Il y a souvent de grands défis à relever dans une relation mère-fille, mais quand on arrive à les surmonter, on y trouve beaucoup de bonheur.
Notre mère et nous
Les relations difficiles avec notre mère sont-elles une fatalité? Non, ce n’est pas une fatalité, bien qu’il s’agisse une relation très particulière. Le caractère de chacune va forcément influencer le déroulement des échanges. Par exemple, un tempérament explosif risque de l’être encore plus dans une relation mère-fille, car ce type de lien complexe est très chargé émotivement. À l’inverse, deux hypersensibles verront des remarques douloureuses là où d’autres personnalités plus rationnelles les considéreront comme tout à fait anodines. Il y a souvent de grands défis à relever dans une relation mère-fille, mais quand on arrive à les surmonter, on y trouve beaucoup de bonheur.
Pourquoi les mésententes sont-elles plus intenses avec notre mère qu’avec n’importe qui d’autre? Notre mère est la personne dont on est le plus proche, du moins au début de la vie. On recherche forcément son approbation. Or, dans le processus qu’une fille entreprend pour devenir une femme, elle se distancie de sa mère, fait ses propres choix et s’installe graduellement dans une façon d’agir qui est sienne. L’enjeu est donc de trouver la bonne distance qui nous permet à la fois de nous identifier à notre mère et de nous en séparer. Autrement dit, on veut être influencée par elle, mais on ne veut pas être dominée. On veut lui plaire, mais on ne veut pas lui obéir. On veut être proche, mais on ne veut pas de lien fusionnel. On veut sa vie à soi.
Qu’est-ce qui cause les mauvaises relations entre mère et fille? Une incompréhension mutuelle? Des attentes déçues? On peut bien sûr avoir des relations difficiles avec d’autres membres de notre famille, mais quand c’est la relation avec notre mère qui achoppe, ça fait plus mal. Plusieurs facteurs sont ici en cause. Notre sensibilité en miroir en est un: si elle souffre, ça nous énerve parce que notre sensibilité à sa douleur nous fait souffrir. Si elle est heureuse sans nous, on se sent abandonnée, on sent qu’elle n’est plus la mère entièrement disponible sur laquelle on pouvait compter. Si elle est trop heureuse de nous voir, on se sent obligée envers elle. On est contente quand elle nous aide, mais il ne faut pas qu’elle nous aide «trop», car on se sent alors envahie. Bref, si la relation mère-fille n’est pas facile pour la fille, elle ne l’est pas non plus pour la mère!
Réagir aux critiques
Pourquoi notre mère nous critique-t-elle? Parce qu’elle sent que c’est sa responsabilité. Dans l’expression «élever un enfant», il y a le mot «élever», c’est-à-dire propulser, rendre meilleur. Dans l’esprit de la mère, la critique a un but: que sa fille soit plus heureuse, qu’elle s’améliore… selon ses standards maternels, bien sûr. La mère qui critique beaucoup nourrit des ambitions pour sa fille. Elle veut qu’elle soit irréprochable, performante, aimée. Ses critiques peuvent aussi résulter de sa propre anxiété: elle a tellement peur que sa fille soit jugée par d’autres et elle veut tellement la préserver des coups qu’elle les porte elle-même en se disant que, venant d’elle, ça fera moins mal.
A-t-elle le droit de nous critiquer? Le fait qu’elle ait un lien aussi intime avec nous peut effectivement lui permettre de nous aider à voir plus clair. On n’a cependant pas à tolérer qu’elle passe des commentaires blessants, surtout si on ne lui a pas demandé son avis. Être notre mère ne lui octroie pas toutes les libertés, mais il se peut qu’elle ait tendance à l’oublier, à plus forte raison si elle exerce un grand pouvoir sur nous depuis l’enfance. À ce genre de réplique qu’elle nous assène: «Si c’est pas moi qui te le dis, ça sera qui?», on peut répondre: «Personne, car ce que tu me dis là, ça me blesse.»
Pourquoi son jugement nous importe-t-il autant, même quand on est devenue adulte? Peut-être parce qu’on lui reconnaît encore une autorité et que, parfois, on lui fait davantage confiance qu’à nous-même. Mais lorsqu’il s’agit de nos choix, c’est à nous qu’il faut apprendre à faire confiance. Cela dit, si on a toujours consulté notre mère pour obtenir son approbation, ce serait de la mauvaise foi de dire qu’elle «se mêle de tout». On l’a peut-être laissé s’immiscer dans nos décisions bien plus qu’on pense. Se détacher de sa mère, ce n’est pas seulement habiter sous un autre toit, c’est aussi apprendre à décider par nous-même. Il faut que la mère laisse sa fille faire ses propres expériences (et erreurs), et il faut que la fille fasse ses expériences (et erreurs) même si sa mère n’est pas d’accord.
Comprendre la femme au-delà de la mère
La clé pour des rapports plus sains est-elle entre nos mains ou est-ce plutôt à notre mère d’essayer de rendre nos relations plus harmonieuses? Notre mère, c’est avant tout une femme avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts, des connaissances poussées ou limitées, un bagage d’expériences plus ou moins lourd. Elle a droit à certaines incompétences, comme tout être humain. Être notre mère est une des facettes de sa vie; elle se construit en tant que mère tout comme elle se construit en tant que femme durant toute son existence. Elle se développe à sa façon, qui peut être très éloignée du modèle de mère qu’on idéalise. Il se peut aussi qu’on ne réponde pas à ses attentes ou à l’image qu’elle s’était faite de nous. Il faut donc permettre à chacune d’être elle-même et de trouver un territoire commun où on se sent bien toutes les deux.
Quand le canal communication est fermé, on fait quoi? On endure ou on prend nos distances? Si discuter avec notre mère des choses qui nous irritent crée plus de malaise que de bien-être, on suspend les discussions. On ne peut pas toujours satisfaire notre désir d’avoir des conversations en profondeur: on prend ce que notre mère est en mesure de nous donner.
Notre fille et nous
«C’est ben du trouble, une mère!» lance tout à coup notre fille de 12 ans. Les bras nous en tombent. Est-on mutuellement programmées pour se taper sur les nerfs? Non, bien que certaines réactions émotives soient fondamentalement humaines. Comme je l’ai déjà mentionné, le caractère de chacune influence fortement les relations entre une mère et sa fille. Plus vous vous occupez de votre préado, plus elle vous trouve compliquée. Cela dit, il faut lui rappeler qu’apprendre à vivre, oui, c’est du trouble, et que dans cet apprentissage, elle doit composer avec les règles, l’affection et les souhaits de ses parents. Il faut la rassurer aussi: comme elle partage plus d’intimité avec nous, c’est normal que ce soit avec nous que les relations soient plus compliquées.
Comment peut-on éviter de reproduire avec notre fille les relations houleuses qu’on a eues avec notre mère? D’abord, en commençant par nous demander ce qu’on voudrait reproduire, justement. Il y a sûrement eu de très bonnes choses dans nos rapports avec notre mère, dont certaines qu’on comprend mieux maintenant qu’on est mère à notre tour. Ensuite, en se rappelant les irritants qui nous fâchaient tellement quand on était ado… et en s’organisant pour ne pas les recréer. Et finalement, en essayant de miser sur ce qui va bien dans notre relation plutôt que de toujours s’attaquer à ce qui va mal. Affirmons à notre fille qu’on souhaite des rapports harmonieux avec elle et qu’il faut être deux pour y arriver. Et soyons indulgente avec nous-même: aucune relation n’est parfaite, après tout!
«Je ne lui dis pas quoi faire… JE VEUX JUSTE QU’ELLE ENTENDE RAISON!» Dans notre volonté de bien élever nos enfants et de les rendre heureux, il est facile de tomber dans le piège de leur imposer nos propres critères de bonheur. On peut aussi avoir tendance à considérer leur éducation comme une autre performance qu’on se doit de réussir. Or, c’est de leur vie à eux qu’il s’agit, pas du prolongement de la nôtre. Dès sa naissance, notre fille est différente de ce qu’on avait imaginé. On doit accepter les imperfections de «la prunelle de nos yeux»: c’est ce qui lui permettra de devenir qui elle sera. Lorsque ces «imperfections» sont graves, c’est généralement elle qui en souffre. On peut alors lui offrir notre aide pour agir sur ce qui la fait souffrir et échanger avec elle sur ce qu’elle souhaite devenir et accomplir plutôt que de la comparer à la norme ou à l’idéal qu’on s’était mis en tête.
L’art de communiquer
Comment parler à notre fille sans qu’elle se braque… et que faire si elle se braque quand même? Il est rare qu’on dise à un adolescente qu’elle a tort et qu’elle nous réponde aussitôt: «Oui, maman, tu as raison.» Ce n’est toutefois pas parce que Petite Chérie se braque qu’elle ne bénéficiera pas de ce qu’on lui dit. Notre rôle est de semer la réflexion dans son esprit, de l’amener à se poser ses propres questions plutôt que de lui imposer nos réponses.
Notre fille rejette catégoriquement ce qui nous semble être de bons conseils. Quelle attitude doit-on adopter dans ce cas? Il faut différencier les bons conseils des règles minimales à respecter pour vivre en famille et en société. Dans ce dernier cas, il faut s’imposer. Pour le reste, on doit parfois lâcher prise et accepter que la vie lui apprendra peut-être plus de choses que les conseils bien intentionnés qu’on peut lui donner. Si nos conseils ne sont pas suivis, les expériences qu’elle accumulera feront le travail à notre place. En attendant, on lui transmet l’essentiel: on est là! Le fait que notre fille sache qu’elle peut compter sur nous – sans rejet ni jugement sur ses erreurs – est la meilleure assurance qu’on puisse avoir pour l’aider à grandir, voire la protéger.
Quand son entourage nous rebute
Ses amis ne nous plaisent pas, mais alors là, pas du tout! L’essentiel est qu’elle ait des amis; une jeune isolée est beaucoup plus vulnérable qu’avec des amis – même si ceux-ci ne plaisent pas à ses parents. Notre fille peut alors être en conflit entre ce qui est valorisé par son groupe et par les valeurs qu’on lui transmet nous-même. C’est normal qu’elle cherche l’approbation d’autres personnes. Plus elle a d’influences, plus elle sera en mesure de faire des choix. Notre responsabilité de parent, c’est de l’encourager à se poser des questions, à réfléchir, à développer son sens critique et son propre jugement. Si ses amis ont des comportements qu’on juge risqués, on attire l’attention sur ces risques – décrochage, consommation d’alcool et de drogue, sexualité banalisée – et sur les souffrances qui peuvent en découler. On peut dire franchement à notre fille ce qu’on pense… mais on ne peut pas penser à sa place.
Son chum ou sa blonde ne la mérite pas! Attention aux commentaires négatifs sur l’être aimé: notre fille pourrait se sentir dévalorisée par nos commentaires sur son copain ou sa copine, une personne qu’elle a choisie et qui l’a choisie. Il est possible que plus on critique son ou sa partenaire, plus elle le valorisera et aura besoin de s’éloigner de la maison pour côtoyer davantage son âme sœur et… avoir la paix. Ce n’est certainement pas ça qui va rassurer notre cœur de mère!
Je pense que ma fille ne m’aime pas
«On ne partage rien. Avec elle, je ne suis pas la mère que j’aurais voulu être – aimante, attentive, réconfortante – et ça me fait de la peine.» Il serait étonnant qu’il n’y ait absolument rien à partager entre une mère et son héritière. Si notre fille se tient à distance, c’est peut-être parce qu’on veut trop être près d’elle. Arrêtons d’insister, laissons-la venir. Ce n’est ni en tentant d’être la mère idéale ni en réclamant des rapprochements que nous améliorerons la situation. Il y a un continuum de proximité mère-fille: certaines sont plus proches que d’autres, et mieux vaut mieux une bonne distance qu’une rupture. Chose certaine, on ne peut forcer l’affection de personne, même pas celle de notre enfant.
«Elle est toujours en entraînement ou en compétition, je la vois à peine. Je me demande bien à quoi je sers, à part payer ses cours…» Ce n’est pas parce que notre fille est entourée de sa coach et des membres de son équipe qu’elle rejette sa mère! Elle vit sa vie et se réalise, n’est-ce pas vers cette autonomie qu’on l’a guidée depuis le berceau? Sa vie ne nous appartient pas et on n’a pas le choix que de tenir compte de ses goûts et de son tempérament. Une mère peut s’épanouir dans son rôle parental même avec une enfant souvent absente et établir une solide complicité malgré la distance: rigoler ensemble sur Skype exprime autant de tendresse que de s’embrasser chaque fois qu’on se voit.
Une mère doit-elle s’adapter aux personnalités de ses enfants? La relation avec un enfant, comme toute autre relation, exige de créer un territoire où chacun se sent à l’aise. Il est donc essentiel de s’adapter à l’autre, ce qui ne signifie pas de renier notre personnalité pour autant. Notre fille raffole du hockey? On n’a pas à se transformer en hockey mom si la perspective de passer des heures dans les arénas nous rebute. Nos enfants doivent aussi respecter qui on est et c’est à nous de leur rappeler qu’une relation s’établit à deux: il faut être à l’écoute de l’autre et vice-versa.
Cet article est paru dans le magazine VÉRO printemps 2019. Abonnez-vous ici.
Propos recueillis par Sophie Aumais
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