Ces couples qui n’habitent pas ensemble

08 Juin 2020 par Mélissa Pelletier
Catégories : Psycho
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«Ah bon, tu ne vis pas avec ton conjoint!?» Kathleen, 37 ans, a entendu cette question plus souvent qu’à son tour. Pourtant, elle est loin d’être la seule à avoir fait ce choix! Qui sont ces couples qui décident de faire maison à part? Et pourquoi?

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Gwyneth Paltrow et Brad Falchuk… Les personnalités qui ont décidé de ne pas habiter avec leur tendre moitié sont loin d’être rares! Au Québec, c’est 7 % des couples âgés de 20 ans et plus qui ne partagent pas le même toit, selon les plus récentes données (2011) de l’Enquête sociale générale sur la famille. Si on regarde du côté du Canada, plus de 1,5 million d’individus de 25 à 64 ans ne vivent pas avec leur conjoint, selon une étude réalisée par Statistique Canada en 2017. Et de ce nombre, 34 % des couples indiquent le faire par choix!

Dès le premier rendez-vous, Aline, une éditrice de 46 ans, a été claire avec Martin. «C’est le premier homme que j’ai rencontré sur Tinder. Sincèrement, je ne cherchais rien de sérieux. Je lui ai dit d’emblée que je ne voulais plus jamais vivre avec quelqu’un. Et finalement, ça fait quatre ans qu’on est ensemble!» raconte celle qui venait alors de mettre fin à une relation amoureuse d’une quinzaine d’années avec le père de ses deux garçons, aujourd’hui âgés de 17 et 15 ans.

Robert, un enseignant de 55 ans, a aussi rapidement mis cartes sur table avec Nathalie, une amie rencontrée à l’université avant de devenir son amoureuse beaucoup plus tard. «Je suis un éternel célibataire, admet-il. Je dis souvent à la blague que la planète ne voulait pas que je me reproduise. [rires] Il y a deux ans, Nathalie m’a recontacté quand elle a appris que j’étais malade. Après quelques mois, on est tombés dans les bras l’un de l’autre. Avec ses deux enfants de 9 et 7 ans qui ne savent pas encore que j’existe, c’est certain qu’on va prendre notre temps.»

Pour Gérald, 64 ans, père de trois enfants nés d’une précédente relation, ce choix s’explique par le fait que son travail de courtier d’assurances prend beaucoup de place: «Je suis avec ma copine Line depuis une quinzaine d’années; d’ailleurs, on travaille ensemble. Et ç’a toujours bien fonctionné de cette manière.»

L’avantage passion

Autant de personnes, autant de raisons de ne pas vivre sous le même toit. «C’est un choix personnel. Le modèle du couple traditionnel met de l’avant une vie commune. La majorité s’inscrit dans ce cadre et la minorité s’en crée un autre», explique Marc Ravart, psychologue et sexologue. À ce propos, «le dialogue est primordial, ajoute François Renaud, sexologue. Si l’un des partenaires n’est pas bien dans la situation, ça va inévitablement causer des conflits. Il faut se questionner sur nos motivations!»

D’emblée, la majorité des personnes interviewées ont évoqué la plus grande facilité à entretenir le désir et la qualité de la relation en faisant maison à part. «L’amour idéal, c’est d’arriver à préserver la passion du début toute sa vie. Quand je vois ma blonde, c’est toujours extrêmement agréable», lance Robert.

Aline partage le même point de vue: «J’ai l’impression qu’on est en date dès que je vois Martin. J’aime me faire belle pour mon chum, l’excitation avant d’aller le retrouver… On est bien loin des tâches, des obligations ou de la routine. Quand j’habitais avec mon ex, je ne faisais plus du tout attention à moi. Après un certain temps de vie commune, le conjoint peut commencer à faire partie des meubles…»

Couper des carottes ou jaser tâches domestiques entre deux baisers peut effectivement éteindre la flamme de certains amoureux, estime François Renaud. «Un des grands avantages de vivre seul, c’est de ne pas être irrité par son partenaire au quotidien. Le papier de toilette est toujours placé du bon côté, le ménage est toujours fait, ou pas, selon nos propres critères… Chacun a son espace, qu’on n’a pas à partager», explique-t-il en riant.

C’est le cas de Kathleen, 37 ans, qui travaille dans le commerce de détail. En plus de ne pas vouloir imposer sa nouvelle relation à ses enfants après une séparation et un déménagement, elle aime bien s’occuper de son appartement à sa façon. «Je pense qu’habiter avec un conjoint crée inévitablement des tensions. Ce n’est pas vrai que les tâches sont toujours réparties équitablement! Mon chum et moi, on a envie de gérer nos lieux de vie comme on l’entend. J’ai des enfants qui prennent de la place, aussi! Quand on a envie de se retrouver à deux ou à quatre, on va chez l’un ou chez l’autre et on passe du temps de qualité ensemble.»

Le plaisir de se retrouver… soi-même

Décider de ne pas habiter avec la personne qu’on aime, c’est aussi dire oui à une plus grande indépendance. «C’est plutôt rare que je croise un dépendant affectif qui ne veut pas vivre avec son conjoint, lance François Renaud en riant. Les gens qui optent pour ce mode de vie sont souvent plus portés vers l’autonomie et la solitude. Chez mes clients, ce sont souvent des personnes qui sortent beaucoup, qui investissent pleinement toutes les sphères de leur vie… en plus du couple. Et attention: elles ne sont pourtant pas moins engagées dans la relation parce qu’elles ne partagent pas les tâches ou un bail avec leur partenaire! Au contraire, j’ai vu beaucoup de gens très liés financièrement… et très désengagés émotivement.»

Aline abonde dans ce sens. «Aucune obligation ne me lie à mon chum, ce qui me donne l’impression de le choisir chaque jour. Après une longue vie commune, je me retrouve enfin. Quand j’habite avec quelqu’un, j’ai toujours l’impression que je dois l’intégrer à mes choix, que ce soit pour le repas du soir, ce qu’on regarde à la télé… C’est tout bête, mais j’ai besoin de cet espace-là.»

Même son de cloche du côté de Gérald: «Je travaille presque tous les soirs et j’aime savoir que personne ne m’attend. Je n’ai pas à téléphoner pour expliquer mes retards! Quand je vois ma blonde, je veux être avec elle à 100 %.» Pour Robert, ça va encore plus loin: «J’ai beaucoup de difficulté à imaginer que j’abandonnerais tout ce que je suis pour partager une pièce et un lit commun avec mon amoureuse durant le reste de ma vie. J’ai mon horaire, mes habitudes… J’ai besoin de ma bulle.»

L’envers de la médaille

Le choix de ne pas vivre avec sa tendre moitié n’est pas seulement fait de rendez-vous enflammés et de moments de solitude bénéfiques. Ce fameux espace personnel, qui peut s’avérer salutaire, peut aussi devenir lourd pour certains.

«Si des amoureux décident d’habiter ensemble, c’est souvent pour créer un univers et avoir accès à une présence habituelle. Se réveiller près de la personne qu’on aime, partager les tâches et le quotidien, par exemple, ça peut favoriser l’intimité et la santé sexuelle, alors que le contraire peut mener à une distance dans le couple», souligne le psychologue Marc Ravart.

Car si le manque peut créer d’intenses périodes de retrouvailles, il peut aussi miner la relation à long terme. «Le plus dur, c’est quand je vis un moment difficile, explique Aline. Parfois, j’aimerais raconter ma journée à mon chum en rentrant. Cela dit, je peux toujours aller cogner à sa porte si j’apprends une mauvaise nouvelle. Il ne me dira pas “Non, ce n’est pas ton jour!”» Souvent, le téléphone joue un grand rôle chez les partenaires qui décident de ne pas cohabiter. «On se texte et on s’appelle beaucoup!» avoue Robert.

L’aspect monétaire est souvent ce qui fait reculer des couples qui aimeraient tenter l’expérience de ne pas vivre sous le même toit. «Il faut parfois couper ailleurs pour se le permettre», commente Marc Ravart. «Ça double les coûts, c’est certain, admet Aline. Mais pourquoi parler des désavantages quand on se sent bien avec notre choix?» Ainsi, même quand Gérald a eu de graves problèmes financiers qui ont poussé sa conjointe à l’aider, l’option de vivre ensemble n’a pas été envisagée: «Le poids de mes dettes n’était pas assez lourd pour que ce soit une solution! On était déjà bien heureux de notre arrangement.»

Chez les couples qui optent pour ce mode de vie, il y a hélas souvent, dans leur entourage, des gens qui se plaisent à en soulever les inconvénients. «Ça surprend, lance Kathleen. C’est comme si mon couple allait moins bien parce qu’on n’habite pas ensemble! Nous n’avons pas de “vrai” projet de famille, que c’est donc triste! Ce n’est pourtant pas du tout le cas. À partir du moment où on s’écarte du modèle traditionnel, il faut se justifier, ce qui commence à m’irriter de plus en plus. J’évite donc le sujet.»

«Quand une personne voit quelqu’un être heureux dans un autre modèle que le sien, ça peut être contrariant, explique François Renaud. On aime tellement se comparer! [rires] Si cette personne se montre curieuse, voire négative, je conseille de lui expliquer calmement la décision de ne pas cohabiter avant de lui renvoyer la question: “Cette méthode me convient. Et vous, pourquoi avez-vous décidé de partager la même adresse?” Souvent, la personne n’y aura même pas réfléchi!»

Et les enfants?

Si les conjoints qui ont déjà des petits peuvent trouver plus simple de ne pas habiter ensemble, qu’en est-il de ceux qui souhaitent fonder une famille? «C’est plus compliqué… Surtout les premières années, pendant lesquelles les besoins de l’enfant sont plus intenses», s’exclame spontanément Marc Ravart.

«Sincèrement, je ne l’aurais jamais fait avec mon ex, avec qui j’ai eu deux enfants. Dans mon idéal, les parents vivent ensemble. C’est un projet de couple!» avoue Aline. «Bien sûr, on voit des parents séparés tenter de trouver le meilleur équilibre pour leurs enfants en habitant sous deux toits différents, renchérit François Renaud. Mais s’ils sont encore ensemble, c’est extrêmement rare. Avoir des enfants, c’est aussi vouloir expérimenter la vie de famille et, surtout, le quotidien avec sa progéniture.»

Certains, toutefois, pourraient facilement envisager ce cas de figure. «Il aurait peut-être fallu que je le fasse avec le père de mes enfants! dit Kathleen en riant. Il n’y aurait pas eu de disputes sur les tâches quotidiennes, ce qui, selon moi, tue les couples de jeunes parents.»

À plus long terme

Chose certaine, ne pas emménager avec son partenaire ne signifie pas qu’on n’a pas de projets d’avenir avec lui. «Ces projets peuvent être d’un autre ordre, mais ils ne sont pas moins pertinents parce qu’ils ne sont pas traditionnels», explique Marc Ravart.

«On a des rêves comme tous les couples. On compte éventuellement voyager ensemble», raconte Robert. Kathleen prévoit elle aussi voir du pays avec son amoureux. «Pour l’instant, on fait ce genre de plans, dit-elle. L’idée d’habiter ensemble est venue sur le sujet après quelques mois, mais pour moi, c’est hors de question. Du moins, pour les prochaines années.»

Est-il possible d’envisager ce mode de vie à long terme? «Bien sûr! s’exclame Aline. Du moins, je l’espère! [rires] Le seul truc qui m’inquiète un peu, c’est lorsqu’on va vieillir. Est-ce que ce sera fiscalement avantageux de ne pas habiter ensemble? Est-ce que l’un de nous aura besoin de soins? Dans un monde idéal, on achèterait un duplex et on aurait chacun notre appartement!»

Pour Gérald et son amoureuse, le projet d’acheter une maison est dans l’air. «On compte acquérir une propriété dans les Laurentides. Je continuerai à travailler à Montréal, mais on pourrait s’y rejoindre quand ça nous chante.» Bien sûr, rien n’est jamais vraiment coulé dans le béton. «Si tu fais un suivi dans deux ou trois ans, je te parlerai peut-être de mes trucs pour bien cohabiter!» blague Robert. En effet, qui sait?

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  1. FRANCINE OUELLETTE LUSSIER dit :

    Mariés depuis 48 ans, je pourrais qualifier notre modèle d’hybride. Au départ et durant toutes les années ou nous avons travaillé, nos fins de semaine étaient souvent vécues séparément; nos activités étant différentes, il nous arrivait souvent d’aller vers nos centres d’intérêt ; ayant un chalet, mon mari y était souvent alors que je profitais de ce temps pour mes activités de ville avec mes amies. Depuis la retraite de mon mari (10 ans avant la mienne) , on peut presque dire que le chalet est devenu sa maison alors que la mienne est en ville. On se rejoint régulièrement chez l’un ou chez l’autre; pour une période plus ou moins longue; ce qui est tout à fait satisfaisant pour les deux. La difficulté principale, étant donné que les deux endroits appartiennent aux deux , est lorsque l,on se retrouve, on brise la bulle de l’autre ; après quelques jours, on reprend le rythme à deux et les décisions des 2 endroits sont prises à deux. On voyage aussi ensemble aux endroits convenant aux deux; par contre, on se permet aussi des voyages autres individuellement. Nos besoins personnels sont ainsi satisfaits . Ce mode de vie me convient parfaitement, ayant besoin d’être seule régulièrement. Il va sans dire que l’aspect financier s’en ressent, mais nous évaluons que nos deux espaces nous permettent une qualité de vie inestimable. Il nous arrive régulièrement d ‘entendre des commentaires très envieux de certaines personnes nous témoignant nous trouver chanceux.. Bien entendu cela s’adresse aux personnes totalement autonome et en confiance. Rien n’est parfait, mais disons que ce mode qui s’est installé au cours des années est devenu parfait pour nous. Il est évident que les compromis persistent quand même et qu’aussitôt que nous sommes deux, quel que soit le modèle, il faut une place importante à la communication…donc, jamais si facile .

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