Manon a 50 ans. Expressive et souriante, cette femme aux yeux pétillants est éducatrice en garderie, maman de trois grands enfants, jeune grand-maman… et timide. Depuis longtemps, même. Elle se rappelle précisément la fameuse fois où, en première année du primaire, elle a flanché sous le coup des émotions provoquées par un excès de gêne en classe devant les autres enfants: elle a fait pipi par terre! Ce souvenir difficile, elle le traîne avec elle, mais depuis, Manon n’a jamais cessé de combattre sa timidité, un petit pas à la fois. «Quand j’affirme être timide, tout le monde est étonné. C’est juste que j’ai développé des stratégies pour empêcher la timidité d’envahir ma vie», affirme-t-elle.
Être soi-même au milieu de tous
«La société perçoit très mal la timidité. Pourtant, il ne s’agit pas d’un trouble, mais plutôt d’un trait de caractère. Ce n’est pas tout le monde qui a envie d’être vu!» lance Vincent Paquette, psychologue à l’Institut PsychoNeuro, à Longueuil. Cela dit, il y a une profusion de séminaires, de cours et d’ateliers pour apprendre à s’affirmer davantage, à trouver sa voie et à se démarquer. Bien sûr, en société, les extravertis prennent plus de place; c’est leur manière d’être. Ils ne comprennent tout simplement pas comment quelqu’un peut être plus réservé, moins flamboyant, plus réfléchi, moins impulsif, plus discret, etc. «Et ça les énerve! Ça les irrite, même! Pour eux, une personne qui ne prend pas la parole, c’est quelqu’un qui manipule ou qui a un plan. Ils sentent qu’ils perdent le contrôle, en quelque sorte, parce qu’ils ignorent les pensées de cette personne. Les extravertis voudraient qu’elle fasse comme eux, alors qu’être réservé n’est pas un problème en soi», estime le psychologue.
Il reste que la timidité peut nous causer des problèmes quand elle nous empêche de vivre une vie normale, qu’elle nous paralyse et nous fait rater de belles occasions. À petite échelle, on peut figer dans certaines situations précises ou devant une personne qui nous intimide, qui représente l’autorité ou qui est dominante, par exemple. On perd alors nos moyens, submergée par des émotions et des réactions physiques – transpiration, pâleur, rougissement, bégaiement, regard fuyant, accélération du rythme cardiaque, etc. – quasi incontrôlables et souvent déclenchées par la peur. Laquelle? Celle du jugement des autres, d’échouer, d’être observée, de s’affirmer ou de se dévoiler.
Silence, on fige!
Dans leur plus récent ouvrage, Mieux vivre avec la timidité et la phobie sociale (Les Éditions de l’Homme), W. Ray Crozier et Lynn E. Alden, deux professeurs de psychologie, expliquent que la timidité est l’émotion ressentie lorsque nous ne savons pas quoi dire ou quoi faire dans une situation donnée, que nous ne voulons pas dire ou faire quelque chose d’inapproprié et craignons que les autres aient une opinion moins favorable de nous. Pas si simple de s’en sortir, car la peur est omniprésente et devient paralysante. C’est en plein ce que vit Marie, 36 ans: lorsqu’elle doit prendre la parole durant une réunion au bureau, elle se met à bafouiller, à rougir, à faire des erreurs, sans afficher l’aplomb qu’elle souhaiterait. Pourtant, elle maîtrise ses dossiers et n’est pas timide dans son cercle d’amis, mais en groupe de travail, devant son supérieur et ses collègues, elle se recroqueville. Cette situation la perturbe, car elle a l’impression de rater les mandats les plus intéressants. Pour que les choses changent, elle devra mettre en place des actions concrètes et clarifier ses intentions. «Pour se sentir plus à l’aise, Marie pourrait se préparer en vérifiant qu’elle connaît bien le thème de la discussion et en apportant ses notes. Elle augmentera ainsi son niveau de confiance en elle», propose Vincent Paquette. Et, en visualisant ce qui risque de se passer, elle pourra cibler ses peurs et agir sur celles-ci. Par exemple, elle craint de bafouiller ou qu’on rit d’elle? «Il lui faudrait aussi se trouver une pensée de remplacement qui va contrecarrer chaque idée négative ou peur susceptible de surgir», ajoute-t-il.
Éviter les «J’aurais donc dû…»
Quelques années après l’épisode du pipi en classe, Manon se rappelle s’être tenue à l’écart des autres lors d’une fête d’enfants. «J’étais au party de mon meilleur ami, mais ses cousins que je ne connaissais pas étaient là aussi. Je suis restée à l’intérieur avec les adultes pendant que les autres jouaient dehors. Ma mère m’a alors fait réaliser que si je me retirais du jeu, c’est moi que je privais. Je me rappelle avoir vu à travers la fenêtre ce que je manquais à cause de ma timidité», raconte-t-elle. Sans qu’elle s’en rendre compte à l’époque, c’est cette réflexion qui l’a menée à élaborer l’habile stratégie qu’elle utilise encore aujourd’hui: elle va vers les gens au lieu d’attendre qu’ils viennent vers elle. «En fait, je n’attends pas que le malaise s’installe et prenne toute la place. Parce que c’est là l’erreur. On devient angoissée, on se fait des scénarios qui n’arrivent pas mais qui nous rendent nerveuse, on rougit, ça n’en finit plus!» confie-t-elle.
La timidité peut aussi nous faire hésiter avant d’accepter une invitation, car on craint de ne pas se sentir à notre place. Mais après coup, seule dans notre salon, on est rongée par les regrets, on sait qu’on a raté une belle occasion. «Pour les timides, il est parfois plus facile de participer à une activité précise et organisée. Jouer au billard serait donc plus tentant qu’un souper où les gens sont assis et discutent», explique Vincent Paquette. Pour s’aider, on s’autorise à demander qui sera présent. On sera plus encline à accepter d’y aller en sachant que telle personne y sera, car on a des affinités avec elle. Un bon truc pour ne pas refuser d’emblée une invitation et potentiellement le regretter serait de dire: «Laisse-moi le temps d’y penser et je te reviens.» Notre décision résultera alors d’une réflexion au lieu d’une pression. En gagnant du temps, on trouve les raisons qui motivent notre choix et on se demande si elles sont valides ou non. On évite donc de réagir de manière stéréotypée ou par réflexe.
Un changement pour soi-même
Pour le psychologue et auteur Jean-François Vézina, la timidité cacherait un paradoxe. «Il y a en nous une tension entre la peur de se montrer tel qu’on est réellement et le désir inavoué d’être vu, indique-t-il. On cache souvent une partie de nous-même pour être accepté par la société et on ne réalise pas à quel point on a peur de l’opinion des autres.» Selon lui, la peur d’être exclu est naturelle, mais on doit se questionner sur son origine. «Avec l’explosion des médias sociaux, cette angoisse se traduit par: “Dis-moi qui je peux être et c’est ce que je serai”. Un peu comme si on disait: “Soyez unique, mais comme tout le monde!”» explique-t-il.
On peut bien sûr adopter une attitude d’évitement pour s’empêcher de revivre des moments pénibles… ou chercher des moyens pour mieux gérer les situations difficiles. En effet, si la timidité est un frein à notre bien-être, il est peut-être temps de faire une introspection qui nous amènera à comprendre pourquoi on réagit de différentes manières selon les contextes et les gens, et à trouver des actions à entreprendre pour changer. Tout ça dans une optique personnelle, parce que c’est ce qu’on veut, nous, et non ce que désirent les autres. «On est tellement incité à se comporter comme les autres qu’on ne réalise pas qu’il peut s’avérer bien agréable de simplement écouter ou d’être plus réservé. Savoir écouter est une qualité précieuse qui fait des timides d’excellents confidents», précise Vincent Paquette. Et on passe aussi à l’action, un geste et une situation à la fois, tant que cette démarche nous fait du bien.
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Photo: Getty Images
Ce billet est paru dans le magazine VÉRO du printemps.