Propos recueillis par Sophie Aumais
COMPRENDRE L’ENVIE
Est-ce que la jalousie et l’envie sont une seule et même chose? La jalousie inclut presque toujours l’envie, mais l’inverse n’est pas vrai. Quand on est jalouse de quelqu’un, c’est qu’on a peur de perdre ce qu’on a et, souvent, on aimerait avoir ce que l’autre possède. Un exemple tout simple: on jalouse la collègue de notre amoureux avec qui il passe huit heures par jour, sans compter les 5 à 7. On ne veut pas le perdre, lui, et on voudrait disposer d’autant de temps qu’il passe avec elle. L’envie est d’ordre plus général, car elle peut se manifester même lorsqu’on n’est pas menacée de perdre quoi que ce soit… sauf, peut-être, de perdre au jeu de la comparaison.
Est-ce que l’envie est toujours basée sur la comparaison? Oui. Que ce soit une comparaison du bien-être auquel telle personne a accès par rapport au nôtre, de son succès, de sa beauté, de sa notoriété, de ses acquis ou de ses réalisations. Cela dit, il n’est pas toujours néfaste de se comparer, sauf si on en vient à considérer qu’on est systématiquement victime d’injustice ou qu’on se dévalorise constamment. «Sa maison est plus chic que la mienne, mais on sait bien: sa famille est riche!» ou «Ma maison est moins belle que la sienne, mais j’ai tellement moins de goût qu’elle!» sont des réflexions qu’on ne formule peut-être pas à voix haute, mais qui finissent néanmoins par miner notre bien-être, notre appréciation de l’autre et de nous-même.
En perdant ainsi au jeu de la comparaison – un jeu auquel on se prête nous-même –, ne risque-t-on pas d’éprouver une perpétuelle insatisfaction? Je dirais de l’insatisfaction, oui, mais surtout de la peur. La peur de ne jamais pouvoir acquérir ce que cette autre personne possède, d’atteindre un tel niveau de performance, d’être aimée ou estimée autant qu’elle. On sait tous que la peur paralyse. On devient donc une spectatrice qui se contente d’envier les autres sans chercher à améliorer ce qu’il est possible de changer en nous ou dans notre vie, ni à apprécier ce qu’on a.
Qu’est-ce qui nous pousse à nous comparer aux autres et à développer ainsi une image négative de nous-même? Évidemment, une personne qui a pleinement confiance en elle a moins tendance à se comparer et, surtout, elle ne base pas son estime d’elle-même sur cette comparaison. Il va de soi que s’estimer si – et seulement si – on domine les autres est une manifestation de narcissisme qui s’avère souffrante pour la personne elle-même, car il est pratiquement impossible de toujours être «la plus» dans tous les domaines.
La clé pour cesser de se comparer négativement, c’est de se redonner de la valeur. On a toutes des forces et des qualités qui nous plaisent et nous rendent fières: il faut miser sur celles-ci plutôt que sur celles qu’on n’a pas et que les autres possèdent. En somme, on gagne à se développer plutôt qu’à se comparer. ll y a lieu de se questionner sur l’image qu’on a de nous-même. Par exemple en se demandant: «Qu’est-ce que j’aime en moi? Et qu’est-ce que je peux changer?» On compose ensuite avec cette autoévaluation comme base pour décider où on devrait mettre de l’énergie et où il faudrait lâcher prise. «J’envie les yeux verts de mon amie Martine, mais bon, les miens sont bruns… et d’un beau brun velouté, en plus!» «J’aimerais ça être aussi à l’aise en public que Chantal… quoique mon écoute vaut quand même son pesant d’or!» Et ainsi de suite.
Est-ce que l’envie peut s’avérer positive? L’envie existe chez tout le monde, à des degrés divers. Elle est inhérente à notre développement dès l’enfance: vouloir ce que d’autres ont, être plus forte, plus évoluée et plus appréciée sont une puissante motivation à se développer. Même chose à l’âge adulte: envier une cousine qui a le courage de démarrer sa propre entreprise peut nous faire réaliser qu’on a aussi tout ce qu’il faut pour se lancer et réaliser notre rêve. Dans ce cas, l’envie est un élément propulseur. Le problème n’est donc pas de vouloir ce que d’autres ont, mais de ne s’estimer que dans la comparaison et de souffrir chaque fois qu’on perd à ce jeu-là.
ENVIEUSE ET MALHEUREUSE
À quel point l’envie peut-elle nous empoisonner la vie? L’envie peut faire souffrir la personne qui la ressent mais aussi celles qui l’entourent. En effet, le fait qu’une personne nous envie crée inévitablement un sentiment de compétition susceptible de nous compliquer la vie: cacher ce qu’on a, de peur d’être enviée; devenir nous-même préoccupée par la comparaison; et, pire encore, nous mettre à craindre nos propres succès de peur d’être enviée. Car n’oublions pas que l’envie peut s’accompagner d’agressivité, voire de rage et d’intimidation envers la personne enviée.
- En famille L’envie peut être suscitée par la préférence réelle ou perçue comme telle par un des enfants, par le parent ou, plus tard, par les succès professionnels ou sociaux au sein de la fratrie.
- Au travail Les sources de comparaisons sont nombreuses: salaire, pouvoir, alliances, performance et, surtout, valorisation. C’est pourquoi un bon gestionnaire doit porter attention à l’équité et s’assurer que les membres de son équipe aient tous de bonnes chances de valorisation. Autrement, le risque de voir se développer un climat malsain est élevé.
- Entre amis Une amitié est réussie lorsque la comparaison est absente ou. du moins, lorsqu’elle n’engendre pas de sentiments négatifs. Quand la rivalité s’installe, on peut s’attendre à des conflits, voire à des ruptures qui font très mal.
ENVIER SA MEILLEURE AMIE
Si on se compare sans cesse à notre amie, est-ce qu’on se fait du tort en entretenant cette amitié? On peut être à l’aise avec une success story si on partage des intérêts avec cette personne et qu’on a une image de soi valable. Par exemple, on envie chez notre copine Ariane sa réussite avec sa boutique Etsy et on aimerait avoir autant de talent, mais on est fière de nos propres réalisations dans un domaine tout à fait différent.
C’est lorsque l’image qu’on a de nous-même n’est pas fondée sur une réelle appréciation de ce que nous sommes, mais plutôt sur la comparaison avec autrui, que le trouble commence. Autrement, les gens qui nous dépassent dans des domaines qu’on valorise peuvent être d’excellentes sources d’inspiration.
Si on n’est pas capable d’être dans l’entourage de cette copine sans constamment l’envier, devrait-on s’en éloigner? Il se peut qu’il y ait un problème dans cette relation qui fait qu’il vaudrait mieux prendre ses distances. Il se pourrait, par exemple, que cette copine soit elle-même insécure malgré ses succès extérieurs et qu’elle ait besoin de nous écraser, même subtilement, pour se sentir bien.
Il se peut aussi que dans cette relation, notre regard admiratif sur elle soit une source de satisfaction dont elle a besoin et qu’il n’y ait pas de place pour nous comme personne avec qui partager une amitié. On n’a donc pas intérêt à poursuivre la relation. Or, si ça arrive avec plusieurs personnes différentes, je crois qu’il y aurait lieu de travailler sur soi-même et sur cette envie qui nous ronge. On peut entreprendre une réflexion en se posant ces questions: «Qu’est-ce que j’attends de cette relation ? Est-ce que, surtout, je souhaiterais bénéficier de l’admiration que mon amie suscite? Qu’est-ce j’estime le plus chez moi? Est-ce que cela est reconnu par elle? Y a-t-il autant de place pour moi que pour elle dans notre relation, dans notre conversation, dans nos choix d’activités?» Le bilan des réponses nous aidera à déterminer ce qu’il conviendrait de faire pour qu’on soit mieux avec la situation.
L’ENVIE ENTRE COLLÈGUES
«Elle a des passe-droits à cause de ses enfants. Ses projets sont plus intéressants que les miens. Elle a eu la promotion que je convoitais.»
Comment gérer cette envie dévorante en milieu de travail? D’abord, en départageant la réalité de nos impressions. En ce qui concerne les départs hâtifs dont notre collègue semble bénéficier, on ne connaît pas l’entente conclue avec sa patronne et personne n’est tenu de nous mettre au courant.
Quant à ce qui nous apparaît comme des iniquités professionnelles, il faut d’abord et avant tout s’affirmer pour prendre la place qui nous revient. Personne ne nous fera de cadeau, pas plus cette collègue que d’autres employés. Elle se montre motivée et cherche à obtenir les dossiers les plus stimulants? À nous de passer aussi à l’action… si c’est bien ce que nous voulons. Si on ne tient pas à user de stratégies pour atteindre des buts ni à cumuler les heures supplémentaires, il faut alors en venir à certains constats. «Non, ce modus operandi ne me convient pas» s’avère un choix tout à fait valable. On est alors en parfait accord avec nous-même et on peut dormir tranquille. On n’est nullement dévalorisée et on aura moins tendance à comparer nos performances avec celles de notre ambitieuse collègue.
ENVIE DANS LA FRATRIE
«Ma sœur est plus belle, plus talentueuse et plus intelligente. Elle gagne plus d’argent et nos parents l’ont toujours plus complimentée…» Comment éviter un sentiment d’envie dans la fratrie? Il est possible que l’image idéalisée d’une sœur (ou d’un frère) fasse de l’ombre dans la famille, ou que nos perceptions aient créé ce sentiment de n’être pas aussi bonne qu’elle ou lui. La meilleure façon de composer avec une telle impression à l’âge adulte, c’est d’en parler ouvertement au membre de la fratrie en question: «J’aurais aimé ça avoir autant de talent que toi…» Notre sœur ou notre frère va peut-être alors nous faire constater qu’on l’a mis sur un piédestal, ou encore nous faire réaliser que nos parents nous ont valorisés également, mais pas pour les mêmes raisons. Peut-être que, pendant toutes ces années, on a accordé plus de valeur à sa réussite qu’à nos propres réalisations? Il y a lieu de s’interroger sur notre appréciation de nous-même. En communiquant avec notre sœur ou notre frère, on pourra alors se rapprocher en rapport avec nos sentiments profonds plutôt que de baser notre relation sur la comparaison.
Comment éduquer nos enfants pour qu’ils ne deviennent pas des personnes envieuses? En les valorisant pour ce qu’ils sont individuellement et en leur donnant toutes les chances possibles de se réaliser. Il faut aussi rappeler à l’enfant envieux que la comparaison la plus importante s’exerce envers lui-même et l’amener à prendre conscience de sa valeur en orientant sa réflexion. On peut lui suggérer, par exemple, de se poser les questions suivantes: «Est-ce que je me suis amélioré par rapport à telle chose? Quelles sont les activités qui me plaisent à moi et qui me font du bien quand je les réalise?»
D’autre part, il faut souligner qu’il y a des différences entre les gens, sans hiérarchiser un enfant au détriment d’un autre: «Il est vraiment bon en karaté, lui!» vaut mieux que «Wow! C’est vraiment le meilleur du dojo, hein? Ça ne te tente pas de lui ressembler?» Ce genre d’injonction n’a jamais été efficace, surtout à l’égard d’un enfant complexé ou timide qui risque de se replier davantage dans sa coquille. En revanche, on peut apprendre à nos enfants à admirer les autres sans les envier; un athlète olympique, par exemple, est une source d’inspiration pour plusieurs.
Quand l’envie vire à l’obsession
On peut très bien avoir une idole ou admirer quelqu’un de notre entourage, mais focaliser sur cette personne au point de n’exister que dans la mesure où on lui ressemble est un phénomène générateur de grande anxiété. Être à l’image de quelqu’un d’autre, c’est frapper un mur, car ça ne pourra jamais être possible.
Il faut ramener notre attention sur nous-même et voir ce qu’on peut améliorer pour avoir une meilleure estime de soi ou pour atteindre nos propres objectifs. À cet égard, on peut exercer un contrôle sur certains facteurs. Si, par exemple, on envie la beauté d’une autre personne, on valorise les atouts qu’on a et on fait des choix qui nous permettent d’être davantage satisfaite de nous-même. On met fin aux comparaisons qui nous incitent à nous rabaisser et on décroche de l’idée qu’un seul modèle est valable: on peut toujours viser plus haut.
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