«Être dans sa semaine», «avoir ses ragnagnas», «shark week», «avoir le melon qui fend», «ma tante Sophie est là» : autant d’expressions à travers le monde simplement pour dire «je suis menstruée».
Il faut leur accorder, les gens font preuve d’originalité avec ces propositions de périphrases. Beaucoup d’imagination a été utilisée au fil des années pour soigneusement éviter le terrible mot «menstruation». Et bien qu’aujourd’hui, au Québec, la situation ne soit plus si délicate, il n’en demeure pas moins qu’une certaine censure règne toujours quant à ce phénomène physiologique naturel. En anglais, cela s’appelle le period-shaming, ce qu’on peut traduire par la honte d’avoir ses règles.
D’après un sondage mené par la compagnie de sous-vêtements menstruels THINX sur 1500 femmes en 2017, 58% se sont déjà senties gênées d’avoir leurs règles. Plus de la moitié des Américaines interrogées ont admis avoir déjà eu un malaise quant au fait d’être menstruées.
Il ne faut toutefois par leur en vouloir de ressentir cette gêne. Il y a des siècles de censure et de mutisme qui ont mené à cette culture du silence et de la honte partout autour du globe. Des interdits religieux, l’idée d’être impure ou encore les fausses croyances entourant le phénomène ont longtemps mené à une crainte de ce sang, qui est pourtant le seul qui n’est pas issu d’actions violentes.
Bien qu’en 2021, la situation ne semble plus si accablante, plusieurs détails renforcent le tabou. Par exemple, 51 % des hommes croient qu’il est inapproprié pour les femmes* d’aborder leur cycle menstruel au travail, ne serait-ce que pour dire qu’elles ont besoin d’aller à la toilette parce qu’elles sont dans leur semaine. Sinon, 44 % des hommes avouent avoir déjà blagué sur l’humeur de leur partenaire lorsque celle-ci avait ses règles. Les blagues, même celles à l’allure innocente, accentuent l’idée désagréable que les menstruations sont un problème. Ces comportements en entraînent de nouveaux chez les femmes qui auront pour effet de corroborer ce sentiment de honte. Par exemple, 73 % de celles-ci cachent leur tampon ou leur serviette lorsqu’elles se rendent à la salle de bain. 65 % portent des vêtements spécifiques en cas de fuite.
Ces statistiques sont éloquentes quant à la crainte des femmes de laisser savoir à autrui qu’elles sont menstruées. Pourtant, une femme saigne presque 1 jour sur 4 pendant la plus grande partie de sa vie.
Des exemples probants
Encore une fois, il ne faut pas reprocher aux femmes de se cacher. Christina Aguilera a servi d’exemple en janvier 2012 lorsqu’elle a chanté aux funérailles d’Etta James. Plutôt que de s’attarder à sa performance, les médias se sont précipités à raconter qu’un liquide lui avait glissé le long de la jambe, potentiellement du sang. Ce qui a fini par être de l’autobronzant au dire de la chanteuse. Ceci a tout de même créé un scandale dans la presse. Dans les jours qui suivirent où la rumeur n’était pas encore démentie, plusieurs étaient outrés de cette fuite pourtant si naturelle.
La poétesse Rupi Kaur a elle aussi connu un épisode médiatique dû aux règles. En 2015, la jeune femme avait publié sur Instagram une série de photos intitulées Period dans le but de voir comment les gens réagiraient. À peine avait-elle publié celles-ci que l’une d’elles fut retirée de la plateforme. La photo représentait une femme couchée de dos dans un lit avec une tâche sur les draps et sur son pantalon. Croyant à une erreur, l’autrice de Milk and Honey avait alors republié l’image pour la voir être retirée encore une fois quelques heures plus tard puisque celle-ci ne se conformait pas aux règles de la communauté. Cette histoire avait enflammé les réseaux sociaux, ce qui a poussé Instagram a réintégré l’image en s’excusant du geste.
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Pire dans la chambre à coucher
Lorsqu’amenées dans l’intimité des relations de couples, les conversations quant aux règles sont moins taboues. Sept femmes sur dix se disent confortables d’en discuter avec leur partenaire, ce qui est assez similaire chez les hommes avec 71 %. Ceci étant dit, les statistiques diminuent grandement lorsqu’il est question de relation sexuelle. Plus de la moitié des femmes et des hommes sondés disent ne pas être amateurs et amatrices de la pratique, ce qui est correct. Tous doivent respecter leurs propres limites.
Toutefois, trois hommes sur dix décrivent le sexe avec règles comme étant dégoûtant et 35 % jugent que c’est inapproprié. Les étiquettes sur cette pratique renforcent une fois de plus l’idée de honte qui est trop souvent ressentie par les femmes. Une femme sur trois s’est déjà fait refuser du sexe parce qu’elle était dans sa semaine, ce qui mène 56 % des femmes à désormais être inconfortable d’initier des rapports sexuels alors qu’elles sont menstruées. Ce refus du rapport sexuel lorsqu’il y a menstruations mène 38 % des femmes à performer un autre type d’acte sexuel puisqu’elles ressentent la pression de le faire.
Éducation sexuelle sous forme de culture
Dans les dernières années, beaucoup d’éducation a été faite quant aux règles. La censure diminue grandement, les gens osent en parler et la honte laisse tranquillement place à un sentiment de sérénité. Cette éducation est entre autres issue d’ouvrages culturels et des médias. Le 1er février dernier, il y a la série Des filles et des règles qui est sortie sur TV5.ca. Ce sont cinq épisodes où les règles sous toutes leurs formes sont abordées par quatre jeunes femmes (Sandra du Canada, Maha du Maroc, Fatima du Sénégal et Juliette de France). Il est question des tabous, des croyances, des protections hygiéniques, de la place des hommes dans cette réalité, et ce, à travers quatre pays aux visions différentes. Très éducative, la série d’une cinquantaine de minutes explore bien les nombreux questionnements reliés aux menstruations.
Paru lui aussi en février 2021, le livre C’est beau, le rouge de Lucia Zamolo a pour but de déstigmatiser les règles. À mi-chemin entre le journal intime et le roman graphique, l’autrice pose des questions pertinentes sur la honte et les tabous de manière à amener de pertinentes réflexions ainsi que des informations habituellement peu discutées. Destiné aux adolescentes, ce livre est un outil pour quiconque a la volonté de s’informer.
Plusieurs autres œuvres incluent des réflexions sur les règles, telle que l’épisode 4 de la série documentaire de Netflix Le droit d’être américain. Cela dit, une grande partie de l’éducation provient actuellement des réseaux sociaux, ce même endroit d’où vient parfois le problème. Par exemple, il y a ces vidéos qui circulent actuellement sur TikTok où des femmes demandent à leur partenaire de mettre un tampon dans l’eau.
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Bon nombre d’entre eux ne savaient guère qu’un tampon gonflait en s’imbibant et encore moins à quel point celui-ci peut se déployer. Ce genre de vidéos ludiques restent tout de même éducatives. Il y a aussi des influenceurs et des influenceuses qui en parlent sur leur plateforme, notamment Sophie Elise qui a publié une photo avec une corde de tampon dépassant de son entre-jambes. La Norvégienne a reçu beaucoup de commentaires négatifs venant de la part d’hommes et de femmes sur le fait qu’elle devrait cacher cette ficelle. Sophie a répondu à cela en publiant une photo similaire quelque temps après. La jeune femme pense qu’il est essentiel de montrer cette réalité qui est entourée de trop nombreux tabous.
L’une des porte-parole de THINX avait dit après l’étude publiée en 2018 qu’il faut changer la culture qui entoure les menstruations et que pour ce faire, ça prend des hommes comme des femmes. Bien que les règles ne touchent que 50 % de l’humanité, la bataille contre la censure et les tabous doit, quant à elle, se faire à 100 %.
*Les termes hommes et femmes sont employés afin de faciliter la lecture, mais il est important de noter que les menstruations peuvent être une réalité vécue sans regard à l’identité de genre.
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Photo: Des filles et des règles