le travail? On en discute avec Rose-Marie Charest, psychologue et conférencière.

Pendant très longtemps, être un bourreau de travail était bien perçu dans la société. C’était le genre de choses dont on pouvait se vanter. Est-ce encore le cas?

C’est moins le cas chez les jeunes générations. Le travail demeure toutefois une importante source de valorisation. Et je pense que c’est pour ça qu’on travaille souvent trop, malgré nos bonnes intentions. Sans compter qu’il est souvent plus difficile de se sentir valorisée dans notre vie personnelle que dans notre vie professionnelle. Nos proches ont en effet souvent tendance à tenir pour acquis que ce qu’on fait pour eux est juste normal, alors que le travail multiplie le nombre de personnes qui peuvent bénéficier de nos talents et les apprécier.

Comment arriver à garder un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle? Faudrait-il mettre travail et vie intime sur un pied d’égalité?

Il faut d’abord déterminer ce que l’équilibre représente pour nous et comprendre qu’on n’atteint jamais l’équilibre une fois pour toutes. Quand on fait du vélo, on passe notre temps à nous réajuster pour garder l’équilibre. C’est la même chose dans notre vie. L’équilibre n’est pas le même selon les périodes de notre existence – selon qu’on a de jeunes enfants ou non, qu’on est en couple ou non, qu’on doit s’occuper de ses parents ou non, etc. Chacun doit définir ce qu’est l’équilibre en fonction de l’étape de vie où il est rendu et de ses priorités.

Il est important de noter quelles sont nos priorités dans notre vie intime et au travail. Du côté personnel, est-ce qu’on veut du temps pour notre couple, nos enfants, la sécurité financière de la famille? Et du côté professionnel, est-ce qu’on veut avoir de l’avancement, augmenter nos revenus, se réaliser pleinement sans devoir tout sacrifier pour autant? À partir de ces deux listes, on doit faire des choix actuels. Par exemple, on pourrait décider de ne pas s’investir pour obtenir une promotion pour le moment, parce qu’on veut passer plus de temps avec les enfants, ou encore de tout mettre en œuvre pour l’obtenir, ce qui nous enlèverait sans doute du temps pour le couple et les enfants, mais nous permettrait d’assurer la sécurité financière de tous. Pour qu’il y ait un équilibre, il faut absolument laisser tomber certaines choses. Tout ne peut pas être prioritaire. On ne peut pas travailler comme s’il n’y avait que le boulot dans notre vie, et on ne peut pas non plus mener notre vie privée comme si on ne travaillait pas. Il faut tenir compte de l’un et de l’autre.

Pourquoi parvient-on si rarement à atteindre ce fameux équilibre?

Pour la plupart des gens, c’est très difficile de faire des choix. Parce que faire un choix, c’est aussi faire un deuil. Ça équivaut à laisser tomber quelque chose. C’est un renoncement. Oui, on peut tout avoir, mais pas tout en même temps. Et comme le moteur de ces choix-là, c’est nous-même, il faut avoir une bonne connaissance de soi. Ça suppose d’avoir vécu beaucoup d’expériences et d’être capable de dire: quand je fais cette chose-là, ça me convient, alors que quand je fais cette autre chose, je me sens moins bien. Ça, c’est à l’intérieur de mes limites, alors que ça, c’est trop pour moi.

Le fait de se retrouver en télétravail du jour au lendemain a déstabilisé bien des gens. Certains employés ont l’impression de devoir en faire plus pour prouver qu’ils travaillent réellement et que leur patron peut leur faire confiance. Dans ce contexte, comment établir nos limites?

Il faut se rebrancher sur soi, autrement on a tendance à suivre le courant. Par exemple, si un de nos collègues nous envoie des courriels à 7 h le matin et qu’un autre collègue nous en envoie à 7 h le soir, ça ne veut pas dire qu’il faut leur répondre dans l’instant. On peut décider de commencer à 7 h le matin, puis d’aller prendre une marche durant l’après-midi avant de revenir au travail. Mais on ne peut pas tout faire. On ne peut pas commencer à 7 h le matin et finir à 7 h le soir sans s’arrêter. C’est là que la notion de choix intervient. Une fois qu’on a établi nos priorités, qu’on a fait des choix, il faut aussi se donner les moyens d’atteindre nos objectifs. Si ma priorité est l’avancement de ma carrière, je pourrais peut-être engager quelqu’un pour les tâches ménagères, ce qui me permettrait de consacrer plus de temps au travail. Si ma priorité est de toujours être présente avec les miens le soir, je pourrais peut-être décider que ce n’est pas moi, mais mon partenaire qui ira reconduire les enfants à l’école le matin. Bien sûr, ça existe des superwomans. Mais a-t-on vraiment envie d’en devenir une?

Pour réussir, il faut s’investir dans ce qu’on fait. Mais jusqu’à quel point peut-on s’investir sans que ça nuise à notre productivité?

Il faut apprendre à se sonder et à réaliser que si on en fait trop, on va devenir inefficace. Et la meilleure façon de garder un rapport positif au travail, c’est de se sentir efficace. Quand on planifie une journée, on doit savoir à l’avance que si on réussit à accomplir telle ou telle tâche durant nos heures de travail, on sera contente. Il faut toutefois être réaliste en se fixant des échéances, autrement, on ne sera jamais satisfaite. Il faut trouver notre propre rythme et l’horaire qui nous convient. C’est très important de comprendre qu’il n’existe pas de norme à laquelle tout le monde doit correspondre. Il faut se poser la question: quand devient-on moins efficace? Certaines personnes peuvent travailler 8 heures par jour, d’autres peuvent en travailler 10. Mais performer 15 heures par jour tous les jours, ce n’est pas possible. Au-delà d’un certain niveau, on est davantage dans l’auto-destruction que dans l’autoréalisation.

Les employeurs ont-ils un rôle à jouer pour éviter que leurs employés s’épuisent au travail?

J’encourage les employeurs à discuter avec leurs employés. C’est vraiment à l’avantage de tout le monde – tant sur le plan de la santé que de la productivité – d’essayer de respecter le rythme de chacun. Si quelqu’un est plus efficace le matin, par exemple, il serait bien, dans la mesure du possible, de respecter ça et d’essayer de l’accommoder. Il est important pour les employeurs d’être en mesure d’évaluer le travail plutôt que le nombre d’heures qui y sont consacrées. Tous les chefs d’entreprise souhaitent que leurs employés soient productifs. Or, le surinvestissement nuit à la productivité.

La ligne est mince entre les gens qui sont considérés comme très travaillants et ceux qui souffrent d’une dépendance à leur boulot. À quoi reconnaît-on un workaholic? Et comment guérir de cette dépendance?

Le principal signe, c’est que la personne travaille pour fuir quelque chose et non pour réaliser quelque chose. Cela dit, je ne conseillerais pas à un workaholic d’arrêter de travailler du jour au lendemain. S’il travaille autant, c’est que ça lui apporte une satisfaction. Le problème, c’est que le travail est sa seule source de satisfaction ou de valorisation. Ça devient un cercle vicieux. Si on travaille 70 heures par semaine, on ne peut pas nourrir nos amitiés, nos relations avec nos parents, nos enfants, notre conjoint. La personne qui travaille énormément s’investit de moins en moins dans les autres sphères de sa vie. Elle finit donc par manquer d’intérêt pour tout ce qui n’est pas lié à son boulot. Et ça la pousse à travailler davantage pour combler le vide. Cette personne devrait prendre un moment de réflexion pour se demander ce qui l’intéresse en dehors du travail. Ensuite, commencer à pratiquer une activité qui lui plaît. Puis, tranquillement, en ajouter une autre.

Que faire concrètement quand on se sent submergée? Est-il possible de se réajuster sans se rendre jusqu’à l’épuisement professionnel (burnout)?

Il faut identifier les causes et les manifestations de ce sentiment. Ça dure depuis quand? Qu’est-ce qui a changé dans nos tâches, notre organisation de travail, notre énergie, notre motivation? Est-ce qu’à l’extérieur du travail, notre vie va bien? Observe-t-on des changements physiques (douleurs, malaises, insomnie), psychologiques (anxiété, tristesse) ou relationnels (isolement, conflits)?

Par ailleurs, est-ce que je fais plus d’erreurs que j’en faisais avant? Est-ce que pour le même nombre d’heures de travail, j’obtiens moins de résultats? Est-ce que, la plupart du temps, je suis insatisfaite de ma journée parce que j’ai l’impression de ne pas en avoir fait assez? Ou, au contraire, ai-je l’impression que les autres en font toujours moins que moi? Suis-je en train de développer un sentiment d’injustice? Est-ce que je me sens irritable? Mes relations interpersonnelles, autant au travail qu’à la maison ou avec les amis, m’apportent-elles moins de satisfaction?

Si on a répondu oui à certaines de ces questions, c’est le moment de s’arrêter pour comprendre ce qui se passe et mettre de l’ordre dans nos occupations. Prendre du temps pour soi. Avant de recourir à de l’aide extérieure, il faut commencer par voir si on peut changer quelque chose. Est-ce que je peux modifier mon horaire? Réorganiser mes tâches, en discuter avec mon patron? La majorité des employeurs ne souhaitent pas que leurs employés fassent un burnout. On peut, par exemple, dire à notre patron qu’on a besoin d’aide pour établir nos priorités parce qu’on n’y arrive pas toute seule et qu’on ne veut surtout pas tomber malade.

Si le sentiment d’être submergée dure malgré les actions entreprises, il faut consulter. Peut-être qu’il ne s’agit pas seulement du fait de travailler trop fort, mais qu’on n’a plus le temps ni la capacité de se reposer. Être fatiguée n’est pas un problème en soi, mais ne plus être capable de se reposer en est un. De même, être stressée est inévitable, mais avons-nous encore la capacité de nous détendre? Au-delà des contraintes, avons-nous encore du plaisir au travail comme à la maison?

Que doit-on privilégier pour se ressourcer: de longues vacances une fois par année ou des congés moins longs mais plus fréquents?

Il faut être capable de se reposer tous les jours, toutes les semaines, durant toute l’année. Chaque jour, il faut s’offrir un moment de repos, de détente et de plaisir selon ce qui fonctionne pour nous: ne rien faire pendant 15 minutes, lire pendant une heure, marcher ou jouer dehors, faire la cuisine, jaser avec une amie…

Qu’est-ce qui arrive quand on fait un travail qu’on aime, mais qu’on est épuisée?

En général, quand on commence à être épuisée, on commence aussi à moins aimer ce qu’on fait. Si on y passe trop de temps – même s’il s’agit du métier qu’on aime le plus au monde –, on va finir par ne plus l’apprécier. Pour maintenir la passion, on doit avoir l’énergie nécessaire pour alimenter cette passion-là. L’exemple le plus courant de ça, c’est la fatigue de compassion. Les gens dont le travail consiste à prendre soin des autres peuvent se sentir tellement indispensables qu’ils finissent par oublier de prendre soin d’eux. Et ils deviennent épuisés. Je me permets de rappeler ici que la vraie empathie, c’est d’être capable de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il ressent… et de revenir à notre place. Il faut savoir définir notre rôle, quel qu’il soit, et s’y donner généreusement, mais en gardant du temps et de l’énergie pour nous- même. Autrement, on risque de travailler de plus en plus pour ne pas ressentir le vide qu’on aura creusé dans notre propre vie.

Photos: Trunk Archive

À lire aussi:



Catégories : MSN / Psycho
0 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée.

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine