La santé par la poupée?

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30 Mar 2022 par Isabelle Marjorie Tremblay
Catégories : MSN / Psycho / Santé / Véro-Article
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Selon plusieurs professionnels de la santé aux quatre coins du monde, la poupée-bébé en vinyle thérapeutique permettrait de diminuer la prescription d’antipsychotiques chez certains patients... Explications.

Imaginons la situation suivante: un homme âgé, atteint de la maladie d’Alzheimer, se sent seul. Il est anxieux et agité. Une intervenante du centre où il séjourne vient déposer Léa, enroulée dans une couverture, dans ses bras. Le résident la prend doucement. Il replace son petit bonnet, il la berce, la cajole. De vieux souvenirs émergent dans l’esprit de l’homme qui se met à raconter de beaux moments de son enfance, tout en couvrant Léa pour éviter qu’elle prenne froid. Après quelques minutes, les rides de l’homme se détendent. Calmé et plus serein, il retrouve le sourire… avec le sentiment du devoir accompli.

Qui est donc cette Léa au pouvoir apaisant? Une poupée thérapeutique. Ce n’est surtout pas un jouet qu’on laisse traîner sur une table ou un canapé, tête renversée. C’est plutôt un outil de travail utilisé en complément à d’autres soins. Il paraît même qu’elle ferait littéralement de petits miracles! «Sans exagérer, je dirais que Léa est pour nous un membre de la famille dans notre résidence», affirme Louise Sutterlin, directrice générale de la Société Alzheimer Laval.

«À la Maison Francesco Bellini, nous avons 10 résidents atteints de la maladie à différents degrés. L’équipe d’intervenants utilise plusieurs moyens pour les valoriser, les stimuler et réduire leur anxiété. L’utilisation structurée et ponctuelle de Léa fait partie de nos pratiques les plus efficaces», témoigne pour sa part Fanny Berthiaume, coordonnatrice à la Maison Francesco Bellini.

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«On dirait un vrai bébé!»

Ce qui fait son succès? Son style hyperréaliste. Ces poupées ressemblent à s’y méprendre à de vrais bébés. Même le poids et l’odeur rappellent ceux d’un poupon. «Je suis infirmière depuis 38 ans et je m’intéresse à l’usage de ces faux bébés depuis 8 ans, explique Louise Vendette, qui a publié en 2020 L’approche par la poupée pour enfants et personnes aînées vivant en CHSLD (Éditions Crescendo). Le jour où j’ai acheté une poupée pour en mesurer les effets sur mes patients aînés, ce que j’ai vu m’a chamboulée. Ils étaient soudainement émerveillés. On devrait pouvoir trouver une poupée médicale dans chaque CHSLD et résidence pour aînés. C’est mon plus grand rêve! Dans un contexte de pandémie, par exemple, qui a exacerbé le sentiment d’isolement chez les aînés, ç’a été un outil extraordinaire!»

Préposé aux bénéficiaires depuis 10 ans, François Chartrand utilise d’ailleurs les poupées thérapeutiques depuis un an avec des personnes âgées. «J’avoue que j’étais perplexe quand j’ai vu ça arriver à mon étage. J’ai fait le saut! On ne veut surtout pas infantiliser les aînés, au contraire! Mais aujourd’hui, je vois les choses différemment. Une résidente de 90 ans que j’apprécie beaucoup se sent souvent seule et agitée avant l’heure du souper, alors que moi, je suis pas mal occupé. Si on lui donne la poupée 30 minutes avant le repas, elle se détend tout de suite. Quand je vois ça, je me dis… pourquoi pas? La poupée améliore la qualité de vie de ces personnes et ça nous accorde du temps durant nos journées chargées», confie-t-il.

Les personnes atteintes de pathologies neurologiques sont anxieuses, elles crient et pleurent souvent. Mais dès qu'elles ont le bébé dans leurs bras, les cris s'arrêtent. - Pauline Hervieu, psychologue

«Personnellement, je trouve plus troublantes les poupées des grands magasins, qui ont le regard fixe et hagard, mentionne Louise Vendette. Elles sont souvent trop maquillées et très légères. Les poupées thérapeutiques que je fabrique, elles, pèsent environ quatre livres. Je reçois un paquet avec toutes les parties du corps, puis je les assemble, je les peins et je les mets au four entre 15 et 18 fois! J’appose moi-même les grains de beauté, j’insère les yeux, je couds les cheveux et les cils. J’y consacre une journée ou deux. Pour moi, c’est plus qu’un travail artistique, c’est un projet humanitaire. Je sais que chaque poupée va procurer du bien-être à quelqu’un», explique celle qui en a déjà vendu près de 300 au Québec (dolltherapy.ca).

«J’ai d’abord implanté cette activité à l’Hôpital Sainte-Anne, le CHSLD où je travaille, précise Mme Vendette. Nous avons sélectionné des résidents consentants et nous leur avons présenté deux poupées-bébés, une aux yeux ouverts et l’autre aux yeux fermés. Une poupée aux yeux fermés suggère le repos et donne envie de bercer. Quant à celle aux yeux ouverts, les résidents peuvent l’habiller et changer sa couche. C’est plus actif. Au départ, il y a eu quelques réticences, mais de fil en aiguille, je dirais que la réaction est devenue positive à 95 %.»

Si cette approche non pharmacologique est encore embryonnaire au Québec et au Canada, elle est toutefois appliquée depuis plus de 30 ans en Europe et aux États-Unis. «Chez nos voisins du Sud, par exemple, il existe plusieurs Salons de bébés de collection et des poupées thérapeutiques y sont exposées par toutes sortes de professionnels de la santé. C’est le bon endroit pour faire connaître cette pratique de soins complémentaires. J’espère y aller un jour!» lance Louise Vendette.

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Chez les tout-petits

En France, la poupée médicale a reçu l’aval de plusieurs groupes de psychologues. Dans un article publié en janvier 2020 dans le magazine La renaissance, la psychologue Pauline Hervieu n’a que de bons mots à l’égard de cette méthode: «Les personnes atteintes de pathologies neurologiques sont anxieuses, elles crient et pleurent souvent. Mais dès qu’elles ont le bébé dans leurs bras, les cris s’arrêtent.»

«La présence de Bella apporte beaucoup de réconfort dans ma classe», affirme pour sa part Marie-Claude Lefebvre, enseignante en maternelle quatre ans au Centre de services scolaire des Grandes-Seigneuries. Dans son groupe, il y avait deux enfants avec un trouble du spectre de l’autisme, et deux autres présentant un déficit d’attention. «Nous avions déjà un lézard lesté apaisant et une marionnette-amie à qui les enfants peuvent se confier, dit-elle, mais la poupée thérapeutique Bella est venue procurer un effet calmant immédiat durant les crises.»

En classe comme ailleurs, l’usage doit être judicieux: Bella est toujours près du bureau de l’enseignante, dans un coin en retrait. Un sablier sert de minuterie. Le temps d’utilisation est limité et les enfants doivent obtenir une autorisation pour aller la voir. «Une fillette vivait des choses difficiles à la maison, raconte l’enseignante. Dans la classe, elle s’accordait des moments pour tout raconter à Bella, ce qui lui permettait ensuite de se concentrer sur les exercices pédagogiques. Elle se libérait ainsi de beaucoup de tensions.»

Et à la maison, on procède comment? Selon Louise Vendette il est essentiel d’en faire un usage calculé. Son livre sert d’ailleurs de guide à cet égard: «J’y fais mention de divers examens possibles pour évaluer l’état mental des utilisateurs. Ça permet de comprendre les relations qu’ont eu les gens avec les bébés dans leur vie, par exemple. Il existe aussi des approches en groupe. Dans un contexte privé, c’est différent. Je recommande toutefois aux parents de bien se préparer avant d’utiliser la poupée thérapeutique, de choisir un endroit désigné et d’en limiter le temps de manipulation. Il faut créer une routine autour de son usage, précise l’infirmière. Une poupée-bébé pourra faciliter le coucher et même préparer un tout-petit à l’arrivée d’un deuxième enfant dans la famille.»

Photo de couverture : Stocksy

Photos dans le texte : Stocksy et Pexels

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