Langueur: un nom pour décrire ce qu’on ressent depuis la pandémie

langueur
17 Nov 2021 par Chantal Tellier
Catégories : MSN / Psycho / Santé
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Plus d’un an et demi après l’apparition de la pandémie de COVID-19, alors qu’on attend toujours un retour à la vraie de vraie normalité, un sentiment de stagnation et de vide – la langueur – semble nous habiter.

On en discute avec Rose-Marie Charest, psychologue et conférencière.

Qu’est-ce que la langueur?

C’est une baisse d’énergie émotive, une fatigue psychique. Ça n’a rien de dramatique en soi. Le problème, c’est quand ça s’étire dans le temps. Ça fait en sorte qu’on n’est pas dans l’action, qu’on ne se projette pas beaucoup. On éprouve un sentiment de lassitude. Même le terme «langueur» sonne comme ça: c’est long, c’est lent, c’est lourd. Sur le plan physique, on sait que pour avoir de l’énergie, il faut bouger. On est tous habitués à ce concept-là. Mais on n’y est pas habitués sur le plan psychologique. Pourtant, c’est la même chose. Si on veut être enthousiaste, il faut faire des projets, être dans l’action. Or, ça fait un an et demi que nous ne sommes pas dans l’action (du moins, une bonne partie des gens), que nous sommes coupés de nos proches, que nous vivons avec des restrictions de toutes sortes et que nous ne pouvons pas planifier grand-chose. Il est normal que ça ait des répercussions.

Comment savoir si on souffre de langueur? Quels sont les symptômes ou les signes à surveiller?

On a l’impression de faire du surplace – ou, dans le meilleur des cas, d’avancer très lentement – et de voir les choses à travers une espèce de brouillard mental. On a de la difficulté à se concentrer, on manque de motivation.

Pourquoi est-ce que ça se manifeste davantage maintenant?

Au début de la pandémie, on était en mode combatif, on devait mettre en place des stratégies pour arriver à fonctionner malgré la COVID. On pensait qu’on reprendrait nos activités après trois semaines, puis on a pensé que ça irait mieux au bout de quelques mois. Mais ça ne s’est pas avéré. Et il y a une partie de nous qui est désabusée, qui ne croit plus vraiment que ça va arriver. L’angoisse des débuts a fait place à une espèce de torpeur, qui s’est installée insidieusement. Comme les symptômes ne sont pas forcément aigus, on ne s’en rend pas toujours compte et c’est ce qui peut devenir dangereux. On remarque peut-être qu’on a moins de plaisir ou d’énergie, mais on arrive encore à remonter à la surface. Cet état d’esprit prend cependant de plus en plus de place, et certaines personnes auront tendance à en souffrir plus, à s’isoler davantage et à tomber dans le cercle vicieux qui fait que moins on en fait, moins on a envie d’en faire.

S’agit-t-il d’une dépression?

Sûrement pas dans tous les cas. Car la dépression suppose une réelle difficulté de fonctionnement. Sur le spectre allant de la dépression au bien-être, la langueur se situe généralement entre les deux. Quelque part entre la dépression et l’épanouissement. L’absence de joie, le calme trop plat, une certaine léthargie. Celui ou celle qui éprouve de la langueur ne présente pas l’intensité des symptômes de la dépression, mais il ou elle n’a pas non plus son niveau habituel d’énergie. Beaucoup de gens peuvent se retrouver actuellement dans cet état de langueur et, sans être en dépression, ils ne sont pas heureux non plus.

À quoi peut-on attribuer la langueur et quels en sont les effets?

Depuis le début de la pandémie, plusieurs de nos besoins sont insatisfaits. Or, pour atteindre un certain bien-être, nos besoins fondamentaux doivent être satisfaits. L’autonomie, par exemple, qui répond au besoin de pouvoir prendre ses propres décisions; la compétence, qui répond au besoin de se sentir efficace; et enfin l’appartenance sociale, qui répond au besoin de se sentir connecté et soutenu par d’autres personnes.

Ces trois besoins ont été malmenés depuis le début de la pandémie à cause des mesures sanitaires, de la distanciation sociale, du télétravail, de tous les bouleversements qui sont survenus. La pandémie a diminué le spectre des choix auxquels on avait accès par rapport à notre santé, à nos relations familiales, à nos projets professionnels, à nos loisirs. Je pense aux gens qui voulaient avoir un enfant cette année et qui ont reporté ce projet, aux couples qui désiraient se marier et qui ont dû décaler la cérémonie ou, pire, aux personnes qui n’ont pu célébrer la fin de vie d’un proche et ainsi amorcer leur deuil. Ce ne sont là que quelques exemples. En ce moment, on est dans l’attente, on ne sait pas quand tout rentrera dans l’ordre. Forcément, ça influence notre humeur et notre façon d’être. La langueur entraîne aussi une baisse d’estime de soi. Parce qu’une des conditions essentielles au fait de s’aimer soi-même, c’est l’action qui nous renvoie un sentiment d’efficacité. Et que dire des contacts avec ceux qui nous renvoient une image positive de nous-même? Tout ça nous est refusé depuis un moment.

Comment gérer ce sentiment de stagnation?

Une des meilleures stratégies pour gérer les émotions, c’est de leur donner un nom. Nommer la langueur est donc un excellent premier pas. Et ça permet de nous rendre compte qu’on n’est pas seul à ressentir cet état. La pandémie a généré de grandes pertes pour tout le monde. Pour dépasser le stade de la langueur, il faut commencer par de petites choses. C’est une bonne idée de prendre du recul pour réfléchir à nos besoins qui ne sont pas satisfaits et de poser des petits gestes dans différentes sphères de notre vie. Ainsi, on repart la roue. Si tout était redevenu possible, on ferait quoi? Juste de prendre le temps d’y penser nous place dans un nouvel état d’esprit qui permet de faire les premiers pas vers nos objectifs. C’est le temps d’envisager des projets et de les mettre en branle, même si on ne peut pas les réaliser en ce moment. Ça peut nous reconnecter avec nos motivations les plus profondes et notre propre essence.

Concrètement, ça signifie qu’il faut se réserver du temps chaque jour pour se concentrer sur un choix à faire – un projet intéressant, un objectif atteignable, une conversation avec un proche. Ce petit pas peut nous amener à redécouvrir l’énergie et l’enthousiasme qui nous ont manqué pendant tous ces mois. Ensuite, il faut trouver de nouveaux défis à relever, des expériences agréables qui viennent agrémenter le quotidien. Pour renouer avec le plaisir de vivre, on s’accorde du temps durant lequel on peut pratiquer une activité qui nous plaît: lecture, jardinage, discussion entre amis, promenade dans un parc…

Le retour à la normale viendra-t-il à bout de cette léthargie?

On a peut-être idéalisé la normalité. Il faut se rappeler qu’avant le début de la pandémie, tout n’était pas parfait dans notre vie. Et le retour à la «normale» ne sera pas magique non plus. On peut se demander comment en profiter pour changer les choses qui ne fonctionnaient pas auparavant. Le retour sera plus difficile pour certaines personnes, par exemple celles qui souffrent d’anxiété sociale et qui ont perdu durant la pandémie les habiletés qu’elles avaient réussi à développer avant. La pandémie leur a permis d’éviter ce qui était compliqué pour elles et leur retour à la «normale» sera donc plus exigeant. Je pense aussi au travail. Alors que certaines personnes retrouveront vite leur rythme au bureau, d’autres n’y arriveront pas aussi facilement et ça pourrait créer des frictions. On ne retrouvera pas le monde d’avant exactement comme il était. Là encore, il faudra s’adapter.

À propos de la langueur, quand devrait-on chercher de l’aide?

Si on ressent une profonde tristesse, une forte baisse d’énergie, qu’on ne se reconnaît plus, qu’on note des changements dans notre sommeil ou notre appétit, qu’on n’arrive pas à accomplir ce qu’on a envie de faire ou qu’on n’a envie de rien, qu’on n’éprouve plus de plaisir et qu’on n’arrive plus à se reposer, on devrait songer à demander de l’aide. Ce sont des signes qui montrent qu’on a quitté l’état de langueur et qu’on se dirige vers quelque chose de plus sévère. Il ne faut pas non plus mettre tous nos problèmes sur le dos de la pandémie et penser que le retour à la normale règlera tout ça. On doit commencer à retrouver notre bien-être dès maintenant.

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  1. Gisèle dit :

    C’est exactement ce que je ressens de la langueur.

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