La psychologue Rose-Marie Charest fait le point sur les faux besoins.
Si la surconsommation remplit un vide dans notre existence, de quoi manquons-nous tant pour être heureuse?
Les vides intérieurs se situent sur plusieurs plans. Il s’agit, dans un premier temps, d’un manque d’estime de soi. Cette estime, on la confond souvent avec l’image qu’on a de soi, ou l’image qu’on veut pro- jeter. Quand on s’estime peu, on peut chercher à se rattraper en acquérant des biens matériels, qui deviennent des attributs pour montrer qu’on a de la valeur. C’est, bien sûr, un leurre.
Le vide affectif peut aussi nous pousser à surconsommer. En tant qu’être humain, on s’attend à retirer une satisfaction affective des échanges avec les individus que l’on côtoie. Or, il y a de plus en plus de solitude dans notre société. Un partenaire de vie inexistant ne pouvant évidemment pas nous offrir de cadeau, on s’en donne soi-même: «De moi à moi, avec amour.» On voit de plus en plus de gens se ruiner pour se gâter. Ils s’entourent d’objets pour tenter d’oublier qu’ils sont seuls.
Comment en arrive-t-on à croire que plus on achète, plus on est heureuse, puis à évacuer de notre esprit le solde de notre carte de crédit?
On sait très bien qu’à long terme l’argent ne fait pas le bonheur, mais on en a le feeling. Ce n’est pas le sac à main haute couture en cuir italien qui nous rend heureuse, mais l’image qu’on projette de nous avec ce sac à main sous le bras qui fait qu’on se sent bien. Et ce sentiment s’estompera jusqu’à ce qu’un autre coup de déprime nous fasse retourner dans les magasins. On succombera alors à un autre accessoire mode dont l’achat ne vise pas à combler un besoin, mais un désir de se sentir bien.
C’est d’ailleurs la force du crédit: on crée l’illusion d’un bonheur immédiat et sans nuage, mais quand arrive le compte à payer au bout de 30 jours, la réalité revient nous heurter de plein fouet. C’est d’autant plus vrai quand nos achats de- viennent par la suite des responsabilités désagréables, comme la piscine qu’on a fait creuser, dans laquelle on ne se baigne pas si souvent et qui exige un entretien coûteux chaque année…
Quels effets les achats irréfléchis produisent-ils sur notre moral?
L’accro du magasinage subit le même cycle qu’un joueur compulsif ou qu’une personne dépendante de l’alcool ou des drogues: elle vit d’abord une période d’euphorie, ensuite de culpabilité, et finalement d’angoisse. C’est un cercle vicieux. Quand le relevé de carte de crédit arrive à la fin du mois et que la consommatrice compulsive se demande comment elle pourra le payer, elle finit par se sentir pauvre. Et pour retrouver un sentiment de richesse, quoi de mieux que de retourner dans les magasins en jouant à la fille qui a de l’argent?
La publicité nous fait croire plein de choses pour stimuler nos envies, qu’on finit par confondre avec des besoins. Faut-il se boucher les oreilles pour éviter d’entendre le chant de sirènes?
À moins de vivre en ermite, on subira toujours des influences extérieures. Il faut donc rechercher d’autres influences que celles des publicitaires. On peut, par exemple, s’entourer de gens qui ont les mêmes valeurs que nous.
Chacun doit manger, soit, mais a-t-on besoin pour autant de fréquenter des restos tendance «où il faut être vue»? On a toutes besoin de détente, mais doit-on forcément s’envoler dans le Sud pour se relaxer? On a besoin de se vêtir, mais est-il nécessaire de renouveler sa garde-robe au grand complet? On a aussi besoin de communiquer, mais est-ce que cela exige l’achat du télé- phone intelligent dernière génération, alors que celui qu’on a fonctionne encore très bien ? Si on répond oui à ces questions-là, c’est qu’on a peut-être oublié de se demander si on n’est pas en train de s’acheter des problèmes ou d’augmenter notre anxiété liée au stress financier.
Certaines personnes semblent avoir un besoin viscéral de consommer toutes sortes de choses pour afficher leur réussite sociale. Qu’y gagnent-elles?
Montrer qu’on a réussi à se hisser dans l’échelle sociale, qu’on a de l’argent ou qu’on a du goût… tout ce temps passé à «avoir l’air de», c’est du temps qu’on perd à ne pas se réaliser soi-même. Est-ce qu’on ne devrait pas se consacrer à accomplir quelque chose qui nous rend profondément heureuse plutôt que de s’échiner à correspondre à une image?
S’acheter des vêtements neufs qui nous font nous sentir belle contribue à notre bien-être. Là où cette série d’achats n’y contribue plus, c’est quand on se démolit financièrement pour satisfaire aux diktats des apparences. Les personnages du film Le mirage, de Louis Morissette et Ricardo Trogi, qui dépensent des sommes folles pour acquérir des biens requis par leur mode de vie basé sur les apparences, en sont un très bon exemple.
La surconsommation des parents risque-t-elle d’avoir un impact sur leurs rejetons?
On le répète souvent: chez les enfants, la démonstration compte plus que les mots. Si on dit à nos petits qu’on n’a pas de sous pour acheter un énième jouet mais qu’on se paie un nouveau gadget chaque mois, on n’est pas crédible du tout. En revanche, si l’argent est une source de problèmes et qu’on exprime notre peur d’en manquer, l’enfant risque de développer une certaine anxiété vis-à-vis de l’argent. Beaucoup d’adultes n’ouvrent même pas l’enveloppe de leurs relevés de comptes parce que l’argent a pour eux une trop grande charge émotive, qui les plonge dans l’anxiété.
Il faut apprendre aux jeunes à faire des choix constructifs et non destructeurs en ce qui concerne l’argent. Le plus grand service à leur rendre est de leur apprendre à gérer leurs sous. Ce n’est pas malsain de leur remettre une petite somme – en fonction de leurs capacités à la gérer – et de leur permettre de combler leurs désirs à l’occasion de sorties: cet exercice leur apprend à faire des choix et à vivre avec. Ils ne peuvent pas tout avoir et ils n’ont pas besoin de tout pour être heureux. C’est une notion très importante à leur enseigner.
Quand les dépenses engendrent des disputes entre les conjoints, quelle est la meilleure attitude à adopter?
Dans un couple, il faut se doter de trois territoires financiers: le nôtre, le sien et celui qu’on a en commun. Si Chéri veut succomber à ses désirs avec son argent sans que cela affecte la cagnotte commune (destinée aux enfants, à la maison, etc.), ça le regarde. En revanche, s’il souhaite partir en voyage avec les enfants durant la semaine de relâche et que, de notre côté, on se passerait bien de cette grosse dépense puisée à même le territoire commun, il faut discuter de cet impact sur le budget familial pour éviter un éventuel surendettement. Peut-être que ce voyage au mois de mars pourrait remplacer celui qu’on avait prévu en fa- mille durant l’été? Il se peut que tout le monde soit d’accord avec cette idée. Se respecter dans un couple, c’est accepter qu’on n’ait pas forcément la même échelle de valeurs… et engager des discussions qui permettent de se rejoindre.
Comment échapper au syndrome du voisin gonflable ?
Il faut s’accorder du temps pour se recentrer et augmenter notre conscience de ce qui est réellement important pour soi. C’est impossible d’être tout à fait indifférent à la compétition et au regard des autres. Il y a des gens qui créent la rivalité… mais on peut choisir de ne pas les côtoyer. On regrette d’avoir été une consommatrice trop «enthousiaste» toute sa vie? Alors on fera l’exercice d’apprécier ce qu’on a au lieu de rester centrée sur ce qui nous échappe. Une personne qui a un rapport sain avec la consommation fera des choix qui la rendront fondamentalement heureuse plutôt que des choix basés sur le paraître, qui augmenteront son sentiment de vide. Avant de sortir sa carte de crédit, il faut intégrer le long terme dans sa prise de décision. On se visualise avec l’achat en question dans 6 mois, 1 an ou 5 ans, sans se laisser influencer uniquement par le plaisir du court terme. Si on adoptait cette attitude, bien des choses inutiles au bonheur resteraient au magasin!
Photo: Stocksy
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