Quand, en plus, on se rend compte que nos intérêts commencent à diverger et qu’on n’a plus autant de points communs, les liens autrefois tissés serré en viennent parfois à se relâcher. Un processus normal, mais qui peut tout de même faire mal.
Malgré nos vieilles promesses et nos pactes d’amitié éternelle, on ne gardera pas toutes nos amies d’enfance… et c’est tout à fait normal! On se rapproche de certaines personnes, on se distancie de d’autres, on est parfois très intimes pendant quelques mois ou quelques années, puis cette compagne disparaît de notre vie pendant une tout aussi longue période. Alors, qu’est-ce qui nous pousse à vouloir conserver ce lien à travers le temps? «Les bienfaits d’une amitié doivent surpasser ce que cette relation exige de nous, note la psychologue Josée Jacques. On doit avoir assez d’affinités et de plaisirs communs pour contrebalancer tout ce qui peut compliquer l’amitié, comme des valeurs ou des styles de vie différents.»
En fait, le lien d’amitié féminin est similaire au développement du sentiment amoureux, affirme Marie-Hélène St-Hilaire, psychologue et kinésiologue au Centre d’Éducation en Psychologie, à Saguenay: «Au début, c’est la période d’idéalisation. On découvre l’autre. On sent qu’on se rejoint sur plusieurs points. Et notre corps sécrète des hormones d’euphorie qui intensifient notre besoin de voir cette personne souvent. Ensuite, il y a la phase de la désillusion, durant laquelle on prend conscience de nos différences. C’est à ce moment qu’on trouvera des façons de s’adapter l’une à l’autre. L’euphorie se transforme alors en bonheur tranquille.»
La spécialiste souligne toutefois que les amitiés entre femmes ne reposent pas sur les mêmes bases que celles entre hommes. «Les femmes sont davantage axées sur la communication et la confidence, dit-elle, tandis que les hommes sont plutôt dans l’action.»
BFF, COPINE OU FAUSSE AMIE
Plusieurs se mettent beaucoup de pression pour garder leurs amitiés intactes ou sur le même pied d’égalité. Pourtant, ce n’est ni possible ni souhaitable. Déjà qu’une fois adulte, on a davantage de responsabilités, d’obligations et de tâches, on se retrouve inévitablement aussi avec beaucoup moins de temps libre. «Je pense qu’on cherche trop souvent l’exclusivité, confie Marie-Josée, 36 ans. Le passage de la relation avec notre BFF [best friend forever] de l’adolescence à la réalité sociale de l’âge adulte ne se fait pas toujours en douceur. Je crois qu’il faut accepter que certaines amies partagent un loisir, un sport ou un boulot avec nous sans pour autant avoir envie qu’on jase ensemble le soir ou qu’on se fréquente en famille durant le week-end. Il faut aussi tenir compte de l’éloignement et accepter que chacune suive son propre chemin. On peut se croiser, avancer en parallèle, mais aussi prendre des directions différentes, parfois pour se recroiser plus tard, parfois pour toujours. Accueillir la variété et multiplier les rencontres, voilà ce que j’appelle l’amitié équilibrée.»
À ce propos, Marie-Hélène St-Hilaire souligne qu’il existe différents types d’amitié: «Il y a d’abord les amies ordinaires, qui sont aussi les plus nombreuses, probablement entre 15 et 20 pour chacune d’entre nous. Elles représentent plus que de simples connaissances, mais on ne leur confie pas notre vie privée. On peut partager un intérêt commun avec elles ou simplement les côtoyer parce que nos enfants se fréquentent, par exemple. Ce sont aussi les voisins avec qui on jase d’un problème de piscine, mais jamais de notre relation de couple. Ensuite, il y a les amies proches, dont le nombre est réduit à quatre, voire moins. Avec elles, on dévoile nos secrets, notre intimité, nos rêves. On se sent en confiance et c’est réciproque! Enfin, il y a la meilleure amie, celle qui répond à tous les critères d’une amie proche, mais avec un “plus”. Quand on a un coup dur, c’est vers elle qu’on se tourne en premier.»
En ce qui a trait aux fausses amitiés, par contre, Mme St-Hilaire signale deux catégories de «pseudo-amies» à détecter: «D’abord, les “amies des beaux jours”, celles qui sont là quand tout va bien, qui profitent de notre bonne humeur, de notre bonne bouffe, voire de notre statut social ou de notre argent, mais qui s’éclipsent dès qu’on a besoin d’aide. Puis, il y a les “amies des jours de pluie” qui n’apparaissent que lorsqu’elles ont besoin d’aide, sans aucune réciprocité.»
«Quelles que soient leurs motivations, ces personnes profitent de nous, et à long terme, ce lien devient insatisfaisant, blessant et même néfaste», note Josée Jacques.
FAUT-IL COUPER LE CORDON?
«Les individus ne sont pas statiques, signale pour sa part François St Père, psychologue et auteur de plusieurs ouvrages. Nos intérêts et nos besoins évoluent. Tout est en mouvement… nos amitiés aussi!» Par conséquent, ce qui se passe – de bon ou de mauvais – dans nos vies influence nos amitiés. Et ce, durant toutes les étapes de l’existence.
À l’âge adulte, les facteurs d’éloignement se multiplient: déménagement, nouvel emploi, changement de statut (séparation, célibat, nouveau conjoint, grossesse, maladie, deuil, etc.) Même l’argent peut nous dissocier de certaines personnes. Dans le cas où l’une des deux amies connaît beaucoup de succès, notamment sur le plan financier, l’autre peut trouver vexant de la côtoyer. Quant à la célibataire qui voyage beaucoup, elle s’ennuiera peut-être en compagnie de son amie qui, depuis qu’elle est devenue maman, ne sort plus tellement.
Selon François St Père, «la différence peut être complémentaire, car elle permet à l’autre de s’évader par projection et d’échapper à sa réalité. Cependant, c’est parfois délicat lorsqu’une des deux personnes se sent “menacée” ou envieuse.» Au bout du compte, si on ressort perturbée d’une rencontre avec l’autre, c’est peut-être le meilleur indicateur que le choc du décalage est trop dur à encaisser. Ce feeling qu’on éprouve après un échange ou une sortie permet en effet d’évaluer si cette amitié a encore du sens et de la place dans notre vie. L’heure du ménage a sonné…
«Je me suis rendu compte que certaines relations ne m’apportaient plus rien de positif, raconte Nancy, 42 ans. Pourquoi morceler le peu de temps libre dont je dispose entre des amies qui comptent vraiment et d’autres avec qui je n’ai plus tellement d’affinités? J’ai choisi de faire le tri et de ne me consacrer qu’aux personnes que j’ai vraiment envie de voir. J’ai grandement réduit mes fréquentations, mais les amitiés qui restent sont sincères.»
Faire le ménage dans nos relations est parfois nécessaire pour donner plus de place à celles qui le méritent. D’abord, il nous faut réfléchir aux raisons pour lesquelles le lien que nous entretenons avec une amie ne nous convient plus. Est- ce parce qu’on en a pour des jours à se sentir tout croche après l’avoir vue? Est-ce parce qu’on sent que nos chemins s’éloignent de plus en plus? Est-ce parce qu’on doute de la sincérité de cette personne? Est-ce parce qu’on a l’impression que cette relation est devenue toxique au fil du temps?
«L’évitement est la voie la plus fréquente et la plus facile pour mettre fin à une amitié», constate François St Père. On espace les rendez-vous, on ne rend pas ses appels, etc. Mais on ne peut pas se défiler ainsi indéfiniment. Il est toujours bon de s’expliquer – par respect pour l’amitié qui a existé ou parce que notre amie demande des éclaircissements. Si on se rencontre une ultime fois pour tourner la page, on expose calmement les raisons qui nous poussent à nous éloigner en prenant soin de ne pas tomber dans les accusations ou les reproches. On dit ce qu’on ressent, on nomme nos émotions et on parle au «je». Faire l’exercice de se livrer en toute honnêteté donne parfois des résultats surprenants et peut même remettre notre amitié sur les rails. En revanche, si la démarche aboutit à un cul-de-sac, il y aura un réel deuil à faire, avec toutes les émotions que cela implique (colère, tristesse, incompréhension, etc.).
Entre amies, les ruptures s’avèrent parfois très traumatisantes, surtout lorsqu’elles résultent d’une tromperie ou d’une trahison. «Dans l’inconscient collectif, une amitié, c’est pour la vie, relève Marie-Hélène St-Hilaire.»
QUAND LES ENFANTS S’EN MÊLENT
Lorsque nos copines évoluent dans le même contexte familial que nous, l’amitié semble plus facile. Les échanges vont de soi, on se sent confortée dans notre quotidien (de fou!), on a les mêmes préoccupations, on peut jaser de gastro ou de boutons sur les fesses sans faire sourciller l’autre et on ventile en se confiant sans retenue. Mais attention: le fait d’avoir des enfants toutes les deux n’est pas toujours gage d’une amitié plus soudée.
«Quand on devient mère, tout change, constate Isabelle Dagenais, conférencière et auteure du livre Être maman pour le meilleur et pour le pire. Il n’y a pas un aspect de notre vie qui reste intact. Et nos amitiés font bien sûr partie du lot! On sous-estime beaucoup ce que la maternité exige comme adaptation, autant pour notre entourage que pour nous. Quand nos relations amicales résistent à la venue des enfants, elles peuvent nous faire beaucoup de bien, car on se sent alors bien moins seule. Mais il nous arrive parfois aussi de glisser dans les comparaisons douloureuses: notre amie semble plus épanouie que nous, ses enfants sont telle- ment plus ceci ou cela que les nôtres, etc.»
Si un fossé peut facilement se creuser entre nos amies et nous, on ne devrait pourtant pas baisser les bras au premier accrochage. «Je dis souvent aux nouvelles mamans que je rencontre: “Tu vas t’en remettre de ta première année avec bébé et de toute cette intensité-là!”, s’exclame Mme Dagenais. On n’arrête pas d’être amies juste parce qu’on ne vit pas exactement la même chose! Autrement, si une amie se séparait, est-ce qu’on serait moins apte à la comprendre parce qu’on reste en couple? Il faut simplement adapter notre lien et garder la communication ouverte. On peut aussi faire preuve d’humour et dire à notre amie: “Je le sais, je suis un peu obsédée par mon bébé en ce moment, mais ça va me passer!”»
Il faut toutefois admettre que certaines amitiés sont vraiment écorchées par l’arrivée des enfants. On découvre alors des facettes qu’on ne connais- sait pas du tout chez notre amie. Nos valeurs ou nos principes d’éducation peuvent différer large- ment. Avant la naissance du poupon, on n’avait tout simplement jamais eu l’occasion d’aborder certains sujets avec autant de profondeur. Déstabilisant, tout ça! La maternité nous oblige à nous repositionner constamment. «Mais à travers cette expérience, nos amies peuvent nous aider, assure Mme Dagenais. Elles nous connaissent bien, elles ont un regard extérieur et un certain recul aussi, bref, elles sont de bons repères.»
RESTER EN CONTACT
L’important, en amitié, c’est de s’adapter et de trouver de nouvelles façons de maintenir le lien. Les coucous sur Facebook, les coups de fils qui remplacent pour un temps les sorties au resto, les confidences par courriel pour évacuer un trop-plein, et toutes les petites attentions du genre peuvent contribuer à garder l’amitié bien vivante.
«Souvent, les mères ont tendance à délaisser leur vie sociale, alors que leur chum poursuit ses activités avec ses amis, fait remarquer Isabelle Dagenais. Si ça nous dérange, c’est peut-être signe qu’on devrait justement s’occuper davantage de nos propres amitiés. Les négliger, ça équivaut à nous négliger! Les femmes semblent avoir plus de mal avec ça, parce que dès que leur enfant a un rhume, ça leur suffit pour annuler une sortie.»
Pourtant, c’est à nous de trouver des solutions adaptées à notre mode de vie! Difficile de s’arranger pour sortir le soir? On donne rendez-vous à notre amie pour bruncher. Nos chums ou nos enfants ne s’entendent pas tellement? On se voit juste entre filles pour un certain temps. On a peu de disponibilités? On se rencontre alors à l’heure du lunch.
L’amitié n’est pas un bloc immuable. C’est une vague qui nous porte et nous transporte. Parfois plus forte, plus houleuse, à d’autres moments plus constante et tranquille… mais toujours en mouvement. Comme la vie, quoi!
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