Ce n’est pas d’hier qu’on utilise les jardins pour le mieux-être des gens. Les racines du mouvement remontent jusqu’à la médecine égyptienne au temps des pharaons, alors qu’on recommandait une convalescence dans des jardins à ceux qui portaient les stigmates de la guerre.
Il a ensuite fallu patienter jusqu’au 18e siècle pour que l’horticulture thérapeutique revienne en vogue grâce aux travaux du médecin américain Benjamin Rush, l’un des pères fondateurs des États- Unis. Il a été le premier à documenter les effets curatifs du jardinage pour des patients aux prises avec des problèmes de santé mentale. Dans la foulée de ses observations, les espaces verts et les platebandes ont fleuri dans les milieux hospitaliers et ont notamment contribué à améliorer les soins aux vétérans de la Première Guerre mondiale.
Sortir l’hortithérapie de l’ombre
Aux États-Unis comme au Canada anglais, le terme employé pour parler des bienfaits de l’horticulture sur notre santé physique et mentale est l’«hortithérapie» (hortitherapy). Selon Gilles-Charles Clermont, directeur des Serres de Clara, un organisme communautaire de Saint- Jérôme, «l’approche américaine est plus structurée; elle répond à des objectifs cliniques préétablis et est encadrée par un professionnel formé à cet effet».
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la profession n’est pas reconnue ici comme elle l’est ailleurs au Canada grâce à l’Association canadienne d’hortithérapie (CHTA), un organisme situé à Vancouver et dont les communications s’effectuent – pour l’heure – seulement en anglais. Trouver un hortithérapeute dans notre bottin local serait donc aussi peu probable que de dénicher une aiguille dans une botte de foin.
Au Québec, en l’absence de certification officielle, on ne fait pas d’hortithérapie au sens strict du terme. Même que dans les milieux horticoles et communautaires – subventions obligent –, on est plutôt frileux à en parler sans l’encadrer de guillemets. Heureusement, une formule fait toutefois consensus auprès des divers paliers concernés: l’accompagnement par l’horticulture.
Cela dit, peu importe le florilège d’expressions utilisées pour décrire la chose (horithérapie, jardinothérapie, thérapie par l’activité horticole, accompagnement…), cette parenthèse lexicale met en lumière le fait que l’hortithérapie est plus répandue dans les milieux anglophones. Et elle nous permet de mieux comprendre pourquoi les Américains ont à peu près 25 ans d’avance sur nous en la matière.
Quand les projets prennent racine…
En admettant qu’on traîne un peu de la patte, ici comme ailleurs dans la francophonie, personne n’est planté là, les bras croisés, à regarder passer la parade. Même qu’en y regardant de plus près, on constate que certains programmes sont en place depuis longtemps. C’est le cas aux Serres de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas (IUSMD) où, depuis les années 80, des activités horticoles servent d’outil pour la réadaptation de patients à l’externe et à l’interne.
Plus à l’est, à l’emplacement des jardins communautaires adjacents à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), un projet piloté par Audrey Marineau et Célia Tainguy, ergothérapeutes au programme de troubles psychotiques de l’IUSMM, voyait le jour l’an dernier. En partenariat avec l’entreprise d’économie sociale Y’a QuelQu’un l’aut’bord du mur (YQQ) et avec l’appui financier de la Fondation de l’IUSMM, les deux collègues ont formé un groupe de volontaires, puis leur ont attribué un lot où travailler des objectifs personnels et collectifs afin de les rendre plus autonomes durant la suite de leur parcours.
… et qu’ils portent des fruits!
Le modus operandi, en ergothérapie, c’est d’être dans l’action pour comprendre et ressentir. «L’objectif est d’amener les individus à développer des capacités sociales, interactives et physiques au moyen des activités», précise Audrey Marineau, soulignant au passage que le jardinage est sous-exploité dans les processus de réadaptation et d’insertion sociale. «Ici, on travaille avec une clientèle qui présente des troubles psychotiques. Il n’est pas rare qu’ils aient aussi de mauvaises habitudes de vie (tabagisme, toxicomanie, alcoolisme), en plus d’être sédentaires. Jardiner répondait donc à un besoin nommé par les patients externes de la clinique et à notre souci de promouvoir un mode de vie sain.»
Pour cette poignée de participants (la plupart vivant seuls, sans soutien familial ou amical), les bienfaits du jardinage ont-ils été au rendez-vous? «Tellement!» s’exclame Audrey, une pointe de fierté dans la voix. Ce qu’elle a pu observer, au-delà d’une amélioration des capacités de chacun, ce sont les liens créés au fil des rencontres et les discussions qui se sont engagées sans être forcément amorcées par un intervenant. «Ces gens-là avaient hâte de se voir! Ils riaient beaucoup ensemble, alors qu’ils sont habituellement plus renfermés.»
Selon Audrey, le jardin est un excellent outil thérapeutique pour les gens qui se fixent des objectifs irréalistes et se disent déjà prêts à retourner au travail après un épisode psychotique. «À travers le jardinage, ils réalisent que c’est un processus qui exige du temps, de la préparation, de l’énergie. Autour d’eux, ils voient des potagers laissés à l’abandon, moins beaux et moins productifs que le leur. Et ça nous permettait de faire des parallèles avec ce qui se passe dans la vie», ajoute l’ergothérapeute.
Un tissu social en mode urbain
Technicienne horticole et formatrice, Mélanie Massonet a travaillé en jardinage collectif, social et urbain. Engagée dans le projet de revitalisation urbaine intégrée (RUI) du quartier Hodge-Place Benoît, à Saint-Laurent, elle y a animé des activités auprès de groupes multiethniques composés d’enfants, de mamans et de personnes âgées.
«Les résidents des immeubles à proximité attendaient avec impatience ces rencontres hebdomadaires, raconte-t-elle. Jamais il n’était question d’hortithérapie. C’était pourtant ce que je faisais: j’utilisais l’horticulture pour aider les gens à se sentir mieux dans l’action. Ça me permettait de briser l’isolement des aînés et de ramener dans la communauté des mères au foyer récemment immigrées, qui ne parlaient pas français et très peu l’anglais.» Qu’on soit jeune ou vieux, son message, c’est que tout le monde peut en bénéficier: «Jardiner, ça nous ramène à ce qui nous touche de plus près: la nature. C’est à ça qu’il faut revenir.»
Tout ça nous donne envie de passer à l’action? Un coup d’œil à la manne de projets horticoles débroussaillés par Google suffira à nous en convaincre. Le jardin, comme la quarantaine, nous aide à prendre conscience du temps qui passe. Et si, pour se remonter le moral – pouce vert ou pas –, on poussait l’audace jusqu’à se mettre les mains dans la terre? Un balcon, un pot, du terreau, un plant, de l’eau… et beaucoup d’amour. C’est à peu près tout ce qu’il faut.
Nuance horticole
COMMUNAUTAIRE VS COLLECTIF
«Les jardins communautaires qui se sont implantés dans les années 1970 regroupent plusieurs parcelles de terre; chaque famille y cultive la sienne de façon individuelle et à des fins récréatives», explique Gilles-Charles Clermont, directeur des Serres de Clara, lieu d’enracinement du jardin collectif de Saint- Jérôme. «Le concept de jardinage collectif est plus récent. Il est né à la fin des années 90 en réponse aux besoins de sécurité alimentaire. La culture se fait sur un grand lot, sans séparation, et les récoltes sont distribuées entre les participants.» Chapeautés par des organismes communautaires, ces jardins ont une mission avant tout sociale et éducative, afin d’aider les gens aux prises avec des difficultés socio-économiques à accroître leur autonomie alimentaire.
Jardins de soins
Architecte paysagiste, Stéphanie Desmeules a conceptualisé le projet de toit-terrasse du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), un jardin thérapeutique destiné aux personnes âgées en perte d’autonomie, au personnel soignant ainsi qu’aux familles des bénéficiaires. Sur son site Web d’esprit zen (stephaniedesmeules.com), elle précise que ce type d’aménagement est conçu dans l’intention d’améliorer la santé des utilisateurs. Les jardins thérapeutiques accompagnent les gens fragilisés par des maladies chroniques et dégénératives, des troubles mentaux et de la sénescence. Ils constituent un outil de choix dans l’atteinte d’objectifs pédagogiques et de mieux-être.
Les jardins dits «sensoriels» ont aussi des propriétés thérapeutiques. Dans ceux-ci, il est permis, voire encouragé, de toucher aux plantes, de sentir, de goûter, d’observer, d’écouter. Plus nos sens sont investis, plus la connexion est réussie. Ces environnements adaptés aux enfants vivant avec le trouble de l’autisme foisonnent au pays de l’Oncle Sam.
À lire aussi:
- Pourquoi est-ce important de décrocher du travail?
- S’aimer enfin grâce à l’autocompassion
- Et si on arrêtait de se sentir coupable?
Photo: Stocksy