La bienveillance a la cote!

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14 Sep 2019 par Véronique Alarie
Catégories : Psycho / Véro-Article
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Depuis quelques années, on prêche la bienveillance dans tous les secteurs: culture d’entreprise, médias sociaux, éducation, développement personnel... D’où vient cet engouement actuel?

Bienveillance. Un mot qu’on n’a jamais autant prononcé que depuis quelques années. Nombreux sont ceux qui l’ont même ajouté à leurs souhaits usuels de bonne année, en plus des traditionnels vœux de «santé», «amour», «paix», «succès dans tes études» et autres «p’tit chum» ou «p’tite blonde».

En 2018, le terme «bienveillance» a littéralement été couronné du titre officiel de «Mot de l’année», les internautes consultés par les Éditions Le Robert l’ayant préféré aux très tendance «climat» et «diversité»! Dans une entrevue au quotidien français Le Figaro, Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale des Dictionnaires Le Robert, l’a expliqué ainsi: «Le mot “bienveillance” fait une percée spectaculaire depuis quelques années. […] On s’est aperçu que sa courbe suivait très exactement celle du développement des réseaux sociaux, en réaction à la haine véhiculée par ces nouveaux moyens d’échanges. Ce terme est devenu un bouclier à la rancœur et à la haine déversées sur ces plateformes.» Un peu comme si, en prônant la bienveillance, on tentait de transcender notre colère collective en quelque chose de plus lumineux.

Bestsellers et autobienveillance

Or, qu’entend-on au juste par «bienveillance»? Pour Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, il s’agit d’une «prédisposition affective qui vise à vouloir le bonheur et le bien d’autrui».

Ça peut sembler bien simple. Pourtant, les ouvrages explicitant le sujet abondent: De la proche aidance à la bienveillance, de Marguerite Blais et Rosette Pipar (Éditions Marcel Broquet); Éloge de la bienveillance, de Jasmin Roy (Éditions Michel Lafon); Body bienveillance, de Rebecca Scritchfield (Marabout); Se séparer sans se détester: comment rompre avec bienveillance, de Katherine Woodward Thomas (Édito), Tout nu! – Le dictionnaire bienveillant de la sexualité, de Myriam Daguzan Bernier (Éditions Cardinal)… Sans oublier une multitude de petits cahiers d’exercices ludiques envahissant les librairies et nous proposant d’aiguiser notre bienveillance à l’égard des autres et de nous-mêmes.

Car l’autobienveillance aussi a la cote! Dans son essai On ne peut plus rien dire (Éditions Cardinal), la journaliste Judith Lussier rapporte que, selon un récent sondage, 72 % des usagers de l’application bien-être Shine faisaient de l’autobienveillance et de leur bonne santé mentale leurs résolutions pour 2019. Une attitude on-ne-peut-plus-normale, estime Christine Grou: «Ce n’est pas le fruit du hasard! Les gens sont débordés, souffrent de dépression, de troubles anxieux. C’est précisément parce que les attentes envers les individus sont si élevées qu’on s’est mis à parler un peu partout d’autobienveillance ces dernières années. On a un réel besoin de se rappeler de prendre soin de nous- mêmes.»

Une nouvelle culture d’entreprise

Par ailleurs, à l’heure où les troubles de santé mentale au travail pullulent et où les exigences envers les salariés atteignent des sommets, une nouvelle école de pensée mise de l’avant par le médecin et gestionnaire français Philippe Rodet dans l’ouvrage Le management bienveillant (Éditions Eyrolles) marque elle aussi des points. Des exemples de mesures concrètes appliquées dans les entreprises qui prônent un management bienveillant? Le droit à la déconnexion en dehors des heures de travail, des fonctionnalités bloquant systématiquement tout courriel entrant durant les vacances, des mesures facilitant le télétravail, des horaires flexibles ou encore un suivi en santé mentale offert à tous les employés.

«Plus une personne trouve du sens à son travail, plus elle dispose d’autonomie, plus elle est reconnue, plus elle développe des émotions positives, est impliquée et fait preuve de créativité, expliquait Philippe Rodet dans le magazine Psychologies en 2016. La bienveillance [au travail] participe à la réduction du stress, des tensions et de l’absentéisme. Le salarié et l’entreprise sont gagnants, et le manager aussi: en termes de santé, lorsqu’on fait quelque chose pour les autres, on se protège soi-même, on est plus heureux, moins stressé.»

Éduquer par la bienveillance

La bienveillance connaît également son heure de gloire au sein de la cellule familiale, comme l’illustre l’intérêt grandissant pour l’éducation dite bienveillante (aussi appelée «parentalité positive»), promue à grands coups de conférences, d’ateliers et, on l’aura deviné, d’une pelletée d’ouvrages qui en découlent. Mise de l’avant par le chercheur américain Martin Seligman et la psychothérapeute française Isabelle Filliozat, l’éducation bienveillante vise entre autres à exercer l’autorité parentale avec douceur, à communiquer de façon respectueuse ainsi qu’à valider les émotions ressenties par les enfants.

Ce n’est pas tout. L’école aussi cherche à stimuler la bienveillance chez les jeunes. Créé à Toronto en 1996, le programme parascolaire Roots of Empathy (Racines de l’empathie) a pour mission de créer un lien entre des poupons et les élèves d’une classe durant l’année scolaire. En recevant mensuellement la visite de leur bébé attitré et de ses parents, les écoliers dévelop- peraient leur bienveillance non seulement à l’égard de leur petit protégé, mais également de leurs compagnons de classe. Offert un peu partout au Canada ainsi que dans plusieurs autres pays (Allemagne, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis), Racines de l’empathie aurait permis de faire diminuer l’intimidation dans les écoles qui y ont recours. Dans son ouvrage The Power of Kindness (Harper Collins), le médecin Brian Goldman rapporte pour sa part que le programme aurait contribué à réduire de 15 % à 8 % la fréquence des bagarres chez les élèves!

Des leaders positifs

«C’est la démocratie même qui est en jeu. […] La bienveillance est en jeu», déclarait le président Barack Obama aux Américains avant l’élection de son successeur Donald Trump, en 2016. À l’heure où la bienveillance investit les discours à la nation, elle est plus que jamais politique et permet aux leaders de se distinguer.

Chez nous, la députée Manon Massé, dont c’est un peu la marque de commerce («Les jeunes l’adorent; elle accueille les orphelins politiques. […] Elle est bienveillante, elle a du cœur», écrivait Marie-France Bazzo à son sujet dans L’actualité en septembre dernier), n’a-t-elle justement pas fait une percée inattendue avec le parti Québec Solidaire aux dernières élections provinciales?

Même hors de l’arène politique, nombreuses sont les personnalités publiques qui adoptent une posture semblable. Outre les nombreux influenceurs qui font un usage effréné du mot- clic #Bienveillance sur Instagram, citons l’exemple de l’animatrice et humoriste américaine Ellen DeGeneres, qui utilise sa notoriété pour promouvoir la bienveillance envers les gens dans le besoin et qui conclut chacune de ses émissions avec sa célèbre formule Be kind to one another (qu’on pourrait traduire par «Soyez bienveillants les uns envers les autres»).

L’actrice et animatrice Marina Orsini – qui, jusqu’au printemps dernier, terminait son émission matinale avec un message semblable («N’oubliez pas de sourire à quelqu’un aujourd’hui!») –, expliquait récemment au magazine Bel Âge combien la bienveillance était au cœur de son quotidien: «Avoir de la bienveillance pour les autres, on ne sait pas quel impact ça peut avoir. La personne à qui tu viens de sourire en la croisant pensait peut-être à aller se jeter en bas d’un pont. Il faut toujours essayer de se mettre dans les souliers de l’autre. […] On a besoin de se rappeler l’importance de la bienveillance, tous les jours.»

Au cœur de l’enfance

Autre exemple probant: celui de l’Américain Fred Rogers, qui a animé de 1968 à 2001 l’émission de télé Mister Rogers’ Neighbourhood pour les tout-petits. Ce grand pédagogue croyait profondément au pouvoir éducatif de la télévision publique et a consacré sa vie à enseigner la bienveillance aux enfants d’âge préscolaire en leur offrant chaque jour à l’écran un modèle d’acceptation et d’empathie.

Son discours bienveillant et inclusif résonne encore et touche à quelque chose de viscéral dans l’imaginaire collectif. La preuve? L’an dernier – pas moins de 15 ans après sa mort –, le documentaire Won’t You Be My Neighbour?, qui se penche sur son œuvre, a remporté un immense succès, tant public que critique. Ce regain de popularité a été tel qu’on a recommencé à diffuser d’anciens épisodes de son émission sur le Web (misterrogers.org/watch).

Parmi les nombreux enseignements qui lui ont survécu, notons cette citation, qui nous rappelle à quel point nous gagnerions tous à cultiver la bienveillance: «Imaginons ce à quoi ressembleraient nos milieux de vie si nous parvenions, le plus naturellement du monde, à avoir des paroles bienveillantes les uns pour les autres.» À méditer encore et encore. Au travail, à la maison, en solo…

 

*** La bienveillance

À trop entendre parler de bienveillance, des voix discordantes retentissent depuis peu pour en décrire les limites. On pense notamment au philosophe français Yves Michaud, auteur de l’essai Contre la bienveillance (Éditions Stock), où il s’insurge contre «la tyrannie des bons sentiments», liée selon lui au fondamentalisme religieux, au populisme et à la mauvaise gouvernance… Dans un article paru en 2017 dans la revue Science Humaines, le sociologue français Jean-François Dortier nuance toutefois ce point de vue et souligne pour sa part qu’«il reste, en dépit des critiques, que le développement des débats à son sujet nous rappelle une chose essentielle: aucun être humain, aucune société ne saurait se passer de bienveillance. Un monde sans gentillesse, sans prévenance, sans bienveillance n’est pas viable».

*** Un manque de repères?

Dès qu’on aborde la question de la bienveillance, on utilise souvent des termes corollaires – «indulgence», «compassion», «empathie», «altruisme» –, qui ne sont pas sans évoquer notre fond judéo-chrétien bien ancré. La bienveillance serait-elle la version moderne de la bonne vieille «charité chrétienne»? Un repère vaguement spirituel auquel on aurait tendance à s’accrocher? Oui… et non, répond Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec: «On trouve la bienveillance dans les valeurs fondamentales du christianisme, c’est vrai, mais pas uniquement là! Elle est à la source de bien des cadres conceptuels religieux, comme le judaïsme, le bouddhisme… Et si, au Québec, on
ne s’associe plus majoritairement au cadre judéo-chrétien, il ne faut pas croire pour autant que nous avons perdu tout système de valeurs!» Comme quoi la bienveillance n’est pas forcément synonyme d’allégeance…

*** Plus bienveillants que jamais!

Bonne nouvelle: contrairement à ce que nos perceptions peuvent nous indiquer, l’humain n’a jamais été aussi bienveillant qu’actuellement! C’est du moins ce qu’écrit le chercheur en génétique cellulaire et moine bouddhiste Matthieu Ricard dans son Plaidoyer pour l’altruisme – La force de la bienveillance (Éditions du Nil), paru en 2013: «L’altruisme, la coopération et l’entraide [sont] beaucoup plus présents dans la vie quotidienne que ne le suggèrent les médias et les préjugés en vigueur. […] La violence individuelle et collective [homicides, châtiments corporels, violence domestique ou institutionnalisée, esclavage…] n’a pas cessé de diminuer depuis un millénaire, et tout particulièrement depuis 60 ans. Cette conclusion est le fruit d’investigations précises et de grande ampleur menées par plusieurs équipes de chercheurs au cours des 30 dernières années.»



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