Discussion : La pression est un privilège

Discussion : La pression est un privilège
07 Nov 2023 par Patrick Marsolais
Catégories : MSN / Psycho / Véro-Article
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Ces trois personnalités sont des athlètes d’exception. J’ai pourtant rarement rencontré un trio plus humble que celui formé par les champions olympiques Alexandre Despatie et Chantal Petitclerc, ainsi que la danseuse Kim Gingras.

On ne monte toutefois pas au sommet du podium juste en croyant à son rêve. L’excellence, c’est avec des litres de sueur, une résilience hors du commun et une pression omniprésente qu’on la façonne.

 

Prévoir une réponse et en obtenir une autre. Voilà un des aspects les plus agréables d’une entrevue. C’est rare, mais ça arrive, comme lors du stimulant échange que j’ai eu avec mes invités au très cool bar à vin BarBara de Saint-Henri. Premier constat: non, ce n’est pas évident que notre enfant sera un champion dans sa discipline juste parce qu’il domine la compétition à l’âge de six ans. Et le fait de commencer sur le tard ne condamne pas non plus l’adepte d’un sport ou l’artiste en question à performer seulement dans des fêtes foraines de quartier. Prenons le cas de Kim Gingras, par exemple. L’artiste qui a participé à l’émission So You Think You Can Dance, qui a fait une tournée mondiale avec Beyoncé et qui s’est installée à Los Angeles pour propulser encore plus loin sa carrière… eh bien, elle a commencé à danser à l’âge de 15 ans. «À la maison, nous étions trop serrés financièrement pour que je prenne des cours, dit Kim. Quand j’étais petite, je dansais partout, tout le temps, mais je n’avais pas du tout l’esprit de compétition. En fait, je pense que je ne l’ai toujours pas, encore aujourd’hui. Je suis timide de nature et on dirait que j’ai eu besoin de me créer un alter ego pour assumer le côté fonceur de celle qui va briller sur scène.»

Kim suit d’abord les pas de sa mère et embrasse la danse sociale dans des locaux de Laval, puis sa petite sœur lui fait découvrir des vidéoclips de hip-hop et de danse commerciale: «Ç’a été une révélation, poursuit-elle. Ce que je voyais à MusiquePlus, c’est ça que je voulais faire.» 

Au tour d’Alexandre Despatie maintenant, ce plongeur emblématique du Québec, qu’on a vu affronter les plus grands athlètes alors qu’il n’était encore qu’un gamin. Dans le coin droit, Alexandre Despatie, 14 ans; dans le coin gauche, Fernando Platas, 26 ans. Et pourtant… 

«J’étais terrifié par l’aspect compétitif, avoue l’athlète. J’ai commencé à plonger à cinq ans et, un an plus tard, je participais à ma première épreuve. Je mentais à mes entraîneurs. Je leur faisais croire que j’avais mal au ventre pour ne pas participer aux compétitions. C’est ironique parce qu’une de mes forces, par la suite, a justement été de savoir bien gérer mon stress lors des grands rendez-vous.» 

C’est quand même fou, non ? Ce triple champion du monde et médaillé olympique était rongé par le stress de la compétition à ses débuts. Au point de tenter de duper ses coachs. 

 

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À contre-courant

En 2023, la rumeur veut que la pression soit omniprésente, particulièrement sur les épaules de nos enfants, à qui on demande de performer sur les bancs d’école, dans les arénas ou sur une scène quelque part au Québec. «Laissons-les s’amuser», entend-on aussi souvent dire. Ce n’était certes pas la vision de Chantal Petitclerc, 14 fois championne paralympique et désormais sénatrice indépendante. 

«J’avais 17 ans quand j’ai commencé la course et je me voyais déjà au sommet, raconte-t-elle. J’aime le mentionner parce qu’à notre époque, il y a plein d’histoires négatives entourant le sport. J’ai eu beaucoup de plaisir à vivre avec le stress de la compétition. 

Je n’en dormais pas la nuit. La pression était partout. Je m’en mettais, mon entourage m’en mettait et les médias aussi. J’ai dû apprendre à la gérer, à me concentrer sur ce que je pouvais contrôler et tout ça a été super positif pour moi. Comme le dit Billie Jean King, “la pression est un privilège” et je trouve qu’on la ramène trop souvent à son aspect négatif.» 

En boutade, l’ancienne patineuse de vitesse (désormais ministre) Isabelle Charest m’a déjà lancé que ce n’était pas si compliqué de gagner des médailles. Qu’il fallait juste persévérer pendant que les autres lâchaient pour aller faire le party. C’était une blague, bien sûr, mais qui illustre néanmoins les défis auxquels doivent faire face les sportifs de haut niveau. Il semble impossible de viser les sommets mondiaux lorsqu’on ne fait pas corps avec sa discipline sept jours sur sept, 24 h sur 24. 

«Je dois admettre que, pendant une certaine période, il n’y avait aucun équilibre dans ma vie, concède Kim. Je dansais matin, midi et soir, et je n’étais pas présente aux soupers en famille. Aujourd’hui, quand je vois des jeunes vouloir autant que je voulais à l’époque, je me questionne sur l’aspect de la santé mentale et je me dis qu’on devrait privilégier la notion d’équilibre. Sauf que tous ceux et celles qui ont réussi autour de moi ont vécu la même chose. Alors, est-ce qu’on peut se rendre jusqu’au top sans sacrifices ? Sans pression ? Je ne sais pas… 

 

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– Le plongeon était devenu mon obsession, rappelle sans surprise Alexandre. À sept ans, je dormais vêtu de mon maillot et je regardais tous les vidéos de Greg Louganis, le meilleur au monde. À l’école, j’écrivais le nom d’Alexandre Louganis sur mes feuilles d’examen. Je ne pensais qu’au plongeon. Devenir le meilleur au monde était mon seul objectif. Je n’avais pas la tête à l’école et je n’ai jamais eu d’excellentes notes. Ma concentration était ailleurs et mes parents ont accepté ça. 

– J’étais aussi tellement passionnée par mon sport que je considère que ce qu’on appelle des sacrifices étaient en fait des choix, estime Chantal. Ce que je mangeais, l’heure à laquelle je me couchais, si j’allais au cinéma ou pas, tout était dicté par ma passion. J’avais du plaisir et je n’ai aucun regret aujourd’hui. Il m’est arrivé de coacher et j’avais beaucoup de difficulté à accepter que des jeunes n’aient pas le même feu que moi. Parfois, un d’entre eux me disait: “Je ne le sens pas aujourd’hui, je vais revenir demain.” Je pétais un plomb. Comment ça, tu ne le sens pas ? Vas-tu le sentir quand tu vas te faire planter sur la piste ? Je ne prétends pas avoir raison, mais je m’inquiète pour les futurs athlètes. Si on a des objectifs d’excellence, il faut comprendre qu’il n’y a pas 56 manières d’y arriver. Oui, mon rêve était ambitieux, mais il n’y avait qu’une seule voie pour m’y conduire: le travail.» 

Fort bien. Mais à partir du moment où la passion se transforme en obsession, un déséquilibre risque forcément de s’installer. L’école devient alors moins importante et on néglige un paquet d’aspects extérieurs au sport. J’imagine qu’on finit également par ressentir certaines carences, particulièrement lorsque l’heure de la retraite a sonné… 

«En effet, répond spontanément Alexandre. Le syndrome de l’imposteur se fait sentir. Je travaille dans le milieu des communications, je fais de la télé, de la radio; j’ai des connaissances qui proviennent de ce que j’ai vécu, mais je ne suis pas allé à l’école pour apprendre ce métier. Est-ce qu’il m’arrive de me demander si je suis à la bonne place ? Absolument, mais je dois me faire confiance. Si mon parcours scolaire n’était pas riche, mon parcours de vie est assez exceptionnel quand même. Les voyages, les cultures étrangères, les bonnes et moins bonnes journées, tout ça a contribué à faire ce que je suis devenu aujourd’hui. C’est un bagage qui va me suivre tout le temps.» 

Moments de découragement

N’empêche. On a beau aimer son sport, en faire une religion, s’abreuver à la victoire, il arrive sans doute de vivre certains moments de découragement, non ? Tout ne peut pas toujours être extraordinaire, à plus forte raison lorsqu’on ne vit que pour la gloire d’être au sommet. On pense ici aux blessures, évidemment, aux défaites aussi, mais dans le cas de Kim, c’est quelque chose de beaucoup plus insidieux qui a failli mettre fin à son rêve. 

«Un ancien mentor n’était vraiment pas correct avec moi, confie-t-elle. J’ai commencé à me poser des questions. Est-ce que j’arrête la danse ? Est-ce normal que ce climat soit si toxique ? Avec le recul, je constate à quel point j’ai été chanceuse d’avoir le soutien de ma famille et de mes amis, à ce moment-là. J’ai aussi décidé de déménager à Los Angeles, une démarche pour faire avancer ma carrière, mais aussi pour me détacher de cette personne-là. J’étais enfin libre, je pouvais respirer à nouveau. 

– De mon côté, j’ai eu plein de moments de découragement, avoue Alexandre, mais il y en a un auquel je pense toujours et qui est survenu lorsque j’avais 12 ans. À ma première compétition internationale avec des adultes, je me suis planté sans bon sens. Je suis revenu à la maison et j’ai annoncé à ma mère que j’en avais fini avec le plongeon. Elle m’a dit OK, sachant très bien que deux jours plus tard j’allais lui tirer la manche pour retourner à la piscine. Mais pendant ces deux jours-là, j’ai eu la certitude que le plongeon n’était pas fait pour moi. Apprendre à travers l’échec, c’est déterminant dans une carrière.» 

 

Le syndrome de l’imposteur se fait sentir. Je travaille dans le milieu des communications, je fais de la télé, de la radio ; j’ai des connaissances qui proviennent de ce que j’ai vécu, mais je ne suis pas allé à l’école pour apprendre ce métier. Est-ce qu’il m’arrive de me demander si je suis à la bonne place ? Absolument, mais je dois me faire confiance.
- Alexandre Despatie

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Accrocher son maillot

Et puis arrive un jour le moment redouté. Les blessures s’accumulent, le cycle olympique de quatre ans devient trop lourd, la vie nous appelle ailleurs, tout simplement. La retraite… dans la trentaine. C’est jeune pour aller jouer au golf tous les jours. 

«Je ne sais pas si c’est un vertige ou une espèce de vide, se questionne la sénatrice. Trouver quelque chose d’aussi passionnant est ce qu’il y a de plus déstabilisant. Je suis super contente de ce que je fais, mais ça demeure encore une quête. En même temps, avoir touché les plus hauts sommets de ma carrière durant ma trentaine, c’est ben correct aussi. Ça enlève de la pression: je l’ai fait. Maintenant, profitons du reste. 

– Pour ma part, la porte est presque fermée, mais pas à 100 %, avoue Kim. Ça me fait du bien d’aller ailleurs et d’endosser d’autres rôles – comme celui de conférencière, de chorégraphe ou de mentore –, mais c’est sûr qu’une ou deux fois par mois, je m’imagine en tournée avec un artiste international, à habiter dans les plus beaux hôtels et à voyager en jet privé. J’adore tout ce que je fais aujourd’hui, mais il n’y a rien qui se compare à ça. C’est hors catégorie. Je n’ai pas non plus envie d’être perçue comme la vieille danseuse qui passe audition après audition et qui n’essuie que des refus. Mieux vaut terminer sur un high. Un jardin, des poules et zéro réseaux sociaux à alimenter, des fois, je me dis que c’est ça que j’ai le goût de faire. Mon chum et moi, on part souvent en voyage en van [la fameuse VanLife], et quand le 3G ne fonctionne pas, ça me rend heureuse. Est-ce que ça pourrait devenir mon mode de vie permanent ? Parce qu’il l’a vécu un certain temps, mon amoureux me rappelle qu’on en vient rapidement à se demander quel est le but de notre existence. Et que peut-être les poules ne suffiront pas à m’occuper à moyen terme. 

– Ça va avoir l’air cliché, mon affaire, mais je me suis levé un matin et j’ai compris que c’était fini, affirme Alexandre. Je savais que je ne voulais pas faire un nouveau cycle olympique. J’ai tout de suite senti un poids de moins sur mes épaules. Puis j’ai appelé mes parents pour leur annoncer que c’était la fin. Ma mère était tellement contente ! Cela dit, après une carrière de 22 ans, je savais qu’entamer le deuxième chapitre de ma vie pourrait être étourdissant.» 

J’aurais eu envie de leur dire que je les comprenais, mais c’était impossible. Parce qu’à 16 ans, pour reprendre la boutade de mon amie ministre, j’ai préféré faire le party plutôt que de suer, de bûcher et d’apprendre à gérer la pression. Je ne regrette rien, mais si vous saviez à quel point j’admire le trio que j’ai eu la chance de rencontrer !

Leurs Actus

Alexandre Despatie est analyste pour les épreuves de plongeon et maître de cérémonie lors de différents événements. 

Kim Gingras est mentore à l’émission Parfaitement imparfait, à ICI TOU.TV. Son cours en ligne The Professional Dance Career Course, pour danseurs amateurs et professionnels, est maintenant offert sur son site kimgingras.com. 

En plus de ses travaux hebdomadaires au Sénat canadien, Chantal Petitclerc offre des conférences et participera à l’événement médiatique du Panthéon des sports canadiens, le 19 octobre prochain à Ottawa. 

Nous tenons à remercier le bar à vin BarBara pour son accueil chaleureux. barbaravin.com 

Photos : Martin Girard 

 

 

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