
La maternité et le corps qui change
On entend beaucoup de choses sur la maternité, mais on parle peu de l’impact de la grossesse sur le corps de la femme.
Notre fierté ou notre piètre estime de nous-même, notre sexualité, notre pouvoir de séduction ou de persuasion, notre musicalité, notre créativité, notre inconscient et notre passé… Notre voix, c’est tout cela: un univers intérieur à écouter… et à exprimer.
Ce n’est pratiquement rien. Un souffle venu de notre ventre ou de notre poitrine, deux petits cartilages qui s’ouvrent et se ferment dans le fond de notre gorge. Et pourtant, la voix est un mystère unique à chacun de nous. Tout au long de notre vie, nos cordes vocales se modifient sous l’influence des hormones et du temps. Elles s’allongent, se relâchent, développent de petites bosses, portent des marques. Elles se forgent pour nous donner un timbre aussi personnel que les rides d’expression de notre visage. Ainsi, tandis que nous utilisons notre voix pour exprimer nos mots, cette dernière exprime qui nous sommes.
«Un jour, une magnifique jeune femme noire est venue me voir, raconte Lyne Gendron, une professeure de chant bien connue dans l’est du Plateau-Mont-Royal. Au début, elle ne voulait pas trop me dire ce qu’elle faisait dans la vie. Elle avait peur d’être jugée. Puis elle m’a dit: “Je suis danseuse… danseuse nue.” Vers la moitié du cours, je lui ai demandé de me chanter un passage d’une chanson qu’elle aimait. Eh bien, elle en a été incapable! Elle n’est jamais revenue. Vous imaginez? Chaque soir, elle se montrait toute nue devant des clients, mais elle n’était pas prête à cette mise à nu-là… C’était trop intime. Se révéler avec sa voix, c’est épeurant.»
La voix est aussi une grande diva: quand nous éprouvons une émotion, notre cerveau sécrète des neurotransmetteurs qui agissent directement sur notre larynx, où se trouvent nos cordes vocales. Nous ne pouvons donc pas la contrôler. Si nous sommes tristes et que nous voulons faire comme si de rien n’était, nous pouvons raisonnablement maîtriser les muscles de notre visage. Mais notre voix, elle, ne ment pas: elle se casse, se noue. On a une boule dans la gorge, car notre émotion veut passer. De même, sous le coup de la colère, nos cordes s’étirent et rendent la voix plus aiguë.
Pour les psychologues, ces changements de timbre peuvent révéler beaucoup plus qu’une émotion: ils sont l’expression des voix de notre passé. «L’être humain ressemble à des poupées russes, emboîtées les unes dans les autres: chacune représente une année de notre vie, une couche de notre personnalité, me dit la psychologue Élise Castonguay. Quand le patient raconte quelque chose et que sa voix change, le thérapeute doit se demander: quel âge a cette voix qui me parle? Quand quelqu’un se met dans une rage folle parce que son voisin a déposé des poubelles sur sa galerie, par exemple, ça active une situation qu’il a pu vivre quand il avait cinq ans. Sa rage, sa façon de parler, c’est son moi enfant.»
L’inconscient est si lié à notre voix qu’il peut la faire disparaître: tant que nous ne lui donnerons pas la parole, il ne nous redonnera pas la nôtre. «Je me souviens d’une dame qui avait reçu une amie chez elle pour quelques jours, relate Lyne Defoy, orthophoniste au CHU de Québec. Un soir, cette amie a fait un AVC. La dame a composé le 9-1-1, elle l’a accompagnée à l’hôpital, bref, elle a fait tout ce qu’il fallait. Quand son amie est repartie, la dame a complètement perdu la voix. Ses cordes vocales étaient tendues, elles ne se touchaient presque pas. Les exercices habituels l’aidaient un peu, mais sa voix était faible et très aiguë. Finalement, quand elle a revu cette amie, elles se sont rappelé ensemble ce qui était arrivé et la dame a dit à son amie deux choses: qu’elle se sentait terriblement coupable et, surtout, qu’elle avait peur que cette amie ne revienne plus jamais la voir… Dès qu’elle a dit ça, dès qu’elle a mis des mots sur ce qu’elle ressentait vraiment au fond d’elle-même, sa voix est revenue.»
Il nous est tous arrivé un jour d’entendre notre voix sur un message enregistré ou sur une vidéo et de nous dire: «Non, ce n’est pas moi.» En soit, ça n’a rien d’anormal, car nous n’entendons jamais notre propre voix de la même façon que ceux qui nous écoutent: nous l’entendons vibrer dans nos os, alors que nos interlocuteurs, eux, l’entendent vibrer dans l’air.
Mais la raison peut être plus profonde. Cette voix peut nous faire entendre que notre façon de nous montrer aux autres ne correspond pas à notre nature profonde. C’est notamment le cas des personnes qui sont mal dans leur peau, dont la voix ne porte pas.
«On nous élève pour qu’on soit une gentille personne, qui ne prend pas trop de place, qui ne fait jamais rien de déplacé », m’explique la chanteuse Natalie Choquette, qui a trouvé sa voie à 11 ans en entendant une cantatrice. «Je pense que le chant peut aider les personnes introverties. Vous savez, la voix, ce n’est pas que faire des a, e, i, o, u. C’est quelque chose de très puissant. Chanter une chanson ou un air d’opéra, c’est avoir la permission temporaire d’être quelqu’un d’autre qui ose. Puis, petit à petit, à force d’oser, eh bien, on s’y habitue et on ose être soi-même… Et on se rend compte que les autres nous aiment quand même!»
Lyne Gendron, qui enseigne depuis 20 ans et dont la bibliothèque est garnie d’ouvrages de psychologie de la voix, se souvient d’un étudiant qui, de chenille, est devenu papillon, grâce à l’expression artistique. «C’était un Français au début de la vingtaine qui était venu étudier à McGill pour apprendre l’anglais. Il était voûté, et sa voix était presque inaudible. Pour que son souffle circule bien, il a appris à se tenir droit et il a gagné 2 po. Six mois plus tard, sa voix au quotidien avait changé. Pendant le temps des Fêtes, il est retourné chez lui et, au souper de famille, où son frère avait l’habitude de prendre beaucoup de place, il a parlé et, surtout, on l’a écouté! En fait, il venait aux cours pour prendre sa place dans sa famille. Chanter, c’est être fier!»
Un des secrets du succès de l’émission La Voix (de retour sur les ondes de TVA le 18 janvier à 19h30) est sans aucun doute les fameuses «auditions à l’aveugle». Tandis qu’un candidat chante à gorge déployée, nous scrutons le visage des coachs qui, le dos tourné à la scène, essayent d’imaginer le physique qui correspond à cette voix. Et nous éprouvons surtout un malin plaisir à voir leur surprise au moment où ils se retournent, notamment lorsqu’une voix haut perchée se révèle être celle d’un homme corpulent.
Ce que montre cet exercice, c’est que le son d’une voix crée toujours l’image d’un corps dans notre esprit. Et, de prime abord, l’image d’un corps sexué, ce qui cause bien des difficultés aux transgenres. «Pour les transformations de femme à homme, il n’y a pas de problème: avec la prise d’hormones, la forme du larynx se modifie, comme chez les garçons à la puberté, me dit l’orthophoniste Lyne Defoy. Mais dans le cas d’homme à femme, c’est plus difficile, car le changement du larynx est irréversible. On peut procéder à certaines
interventions – étirer les cordes vocales, par exemple –, mais ce n’est pas toujours efficace.» Les hommes doivent donc entreprendre un long travail pour trouver une voix qui correspond à leur nouveau corps de femme.
Une voix, c’est aussi un âge. Ainsi, certaines femmes qui ont recours à la chirurgie esthétique pour rajeunir leur apparence se rendent compte que leur voix les trahit. C’est pourquoi, aux États-Unis, des chirurgiens offrent un voicelift. Pour quelque 25 000 $, ils prélèvent
du gras du ventre et l’implantent sur les cordes vocales pour leur redonner leur souplesse et leur jeunesse.
Mais une simple voix peut créer l’image d’un corps désirable. En fait, son rôle en matière de séduction et de désir sexuel est si grand que plusieurs psychologues la considèrent comme un «organe sexuel secondaire».
Selon une étude publiée dans la revue scientifique PLOS One, les voix graves seraient jugées plus séduisantes par les femmes, car elles créeraient dans leur esprit l’image d’un corps fort et de grande taille et ayant un grand potentiel reproducteur, autant de qualités importantes pour la survie de l’espèce. Mais bon, la nature nous joue parfois des tours: la même revue a publié une autre étude selon laquelle les hommes ayant une voix grave présentaient une concentration en spermatozoïdes moins élevée…
Quant aux hommes, ils préfèrent les voix féminines hautes, qui laissent supposer une femme de petite taille. La voix des femmes devient d’ailleurs un peu plus aiguë en période de pré-ovulation et dirait malgré elles qu’elles sont fertiles.
La professeure de chant Lyne Gendron (lynegendron.com) nous propose quatre exercices pour libérer notre voix et entrer en contact avec nous-même.
Pour exprimer vos émotions avec votre voix
Placez un bras derrière vous, comme si vous vous prépariez à lancer une balle. Balancez ensuite le bras en avant et lâchez l’objet imaginaire le plus loin possible. En laissant aller cette balle, libérez votre voix en faisant résonner la voyelle «A», en expirant avec votre ventre. Imaginez que vous relâchez différentes émotions (joie, colère, tristesse) en les mimant avec votre visage. (Faire de 5 à 10 fois.)
Pour dénouer votre voix
Cet exercice vous aidera à déloger les tensions qui peuvent apparaître dans votre cou et serrer votre larynx. La cage thoracique doit être bien ouverte, les épaules rejetées en arrière, et la colonne bien droite. En tirant la langue vers le bas, expirez bruyamment en exécutant le son «Ha», tout en rentrant l’abdomen et en tirant vos bras vers l’arrière. (Faire 5 fois.)
Pour découvrir l’étendue de votre voix
Balayez tout votre registre vocal, du plus grave au plus aigu, en imitant le son d’une sirène de police en prononçant le son «ou». Cet exercice vous fera explorer votre «voix de poitrine» et votre «voix de tête» et, à long terme, vous aidera à mettre en contact vos pensées et votre corps. (À exécuter assez rapidement: 3 montées et 3 descentes avec une seule respiration.)
Pour libérer votre voix
Dans un endroit où vous pouvez faire beaucoup de bruit (une salle vide, ou préférablement au bord d’un lac, au sommet d’une montagne, dans une forêt, etc.), tenez-vous bien droit, les jambes à la largeur des épaules, et criez: «O-hé» en prenant bien soin d’expirer l’air par le ventre. (Faire de 3 à 5 fois.)
Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le cinquième numéro de Véro magazine, à la page 105, avec le titre « La voix de l’âme ». Le magazine est disponible en kiosque et en version iPad.