«Mon accouchement a été horrible».
Voilà la première chose que j’ai dite à la médecin alors qu’elle s’assoyait entre mes jambes pour me recoudre. Mon accouchement ne s’est pas déroulé comme je me l’étais imaginé, c’est le moins que je puisse dire. Et ce, même si je n’avais rien imaginé de précis. Je savais que je n’aurais que peu de contrôle sur la façon dont mon fils viendrait au monde, mais il y a quand même une chose à laquelle je m’attendais : pouvoir être soulagée de la douleur, si j’en faisais la demande. J’ai demandé, mais pour des raisons particulières que je ne détaillerai pas ici, la péridurale ne m’a pas soulagée. Pas du tout. J’ai souffert le martyre pendant vingt heures et plusieurs semaines plus tard, le traumatisme demeure.
J’en ai tiré quelques réflexions. Sur l’obstétrique. Sur moi-même. Et sur les femmes.
En fait, plus je parle de mon accouchement, plus je récolte les histoires d’autres mères pour qui la naissance de leur enfant n’a rien eu d’un conte de fées. Des histoires de douleur et de détresse, et aussi, parfois, de manque d’empathie voire de négligence de la part du personnel. Les récits que j’ai recueillis m’ont abasourdie, au point d’affirmer qu’au Québec, en 2021, il y a encore énormément d’aberrations entourant les accouchements. Le déroulement de ce moment charnière s’avère extrêmement aléatoire dépendant du lieu où on accouche et du personnel en place, le tout pouvant facilement virer au cauchemar.
Personnellement, je suis repartie de l’hôpital avec l’impression profonde que ça n’aurait pas dû se dérouler comme ça. Mais bon. J’avais mon bébé dans les bras, c’était le plus important. Et je devais maintenant me concentrer sur lui, reléguant mon accouchement dans le tiroir mental des choses à oublier.
Cela dit, ça ne s’oublie pas. Accoucher, ça fait mal, plus que ce qu’on peut imaginer. Et malgré mes cours prénataux du CLSC, mes lectures, mes ateliers d’organisme communautaire et mes rencontres avec une accompagnante à la naissance, non, je n’étais pas préparée pour une telle épreuve.
Je m’étais imaginé qu’accoucher serait une occasion de me dépasser physiquement. Je pensais que ça aurait des points communs avec l’expérience la plus éprouvante que j’avais vécue jusque-là : la fois où j’ai passé un col à plus de 5400 mètres d’altitude au cours d’un trek au Népal. Moi qui pensais, ce jour-là, être allée au-delà de mes limites, je n’avais rien vu. Hé oui, il y a une sorte de col qui est parfois beaucoup plus difficile à passer que tous les cols de l’Himalaya… Ça en dit long sur moi : inconsciemment, j’entrevoyais mon accouchement comme une performance, alors que c’est tout sauf ça. Une femme n’a pas à performer en mettant son enfant au monde, pas plus qu’elle n’a à se comparer. Aucun accouchement n’est pareil, ni dans son déroulement, ni dans les circonstances qui l’entourent, ni même dans la douleur qu’il génère. D’ailleurs, j’aurais aimé y trouver un sens, à cette souffrance, réussir à y voir un rite de passage, mais non. Pour moi, il n’y a aucun sens ni aucun avantage au fait de devoir souffrir comme une agonisante pour donner la vie. Mon accouchement a été horrible et ça m’attriste parce que j’aurais aimé que ma rencontre avec mon fils se fasse dans la joie dès le premier instant, alors qu’honnêtement, à son arrivée, j’étais trop épuisée pour être contente.
Cela dit, cet événement m’a aussi donné une nouvelle vision des femmes. Ou plutôt, ce que je savais déjà d’elles a pris une nouvelle dimension. Vraiment, les femmes sont des héroïnes! L’humanité existe grâce à elles, toutes ces mères qui ont traversé l’inimaginable, parfois même en y laissant leur peau. On dit que les mères oublient la souffrance de leur accouchement lorsqu’elles voient leur enfant. Je ne le crois pas. Encore une fois, rien de tout ça ne s’oublie. Je crois plutôt que les mères font le choix de se concentrer sur l’amour. Que leur amour est plus grand que tout.
Je ne fais pas exception.
Mon accouchement a été horrible, mais c’est quand même, indéniablement, le plus grand moment de mon existence. Autant, physiquement, ça a été le pire jour de ma vie, autant, dans mon cœur, ça restera le plus beau.
Ce que je retiens par-dessus tout, c’est que nous, les femmes, qu’on ait accouché ou non, on porte en nous une force qu’on ignore, ainsi qu’un amour incommensurable. Et cette force et cet amour, combinés, nous rendent capables de tout.
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Photo principale : Guido Mieth Getty Images