Le décrochage sportif des filles

12 Jan 2021 par Florence Dujoux
Catégories : Forme / Santé
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Une fille sur deux abandonne le sport à la puberté. Une situation préoccupante, sachant à quel point bouger est essentiel à la santé. Quelles sont les raisons de cet abandon et comment y remédier?

Avec le passage du primaire au secondaire s’amorce un processus de désengagement de l’activité physique et sportive, particulièrement marqué chez les filles. La moitié d’entre elles abandonnent le sport à la puberté, et à la fin du secondaire, 9 filles sur 10 ne répondent pas aux normes canadiennes en matière d’activité physique.

Les changements corporels liés à la puberté sont mis en cause, affectant davantage les filles que les garçons. «La puberté est une période de grande adaptation corporelle, émotionnelle et psychologique. Tout ce qui a rapport avec le corps, comme l’activité physique et sportive, devient alors “challengeant” et on a tendance à l’éviter», affirme la Dre Stéphanie Léonard, psychologue et fondatrice de Bien avec mon corps, un OSBL favorisant une image corporelle saine. Chez les ados, les réseaux sociaux ajoutent aussi de la pression. «Ils véhiculent des images de jeunes femmes physiquement parfaites, soignées jusqu’au bout des ongles, et non pas celles de jeunes filles en pleine possession de leurs moyens, qui bougent et qui sont fortes», souligne Mme Léonard.

D’ailleurs, seulement un tiers des adolescentes estiment que la société les encourage à faire du sport, selon l’organisme Fillactive. En effet, selon la psychologue, il existe à cet égard un fort conditionnement des parents et des éducateurs, qui se traduit par des standards différents en matière d’activité physique selon le genre. «Les filles sont moins entourées de messages les valorisant dans leur pratique sportive», estime-t-elle.

Être plutôt que paraître

Pourtant, les impacts positifs de l’activité sportive ne sont plus à démontrer. En plus des bénéfices physiques qu’elle procure aux deux sexes, elle a des effets particuliers chez les filles, comme la prévention de l’ostéoporose, la diminution de la prévalence du cancer du sein, et même un moindre inconfort lors des menstruations.

Geneviève Leduc est conseillère principale aux programmes de Fillactive, un organisme qui incite les filles à être actives toute leur vie. Selon elle, les effets bénéfiques les plus immédiats de l’activité physique à l’adolescence ont trait à la santé mentale: «Un grand nombre de jeunes filles souffrent de symptômes anxieux. Or, l’activité physique permet d’améliorer le bien-être général, de mieux dormir, d’être plus créative et de développer l’estime de soi.»

Et que penser de l’été – la «saison du bikini» – comme source de motivation? On cautionne ou pas? Non, répond Stéphanie Léonard, car bouger amène les jeunes filles à se situer dans l’être plutôt que dans le paraître. «Le sport est un outil pour désamorcer la pression de l’apparence physique, dit-elle. Il permet aux jeunes filles d’être en pleine possession de leurs moyens, jouant ainsi un rôle protecteur.»

Des motifs d’abandon multiples

Pour plusieurs experts, la pression de performance est une des principales raisons d’inactivité physique chez les filles. «Les adolescentes qui ne sont pas actives n’aiment pas le fait qu’il y ait un tableau de pointage, un gagnant et un perdant», affirme Geneviève Leduc. Selon Kino-Québec, certaines adolescentes considèrent la compétition comme une source de stress, et elles sont moins nombreuses (59 %) que les garçons (79 %) à la voir comme une source de motivation.

Leah, 14 ans, a beau être une mordue de patin depuis toujours, elle a bien failli décrocher à 12 ans: «En individuel, la compétition, c’était trop de stress, dit-elle. Avec mon équipe de patinage synchronisé, je me suis fait de nouvelles amies et la compétition est plus facile à gérer.» Patrick Clanet, professeur d’éducation physique et sportive au Collège Stanislas de Montréal pointe du doigt la confusion entre l’activité physique et le sport, encourageant la population à se préoccuper du phénomène de sédentarisation dans son ensemble. «On focalise trop sur le sport, alors qu’on devrait parler d’activité physique en général, croit-il. Le sport inclut la notion de compétition, de stratégie d’opposition et de rapport de force qui ne répond pas forcément aux aspirations des adolescentes.»

Parmi les autres motifs d’abandon, citons également la pression académique. Selon Stéphanie Léonard, «on pousse davantage les garçons vers l’activité physique, et les filles vers la performance académique, en considérant que c’est plus facile pour elles, ce qui n’est pas toujours vrai». Ainsi, Raphaëlle, 15 ans, a arrêté le sport après avoir obtenu sa ceinture noire de taekwondo. «Mais l’année prochaine, dit-elle, je veux m’y remettre: j’en ai besoin pour m’amuser et oublier un peu le côté académique.»

Autre facteur clé, les transformations physiques liées à la puberté. «Au début, le développement de mes formes m’a posé problème, mais une fois que j’ai trouvé le bon soutien-gorge pour me sentir bien, tout est rentré dans l’ordre», confie Louise, 15 ans. La période des menstruations, qui s’accompagne souvent de crampes abdominales et d’une baisse d’énergie, peut aussi constituer une barrière importante chez certaines adolescentes.

Le plaisir avant tout

En outre, l’offre est souvent mal adaptée aux jeunes filles. D’abord sur le plan de la diversité des activités: «Les gymnases sont équipés pour accueillir des sports d’équipe traditionnels, mais les écoles ne disposent pas toujours d’une salle avec des miroirs et du son pour la danse ou encore d’un local avec lumière tamisée pour le yoga», précise Geneviève Leduc. Sans compter les différents niveaux de pratique. «Il n’y a pas de demi-mesure entre le récréatif et le compétitif», dénonce Patrick Clanet. D’un côté, on trouve des jeunes qui pratiquent leur sport à outrance, mettant leur corps et l’agenda familial à rude épreuve. De l’autre, certains ados s’ennuient, faute de posséder un minimum de technique pour avoir du plaisir. «Il faut retrouver la notion ludique qu’on a perdue avec les discours de performance», affirme Patrick Clanet.

Le plaisir éprouvé par les adolescentes est lié aux occasions qu’offre la pratique d’activités physiques de passer du temps avec leurs amies, ainsi que du sentiment d’appartenance à un groupe ou à une équipe sportive. Pour les filles, cette socialisation est primordiale. «C’est le côté équipe, le fait de bien s’entendre qui passe bien souvent avant les résultats», estime Véronique Laverdière, professeure d’éducation physique et coordonnatrice du programme de futsal au Collège Notre-Dame, à Montréal.

Enfin, mieux vaut bénéficier d’un environnement facilitant, histoire de ne pas gâcher le plaisir éprouvé en pratiquant un sport. «C’est important qu’il y ait des douches et un battement suffisant entre les cours pour permettre aux jeunes filles de se changer», indique Geneviève Leduc.

L’importance des alliées

C’est au moment du passage à l’école secondaire et de l’initiation à la pratique d’une nouvelle activité que les normes sociales jouent le rôle le plus déterminant. Ainsi, le comportement des amies influence fortement la pratique d’activités physiques et sportives chez les adolescentes. «Pour moi, le crosscountry a été un facteur d’intégration au secondaire, témoigne Joséphine, 19 ans. J’étais dans un environnement de filles féministes et mes amies faisaient toutes du sport.»

Véronique Laverdière souligne également le rôle des entraîneuses: «C’est important que les filles aient la possibilité d’avoir des femmes comme entraîneurs, ce sont les modèles dont elles ont besoin!» Les parents sont eux aussi une source primordiale d’encouragement et de soutien logistique pour les jeunes. «Offrir un exemple d’activité physique à nos filles est essentiel, s’exclame Geneviève Leduc. Même si on a l’impression qu’elles font tout le contraire, elles y reviendront, croyez-moi!»

Sur le site de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, on peut lire: «En enseignant aux femmes et aux filles le travail d’équipe, l’autonomie, la résilience et la confiance en soi, le sport est l’un des principaux moteurs d’égalité des sexes.» Trop souvent considérée comme futile, l’activité physique constitue pourtant un formidable outil de développement personnel et humain. Go, les filles, go!

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Photos: Getty Images



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